En chaussettes de cérémonie, je gagne l’escadrin conduisant to the first floor , feu en main, malgré qu’il soit vide, car j’ai balancé tout le bonheur dans la poire à Stromberg ; mais enfin, un revolver vide intimide davantage quelqu’un qu’un pot de confiture plein, tu vas te démerder d’en convenir avant que je me fâche. Ça y est ? Merci.
J’ai déjà mon premier pied sur la première marche, car à tout seigneur tout honneur, lorsqu’il me semble percevoir un bruit étrange venu d’ailleurs, et ce n’est pas du premier. Me ravisant, j’abandonne l’escalier pour me rendre vers les communs, là que se trouvent l’office, la cuistance, la buanderie et autres coulisses de l’emploi. Je tends l’oreille. Le silence seul me répond, comme l’écrirait le romancier que je te causais une centaine de pages plus avant.
Alors bibi, surprenant dans ses réactions thermidoriennes, au lieu de remuer tout le navire, je retire un tabouret en formica véritable de sous la table et y dépose soixante-dix et quelques kilogrammes d’individu en ordre de marche. J’attends… Quoi ? Tout ! J’écoute… Quoi ? Rien ! Drôlement passionnant, n’empêche. Le silence, le clair-obscur de Werther… Des odeurs safranées. Un laps de temps important passe. Et une sensation, confuse au début, s’affirme en moi. Quelque chose d’imperceptible que mes antennes ont néanmoins perçu. Je vais te dire quoi t’est-ce. Tu sais, dans Paname, t’es là, assis dans un square, au soleil, à rêvasser. Quelques piafs mélodisent dans les platanes, et puis un frémissement profond a lieu sous tes pinceaux. Tu dérêvasses en te demandant ce dont. Et tu te dis : ah, oui : le métro. Ici, dans la cuistance, c’est kif-kif bourricot.
J’éprouve cette notion de vie souterraine. Et vite je me file à plat ventre sur le sol, vu qu’il n’y a pas encore le métro à Gagnoa et que je veux absolument piger la nature de ce frémissement. Me faudrait un stéthoscope. J’entends malgré tout un bourdonnement.
Pas d’erreur : des gens existent sous la chape de ciment.
Je passe dans le couloir pour écouter encore. La lointaine rumeur de vie continue. Et moi, afin de délimiter le territoire secret, de poursuivre cette étrange auscultation du sol, comme Gulliver ausculterait un géant. L’opération me conduit dans le merveilleux jardin tropical. Les dalles des allées, quand on y colle l’oreille, laissent passer l’étrange respiration souterraine. J’accède à une construction octogonale, aux cloisons de verre, sorte de jardin d’été, contenant un bel échantillonnage de la flore du Bassin Parisien.
J’y pénètre. Des appareils y ronronnent, pour créer les conditions climatiques nécessaires à l’épanouissement des plantes.
« Voilà, pensé-je, le cœur irriguant le petit univers souterrain. Tout au moins, sa voie d’accès. Cherche, Médor, cherche ! »
Me faut pas longtemps pour trouver. Au centre du jardin d’hiver d’été, il y a une jardinière carrée d’un mètre vingt-trois de côté. J’en examine la base. Constate qu’elle repose sur des roulettes engagées dans des gorges de ciment. Je m’arc-boute pour pousser le récipient de fibrociment amadoué, et manque m’affaler, car la résistance est beaucoup plus faible que ma pression.
L’entrée est là.
Un escalier de fer comportant une dizaine de degrés me conduit à un sas de béton dans lequel prend une porte. Elle n’est pas fermée.
* * *
Lalère !
Ce que vous ne voyez pas à l’étalage, demandez-le à l’intérieur.
Pour tout te révéler ; c’est encore plus beau au sous-sol qu’au reste-chaussée.
Les tapis sont tellement onctueux qu’il est inutile de se déplacer en chaussettes pour amortir le bruit de ses pas. Des chefs-d’œuvre d’ivoire garnissent les vitrines du couloir principal, ainsi que des choses en or ciselé.
