Curieux salon, très bas de plafond, meublé seulement de canapés, d’un bar roulant et d’un électrophone. Arabella Stone, en robe de chambre, comme une pomme de terre dans son papier d’étain, est lovée sur des coussins, belle et paresseuse. Elle a tout à fait récupéré. Elle sursaute en m’apercevant, mettant un lapsus de temps à piger la situasse. L’homme inanimé, et qui n’a même plus d’âme pour captiver son âme et la forcer d’aimer, l’impressionne. Mon feu idem. Et surtout ma frite farouche : le sale air de l’happeur.
Elle récupère un brin de rien pour murmurer :
— Et Jan Stromberg ?
C’est pas de l’amour, ça ?
Louis XVI prenant des nouvelles de Samson !
Elle me voit sur mes patounes, moi que son jules est parti trucider, alors elle me demande comment il va, inquiète comme la femme de Terre-Neuvas qui ne voit pas débarquer son bonhomme de la Marie-Couch’touhala .
— Il fut ! lui dis-je.
Brève oraison funèbre, mais combien éloquente !
Elle fixe sur ma pomme un regard incrédule.
— Vous l’avez ?
— Rendu mort, oui, miss. Et comme il s’apprêtait à me faire le coup du père François, je n’éprouve pas le moindre remords.
Oh ! quelle erreur est la mienne de lui balancer la vérité toute crue ! En pareil cas, une femme amoureuse est capable de tout.
Tu vas en avoir la preuve séance tenante.
Hagarde, elle quitte son canapé en chancelant comme dans un dernier acte de Shakespeare. Je la regarde marcher dans ma direction, vaguement gêné je l’avoue. Veut-elle me sauter au visage, toutes griffes out ? Elle paraît trop abattue pour pouvoir nourrir de belliqueux desseins. Non : elle s’agenouille près de l’homme K.O. et, d’un geste infiniment lent, glisse la main sous le pan de son veston. Quoi ? Bon Dieu, je pige seulement ce qu’elle manigance : le feu du gonzier. Je me jette sur elle. Trop tard : elle a déjà cueilli l’arme. Je passe mon bras sous son menton.
— Lâchez ça, la môme, sinon les malheurs vont continuer de pleuvoir !
Une détonation me répond. Je sens une vache secousse par tout mon être admirable. Ai-je morflé ? Que non point : car c’est sur elle qu’elle a balancé le potage. Dans son pauvre cœur dévasté. Pour le finir. Ce cœur qui n’appartenait qu’à Jan Stromberg the killer . Ploff ! En plein dans la cible ! Bel exemple de HI FI, mes amis. Femme de gangster, certes, mais édifiante à force de fanatique attachement et… Non, ça suffit commak, si je tartine trop je serai trop long et mon nez diteur va faire la gueule.
Or, donc, me voici en compagnie de deux personnes inconscientes, dont l’une à titre définitif. Sans perdre de temps, je ligote le chauve à poils ras avec les moyens du bord, comme chaque fois dans mes polars à la noix de cajou, que t’auras beau chercher parmi les douze mille que j’aurai écrits, pas un qui ne comporte un mec ligoté avec : des cordons de rideau, du fil électrique, des bretelles, des ceintures, du câble de vélo, des liens conjugaux, des attaches sentimentales, du fil à retordre, de la corde à piano, des courroies de transmission, des brides sur le cou et des bandes de cons. Mais chacun sa méthode, et pas tant de discours, comme le clamait Descartes avant d’être biseauté.
Ayant les mains libres et la poitrine haletante, je me mets à la recherche du fameux prisonnier évoqué naguère par Arabella et le prénommé Marcellin. Le logement souterrain n’est pas si vaste qu’il me faille chercher longtemps. Outre le salon que je viens de quitter, il comprend deux autres pièces aménagées en chambres. Dans la première, il n’y a personne. Mais la deuxième est occupée par un personnage de marque, ou du moins qui le fut temporairement. Sa Majesté, en personne ! Pas la mienne : Béru Premier, l’autre : Bok Dernier. Affalée sur un lit profond comme le tombeau de Léon Napo, elle est inconsciente, des bouteilles vides l’entourent et jonchent le plancher. Dans son sommeil, l’ex-grand tome appelle ses cousins de France qui, vu la distance, n’entendent pas.
