Il fait miauler un dernier baiser dans l’air déjà embrasé.
— Ah ! ma gosse, lui crie-t-il, tu sais pas ce que tu perds. C’est pas ton julot en copropriété qui te fera jamais connaître la grande séance pâmante.
Tandis que je l’éloigne, il commente :
— Même si c’est une épée de plumard, ton Obolan, c’est pas possible qu’il fournisse de l’extase à toute sa volière, soyons juste ! Ces dames doivent prendre des numéros d’appel pour la séance de lissage de plumes. Admettons qu’il s’en bricole trois par jour, même pour un superman du slip Éminence, c’est la moyenne maxi, non ? Conclusion, y a chaque noye une tripotée de pauvrettes qui sont obligées de se faire un solo de mandoline avant de s’endormir. Moi, ça me fend l’âme, surtout quand on pense que c’est du cheptel trié sur le volet…
Il poursuit longtemps encore ses lamentations tandis que nous dégustons l’ombre odorante d’un Bornibus-Amora en fleurs extra-fortes sur la pelouse.
Ayant trop parlé, le Mahousse a soif.
C’est pour lui un nouveau motif de râlage. La picolanche à Aigou, c’est le régime aqueux. Cette complète absence de picrate, ça le déprime, mon Nounours. On lui indiquerait une succursales des vins du Postillon qu’il nous dirait « Bonsoir les petits ».
En soupirant, il s’approche d’un robinet et l’actionne.
Je pousse Finaud du coude.
— Mate la grimace qu’il va faire, lui qui a une sainte horreur de la flotte.
Mais je l’ai in the bab’. Voilà mon Gravos qui écluse à grands traits ! Il est irrassasiable. Et le plus fort, c’est qu’il semble y prendre goût !
Lorsqu’il a terminé, gavé, il se redresse et, s’essuyant les lèvres d’un revers de gandoura, il affirme en nous virgulant un clin d’œil :
— C’est pas de la flotte, les gars. C’est de la gnole ! Ah ! Ils sont futés dans leur genre, vos Arbis ! Pas bête, le robinet en plein air. Mine de rien on fait semblant de se rafraîchir et…
Il n’a pas plutôt achevé que la Vieillasse a déjà son long nez sous le robinet. À peine a-t-il tourné celui-ci qu’il se met à cracher en hoquetant comme un qui a des démêlés avec son estomac.
Je mets un doigt sous le jet impétueux et je goûte.
— Mais c’est le robinet de pétrole ! m’écriai-je.
— Tu crois ? soupire le Gros.
Il fait claquer sa menteuse, et, ayant de ce fait mis en émoi ses papilles gustatives, finit par admettre que j’ai raison.
— J’ai bien cru que c’était de la gnole, s’excuse l’ignoble. Sur le moment, on peut se gourer. D’accord, c’est pas très fameux, mais je vais vous dire, ça change d’avec cette cochonnerie de thé dont au sujet duquel j’ai toujours l’impression de boire des tisanes.
Nous ne voyons pas Obolan de la matinée. À midi, nous avons droit à un copieux déjeuner, composé d’oreilles de chacals à la pâte de dattes, de courgettes fourrées aux fourmis rouges et de miel au sucre en poudre. Après quoi l’heure de la sieste nous neutralise pour un temps. Entre deux et quatre de l’après-midi, tout le monde roupille, à Aigou. Les grands et les petits, les hommes et les femmes. Les factionnaires du palais s’appuient sur leur fusil et n’ont qu’un œil entrouvert. Le gars moi-même profite de cette léthargie générale pour aller se promener dans les couloirs. Je musarde lentement, en adoptant l’allure somnambulesque du monsieur qui a une crise de foie et qui se rend à son armoire à pharmacie.
Parvenu au bout de l’aile gauche, j’entends un ronron de conversation. Ce qui me titille les trompes d’eustache, c’est le fait que la langue employée n’est pas du kelsaltipe. Je ne la comprends pas, mais elle me dit quelque chose. Ses sonorités me sont quasi familières.
Je tends un peu les manettes, et je ferme les yeux pour mieux me concentrer. Ça y est, c’est pigé : du russe, mes chéries.
Je me trouve devant les appartements des deux hommes blonds. Oh ! mais alors, voilà qui ne manque pas d’intérêt.