Un bruit de conversation m’induit vers une pièce sur la droite. La porte à deux battants en est ouverte (avec moi, cela représente trois battants). J’écoute avant d’inscrire ma personne dans l’encadrement. Dur, de refréner ma pugnacité. Mais plus prudent.
Voici la scène radiophonique dans son intégralité :
VOIX d’HOMME : J’ai l’impression qu’il (ou ils) tarde (nt) beaucoup ! J’ai envie d’aller aux nouvelles.
VOIX DE FEMME : Ne soyez pas inquiet pour Jan, rien de très facheux ne peut lui arriver.
V d’H : Quelle confiance !
V de F : Oui, mais quel homme !
V d’H : Amoureuse ?
V de F : Asservie, serait plus juste.
V d’H : Il a de la chance !
V de F : J’en ai également.
V d’H : Mes compliments. (Un temps.) Vous pensez repartir cette nuit ?
V de F : Le plus vite sera le mieux.
V d’H : Et mon pensionnaire ?
V de F : On va s’arranger pour l’emmener. L’affaire est maintenant trop brûlante pour qu’on puisse prolonger cet état de choses.
(Un temps assez long. Le commissaire San-Antonio s’apprête à intervenir, mais la voix d’homme reprend :)
V d’H : Vous conservez le neutraliseur ?
V de F : Et comment ! Il nous a coûté assez de maux. Vous savez que les Russes ont failli m’expédier à Moscou ! Imaginez alors ce qu’aurait été mon sort. (Rire de femme.) Le plus drôle, c’est qu’ils en ont fait venir un autre à Londres pour me faire dire où se trouvait le premier.
V d’H (curieuse) : Qu’éprouve-t-on ?
V de F : Rien, justement. À peine conserve-t-on la chose en mémoire.
V d’H : Aucune douleur ?
V de F : Pas la moindre. Peut-être un picotement aux yeux, comme lorsqu’on tombe de sommeil. D’ailleurs, vous avez vu fonctionner l’appareil sur votre copain, hein ?
V d’H : Stromberg n’a pas voulu que j’assiste à la séance. (Un temps.) Il n’a confiance en personne, on dirait.
V de F : (Ton amusé, révélateur d’admiration amoureuse.) Il est prudent jusqu’à la maniaquerie, ce qui ne l’empêche pas d’être téméraire au-delà du possible.
(Encore un long temps de silence. Bruit de liquide bu.)
V d’H : Écoutez, vous avez beau dire, moi je commence à trouver son absence alarmante. Ce flic français n’était peut-être pas aussi mal en point que ne l’affirmait la grosse Martha.
V de F : De toute façon, il n’est pas de taille à inquiéter sérieusement Jan ; cela dit, téléphonez à l’hôtel si bon vous semble.
V d’H : Je me méfie du téléphone, je préfère aller voir sur place.
(Bruit de pas.)
Quand le gusman sort de la pièce, je suis prêt à l’accueillir, le canon de mon feu bien assuré dans ma paume, la crosse présentée comme la tête de linotte contondante d’un marteau.
Sitôt qu’il surgit, je le frappe au milieu du front, sans prendre le temps de le saluer près à lavement [24] Expression qu’emploie Béru au lieu de préalablement.
. Il morfle le coup de buis avec la sidérance d’un bovin et choit de lui comme un cache-pot d’une console à Asnam (ex-Orléansville).
C’est seulement lorsqu’il est croquevillé sur le sol que je l’examine. Il s’agit d’un gars d’une rantaine d’année, mince, chauve précocement, avec une couronne de cheveux blonds, plus une vingtaine soigneusement étalés sur le dessus de la pagode. Son regard chaviré est celui d’un hareng frappé par le saur quand il vient de sortir de saumure.
— Vous êtes tombé, Marcellin ? demande la voix de femme dont j’ai omis de te signaler qu’elle était imprégnée d’accent britannique, mais qu’est-ce que t’en as à foutre, Seigneur !
Je happe ma victime par son col de veste et la traîne dans la pièce, tout en conservant mon revolver en main.
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