Et comment Oreste l’entendrait-il, le bon Bok (dépanaché) avec le boucan qui se fait dans le mur ?
Des coups d’une violence pire qu’inouïe : inouise, font vibrer la pièce. De toute évidence, on s’en prend au mur de communication. Vitos, je vais récupérer l’arme dont s’est servie Arabella pour mettre fin à ses gracieux jours. Note que je pourrais m’esbigner : mais non, c’est pas le gendre de la Malmaison, comme dit le Mammouth.
Armé, attentif, j’attends. Les coups redoublent de violence. Tout vibre, tout tremble. Le fracas va briochant. Et puis enfin, vraaoumpflll ! deux bons mètres carrés de mur se déguisent en un demi-mètre cube de gravats. Dans la poussière de bombardement qui s’élève apparaît un homme. Un gros, un vrai ! Bérurier dans toute sa gloire, pioche en main, pareil à un héros de Germinal, la sueur au front, le faciès saupoudré comme un loukoum (ça fait deux fois dans ce book de chiasse que j’allusionne aux loukoums, raha de leur prénom, mais je compisse tes éventuelles remarques).
— Bon gu d’bois, j’sus t’arrivé à bon porc, à force d’à force, éructe l’Etrusque en époussetant ses frusques à gestes brusques. L’vieux a disparu, mais les gonzesses m’ont dise que s’lon elles, y avait un souterrain dans l’jardin car é z-entendaient du bruit.
— Comment te l’auraient-elles dit, aucune ne parle français ?
— Par gestes, mec ! Par gestes. Y a pas qu’avec des fleurs qu’on peut causer, y reste aussi la bite et les doigts, plus les espressions. Quand t’est-ce j’ai eu pigé, j’m’ai dégauchi un’ pioche et hardi p’tit !
Il tressaille :
— Mais, tézigue, comment t’es arrivé jusque-z-à-là ?
Je branle ce que tu sais et déclare :
— Oh ! moi, Gros, je suis moins courageux que toi, quand je vais en visite, je passe par la porte !
CHAPITRE SUPPLÉMENTAIRE [25] Que je te dédie car s’il n’existait pas, tu jugerais l’histoire incomplète.
Le bureau du Vieux.
Matinée finement ensoleillée. Sa calvitie a des teintes majestueuses. Tu croirais du Sisley, tellement que ça pointille serré.
Nous sommes tous réunis : Béru, Pinaud, Lady Meckouihl, Samantha, sans oublier moi-même.
Le Dabe n’a de z’œils que pour la jolie Britannouille. Il la couve du regard, la gobe de la glotte, trémousse, trémouille, fait des petits solos de mandoline avec le bout de la langue, tout ça, tout bien… Vieux marcheur, toujours le slip en goguette.
Il tripougne l’appareil noir que j’ai triomphalement déposé sur son bureau. Il redonde :
— Bravo à tous, belle victoire ! Alors, la genèse de tout cela, mon vieux lapin ?
Le vieux lapin étant moi-même, fils unique et de ce fait préféré de M’man Félicie, je remue le nose pour faire davantage ton rabbit à un goût.
— Eh bien, la genèse, monsieur le directeur, c’était l’ex-empereur. Le brave homme, avant son abdication à coups de pompes occultes, a planqué une quantité folle de diamants dans un coffre suisse, tout le monde s’en doutait plus ou moins. Il y en a pour des milliards d’anciens francs.
« Des gens plus astucieux que d’autres ont décidé de mettre la main sur le fabuleux magot. Mais un coffre suisse ne s’ouvre pas comme une tirelire japonaise. Dans le cas présent, Sa Majesté Scotch I ern’a délivré aucune procuration, si bien qu’elle seule peut y accéder. Donc, pour pouvoir s’emparer des cailloux, la condition première est que le ci-devant (assis derrière) imperator soit présent dans la chambre forte de la Banque Helvétique. La bande décida donc, avant tout, de s’assurer de sa personne, mais avec un maximum de discrétion, sans que la chose soulève de vagues. Un sien cousin qui lui ressemble comme une blennoragie ressemble à une autre blennoragie, fut pressenti pour entrer dans le coup et accepta de prendre la place de Bok dans sa résidence de Sassédutrou.
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