Sa rombière ouvre son sac à main, se saisit d’une glace et s’y fixe cruellement pour pouvoir nous enguirlander à tête reposée. Elle se met, comme l’avant-veille, à nous raconter ce que nous sommes, en commençant par le plus gentil : deux dévoyés, deux fripouilles innommables, deux sadiques, deux…
— Belle-maman, chuchote le blessé, vous permettez que je vous dise quelque chose, à vous et à beau-papa ?
La bajouteuse se tait, un peu surprise :
— Dites, mon gendre ! permet-elle, vu qu’il est grièvement blessé.
Clistaire et elle se penchent sur le lit de souffrance de Mathias, attentifs. Derrière ses bandelettes, il les regarde alternativement, le brave Rouquin.
— Hier, dit-il, je me trouvais dans un état second propice aux grandes réflexions. J’ai fait mon examen de conscience…
— Tout de même ! girouette la vieille.
— … plus un tour d’horizon très complet, poursuit Mathias.
— Etes-vous parvenu à en tirer une conclusion valable, mon garçon ? sentence le toubib à barbiche.
— Oui, dit notre collègue, oui, beau-papa, j’en ai tiré une conclusion, et qui plus est, je me suis dressé une règle de conduite pour l’avenir !
— Dieu est grand ! fait la papesse. Quelle est cette conclusion ? Quelle est cette fameuse règle de conduite ?
Mathias me désigne le verre d’Evian posé sur sa table de chevet. Je le lui tends et il en boit une gorgée, ce qui fait faire la grimace à Bérurier.
S’étant hydraté la menteuse, il reprend :
— Ma conclusion, belle-maman, c’est que vous êtes deux horribles choses, le vieux et vous.
— Il délire ! s’égosille t- elle.
Mathias ricane :
— Non, mémère. J’ai toute ma tête, bien qu’elle soit entortillée de gaze. Vous êtes deux vilains corbeaux galeux, deux furoncles verts, deux ordures, quoi ! Dès que je pourrai me lever, je dirai à Angélique de faire ses bagages et nous retournerons à Paris avec notre enfant. J’ai pas envie qu’il devienne un petit maniaque à votre contact. Petit-fils de pape, c’est pas une condition sociale !
Blême comme son surplis d’officiant, Clistaire déclare :
— Je vais sonner pour qu’on lui administre une piqûre de glomifuge phosphoré, visiblement il n’a pas ses esprits.
Il s’approche déjà de la poire, mais Béru s’interpose.
— Ecoutez, mon vieillard, dit-il d’un ton conciliant. Ça se voit gros comme tout c’t’hôpital que le Mathias ne déconne pas. C’est avant qu’il roulait sur la jante ! Vous l’aviez envapé de première ! Maintenant la rédaction s’est faite et il y voit clair. Vaudrait mieux que vous déguerpissassiez !
La Mégère se propulse au chevet de son indigne gendre.
— Et vous vous imaginez qu’Angélique vous suivra, misérable ?
— C’est ma femme, répond noblement Mathias. Si elle m’aime, elle m’obéira ; si elle ne m’aime pas, je n’en ai rien à fiche et vous pourrez la garder avec son lardon en prime. Maintenant disparaissez, puanteurs vivantes ! J’ai à causer avec ces messieurs !
Vous verriez ce spectacle, mes chéries ! Ce two men chauve ! Ils trépignent comme des pantins à ficelle, les Clistaire. Elle en a les bajoues qui floconnent, la belle-doche. Et le vieux, c’est sa barbichette qui joue la saint-cyrienne, droite, hérissée, en poils d’artichaut tout à coup !
Ils liment des choses horribles ! Ils s’insurgent avec un bruit de scie à marbre. Ils menacent. Ils disent que l’asile psychiatrique de Bron est à deux pas et que le bon docteur n’a qu’un mot à signer pour qu’il y soye embastillé à vie, Mathias. Une moulinette en guise de chapeau et le pantalon à la Dagobert’s king, tel il finira, dans une chambrette capitonnée. Elle va dare-dare convoquer le concile séraphique, Sa Sainteté Clistaire I er! A votre Sainteté, m’sieurs-dames ! Ses points cardinaux vont prendre les mesures d’urgence : réclamer du ciel le châtiment abominable qu’il mérite, le brave Rouillé. La langue lui tombera, pour avoir osé prononcer des paroles pareilles. Ce à quoi il leur rétorque que ses poings ne lui tomberont pas et qu’il leur démolira la bouillasse s’ils viennent trop le faire tartir.