Je me tire sur la pointe des pinceaux et c’est dehors, à l’ombre d’un parabellum-rarissima que je fais le point of the situation. En somme, si j’avais la possibilité de faire au Vieux un premier rapport, je lui dirais que deux Russes sont au palais de l’émir Obolan et qu’ils dirigent de minutieuses recherches à l’endroit où l’avion de la Trans-Lucide se posa. Que recherchent-ils ? That is the question.
Une légère toux me fait relever la tête.
Qu’avisé-je derrière sa fenêtre écrasée de soleil ? La belle Lola. Elle me considère de ses grands beaux yeux tristes. Je lui souris : elle me sourit.
Comme il a raison, le Gros, quand il déplore qu’Obolan ne parte pas en croisière. Elle est tellement sensationnelle, cette gosse, que je risquerais la mort pour un quart d’heure passé en sa compagnie, si la mort en question n’était provoquée par un suppositoire en bois d’arbre.
Je mate alentour : nobody ! Lors je risque un petit geste du bout des doigts. La fille se retire de la fenêtre et qui vois-je apparaître à sa place ? Ce brave émir, entièrement dévêtu. Je déguise mon petit bonjour en grattage de tempe, selon la technique éprouvée des acteurs jouant Labiche.
Il me virgule un hochement de tête.
— Vous ne faites pas la sieste, étranger ? me demande-t-il de sa voix suave et inquiétante.
— Je préfère la fraîcheur de vos arbres, Majesté, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
— Faites, mon ami, faites, me répond-il, moi je vais prendre quelque félicité avec ma favorite.
— À Votre santé, Sire, soupiré-je misérablement.
Lorsque la vie reprend son cours normal, je vais retrouver mes copains.
Ils dorment encore. Au soleil, il devient boa, Béru. Je secoue Pinaud et je dis à Sirk de se lever.
— Mon pote, fais-je à ce dernier, si la chance ne fait pas trop sa chichiteuse avec nous, il se pourrait que nous quittions le patelin dans pas très longtemps.
Son regard s’allume.
— Vraiment ?
— Mettons dans deux ou trois jours, poursuis-je. Seulement il faudrait que tu me trouves un moyen de correspondre avec Béotie. Ça doit exister, ici, non ?
— Je l’ignore, se renfrogne-t-il.
Il se dit, le pauvre Sirk, que si notre départ est subordonné à l’installation d’une ligne téléphonique Aigou-Béotie, on est encore en vacances chez Obolan pour un bout de temps.
— Il y a probablement une liaison radio, fait-il.
— Alors cherche où elle se trouve, Pinaud t’accompagnera.
Et je fais un signe éloquent à la Vieillasse pour lui demander de veiller au grain.
Pendant leur absence, le Gros (enfin réveillé) et moi, mettons au point notre spectacle du lendemain. Car il y a cela à quoi il faut songer. Nous sommes ici en qualité d’artistes. Nous devons exécuter un numéro.
Béru calme mes craintes.
— Ne t’occupe, Gars. Je vais faire une démonstration de catch qui fera tout le succès de la soirée.
— À condition que tu aies un partenaire ! objecté-je au modeste.
Il secoue vigoureusement ses — précisément, vigoureuses — épaules.
— C’est pas les partenaires qui manquent, dans ton palais des mirages, Mec.
Pour plus de sûreté, comme on dit à la P.J., je demande audience au souverain. Il nous reçoit pendant son petit conseil.
Je suis confus de pénétrer dans cette salle où s’organise la vie de l’émirat. Il y a là le président du conseil des sages : le grand Jmèmeti avec son gonfleur d’applaudimètre particulier, le gros Pomppi, surnommé le doux par opposition à son prédécesseur qu’on avait sobriqué l’amer. Ont pris place également autour du tapis (d’Orient) vert, Ben Jiskar, le secrétaire d’état à l’indigence, Pie-Z’Allhé, le ministre des sables et cactus ; Malchnouf, l’emballeur de Vénus de sa majesté ; plus le vice-sous-secrétaire d’État à la sécheresse ; plus le colonel Ganache, attaché par les pieds à la maison personnelle de l’émir ; ainsi que l’intendant général des feuilles de rose et l’amiral Mar-El-Delplata, commandant en chef de la mer de sable. C’est vous dire si je suis impressionné.
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