Je sonne la garde ! Je dis que les Clistaire ont une crise d’hystérie et qu’il conviendrait de les évacuer. Ma qualité de commissaire prévaut sur sa qualité de toubib. Devant l’agitation du couple, et en les entendant invectiver, les infirmières appellent des infirmiers colosses, de ceux qui vous coltinent à bout de bras comme des bébés en cellulo. On finit par expulser leurs béatitudes si peu béates. Le silence revient enfin et Mathias éclate de rire.
— Ce que ça fait du bien ! dit-il. Fallait-il que je sois nouille-aux-œufs pour subir le climat de ces deux fous !
— Baste ! ça sera été ta période gâteuse, rassure Béru. T’avais les claouis endormis par l’amour, mais maintenant que t’as réagi t’es sauvé, mec. T’es sauvé !
On lui serre chaleureusement sa main virile. Vive l’Homme avec un H et des choses majuscules !
— Maintenant, décidé-je, passons aux questions sérieuses : raconte !
Il me cligne de l’œil.
— J’attendais votre venue, m’sieur le commissaire.
Il allonge ses mains sur son drap.
— L’autre nuit, après vous avoir quittés, je suis rentré à la maison. Juste comme je refermais la porte du porche et tandis que je tâtonnais pour trouver la minuterie, quelqu’un m’a appuyé le canon d’un pistolet dans le dos et une voix de femme a murmuré avec un accent étranger : « Pas un mot, pas un geste sinon vous êtes mort, mon arme est munie d’un silencieux. » Je n’ai donc pas bronché. Nous avons poireauté un instant dans le noir. Mon agresseur voulait s’assurer de votre départ, je suppose. Et puis j’ai entendu arriver une auto. J’ai eu quelque espoir, mais j’avais tort car il s’agissait d’un complice. La femme qui me tenait en respect a rouvert la porte. Un homme aux cheveux calamistrés se trouvait de l’autre côté. Lui aussi braquait un pistolet. Il m’a fait monter à l’arrière de l’auto et il a pris place à côté de moi, tandis que la fille, une superbe blonde, s’installait au volant…
Il se tait, essoufflé.
— Tu veux t’arrêter un peu ? je propose.
Mais Mathias tient à finir son récit. Il en sait toute l’importance. C’est un bon flic.
Je lui redonne son verre. Il boit. Béru propose d’aller acheter un peu de bourgogne, affirmant que ça lui redonnerait des forces. Je l’en dissuade et Mathias reprend, d’une voix un peu hachée.
— Ils m’ont conduit dans une maison sinistre, du côté de Saint-Clair…
— Je sais, fais-je, c’est nous qui t’avons délivré.
— J’avais reconnu votre voix, quand vous engagiez mon gardien à se rendre, assure le blessé.
— Une fois là-bas, que s’est-il passé ?
Le Rouquin respire un grand coup.
— Un type nous attendait, vous avez dû le voir ?
— Il a fait mieux que le voir, rigole l’Aimable, puisqu’il l’a assaisonné !
Mathias hoche la tête.
— C’est pas volé ! Quel salaud ! Ils m’ont enchaîné et se sont mis à me torturer pour me faire parler.
— Que voulaient-ils savoir ?
— Qui vous étiez et ce que vous saviez.
— Nous ? s’étonne le Gros.
— Au début, murmure Mathias, j’ai dit que je vous avais connus à Paris. Mais ça ne les a pas satisfaits. Ils m’ont affirmé que Bérurier n’était pas un vrai professeur, ni vous un vrai Noir, m’sieur le commissaire !
— Pas un vrai professeur, bredouille le Gros, anéanti. Les abrutis !
— Ils ont quelqu’un dans la place, assure le Brasero.
— Un des élèves, le renseigné-je, un dénommé Abel Cantot.
Читать дальше