« “Comment tu fais, Sandry, pour résister ?”
« “Je pense à Edouard VII”, j’ai répondu.
« Il a cru que je me payais sa bouille et ç’a l’a dévasté de plus belle. »
Le Gros pose son chapeau et, au moyen d’un peigne à trois dents, se recoiffe.
— Pourtant, fait-il, c’était bien à l’Edouard VII que je pensais. Je me disais que j’avais réussi le même exploit qu’un roi Rosbif et ça me dopait l’honneur national. C’était méritoire pour un manant, non ?
Il interrompt là son récit.
— En conclusion, dans une noce, ne saoulez pas les musiciens, c’est trop lourd de conséquences. Bien sûr, faut qu’ils se mouillent la meule, mais alors entendez-vous avec les loufiats pour qu’ils leur mettassent de la flotte dans le pinard.
« Revenons maintenant au déroulement. Pendant le bal de noces, le marié doit très peu danser. S’il gaspille ses forces en valses, qu’est-ce qui lui restera pour la java de la nuit, hein ? S’agit pas de rater le départ, les gars ! Je me rappelle d’un de mes copains qui s’était tellement dépensé en pas z’au double que, le soir venu, il pouvait plus se tenir debout. Sa Madame toute neuve attendait son taf de vertige, mais tout ce qu’il lui a joué, c’est un solo de ronflette. C’est triste pour une nuit de noces, non ? La pauvrette a bien essayé de se prodiguer et de le démarrer à la manivelle, mais il avait les bougies trop encrassées pour que la carburation se fisse. Vous imaginez, cette mignonnette en train de se faire un gala à tarif réduit, tristement, près de son ronfleur ? Le lendemain il avait tellement honte dans son bunoust [21] Le bunoust : le lit.
, le jeune marié, que ça lui a mis la frénésie en torche, son manquement de la nuit. A la merca [22] La merca : la lumière ! Argot que j'utilise à l'intention de mes amis de l'X San-A.
il trouvait plus le moyen de planquer sa confusion. Elle pantelait, sa confusion. Elle se recroquevillait timidement. Ça lui avait sabordé le mental. Et vous le savez, mes potes, mais dans ces cas-là, lorsque la gamberge vous jette un défi, vaut mieux pas insister. Les plombs ont sauté, quoi ; c’est pas de titiller l’interrupteur qui rétablira le courant ! Six mois plus tard ils ont divorcé vu que la petite dame était toujours déguisée en demoiselle. Tout ça parce que le marié avait trop gambillé à sa noce ! Alors avis ! »
Bérurier extrait un deuxième litron de sa serviette loqueteuse. Il boit, savoure, avale.
— Puisque je suis t’arrivé à la nuit de noces, faut qu’on en cause. Prenons un peu avant : au départ du bal en loucedé. La tradition veut que ces pommes à l’eau d’invités guettent la fuite des mariés et qu’ils leur fassent tout un chabanais. Je vais vous donner une ruse. Seulement, pour ça faut un complice : le père de la mariée ou le beau-père par exemple.
« Entre deux danses, le marié il demande à la cantonnière si quelqu’un aurait pas un peu de faf à train, biscotte, prétend-il, y en a plus aux ouatères. Une âme charitable finit bien par trouver dans ses poches une quelconque vieille facture ou une lettre d’amour. Le jeune marié, pour donner le change, il commence déjà à se déverrouiller ses bretelles, comme si ça presserait. Puis il se taille avec son papelard. Personne se méfiant, la danse reprend, la mariée se met à tangoter avec papa ou beau-papa. Mine de rien, son cavalier profite de la pénombre du tango pour l’orienter vers l’issue de secours. La môme met les voiles (c’est le cas de dire) et va retrouver son Roméo près de la porte des vécés. Il leur reste plus qu’à trotter jusqu’à leur charrette, et gode naïte la compagnie. »
Le Mastar cligne de l’œil.
— Notez, notez, recommande-t-il, même si vous seriez marié ça peut vous servir, vous ignorez ce que la vie vous réserve. Donc, poursuit l’Inexorable, la lune de miel est commencée. Vous emmenez Ninette dans la chambre d’hôtel prévue. Mimis mouillés. Ouf ça y est ! Enfin seulâbres ! T’es toute z’à moi, ma gosse ! Serre-moi fort dans tes bras, Lulu ! Dis, Mamour, tu y crois que c’est vrai : on est marida ? Et la séance de décarpillage a lieu. Faut procéder dans la lenteur : pas de frénésie, mes fils ! Du suave ! Faut que ça baigne dans le beurre, tout ça ! Vous la déloquez façon strip-tease, Poupette ! Savamment, doucement, avec des z’haltes, des entrecoupements de baisers fougueux. Demi-lumière (celle de la salle de bains suffit) ! Vous lui calmez la pudeur avec des beaux serments, ayez pas peur d’en rajouter, elle attend que ça, madame la jeune mariée. Promettez-y le grand mirage, le bonheur fou, la fidélité pour toute la vie et même après ! Assurez-lui que ça s’arrêtera jamais, vous deux ! Jurez-lui bien qu’à dater de dorénavant, vous entrez dans le grand cirage des sens pour plus en sortir ! Vous v’là enfermés à la Trappe du suave ! Les yeux dans les yeux, la bouche contre la bouche et le scoubidou dans la tasse à thé, tels vous serez désormais pour l’éternité ! Faut qu’elle ait son ticket pour le paradis des voluptés, la gentille, absolument. C’est sa noye à elle ! La pothéose du baigneur ! Tout en causant et en promettant la lune, vous lui déballez la sienne. C’est très important, les gars, qu’au premier coup d’intimité, elle soye à poil et vous fringué. Ça établit votre supériorité, comprenez-vous ? Elle prend la mentalité de l’esclave ! C’est bon pour l’avenir ! Faut que vous vous affirmiez seigneur ! Elle, elle est nue, et vous en noir, avec cravate blanche ! Ça représente une planète d’écart.
« Toujours habillé, vous commencez de l’entreprendre à bloc. Qu’elle sente bien le râpeux de vos frusques sur sa peau, ça gratte, un mâle ! Ça endolore ! Tâchez-moi de lui filer une fumante première séance ! Qu’elle en oublie sa date de naissance, nom de Dieu, et l’adresse de ses parents ! Qu’elle en oublie le français ! Faut qu’elle se mette à parler chèvre, mes amis, à parler chienne, à parler vache ! Faut qu’elle comprenne sa douleur et qu’elle l’oublille ! Faut qu’elle soit pleine d’urticaire ! Qu’elle fume ! Qu’elle supplie ! Qu’elle meure deux fois, trois fois, dix fois ! Faut la bousiller à coups de tendresse ! La ranimer à coups de tendresse. La porter, la transporter, la rouler, la piloufacer, l’engloutir dans le pâmé et la repêcher ! Si vous la réussissez somptueusement, dès le premier soir, votre bergère, l’avenir elle est à vous ! Foie de Bérurier ! Et je chahute pas avec mon foie ! »
Il s’offre une quinte de toux, vite calmée par une rasade de juliénas.
— Bien entendu, continue l’Initiateur, le nombre des petits z’impatients qu’ont pas attendu la nuit de noces pour jouer Monte-là-dessus est de plus en plus conséquent. Peu importe ! Faut toujours qu’une nuit de noces soye une première de gala, les gars. Toujours ! C’est Noël, même si la vierge l’est pas tellement ! Et maintenant que je vous ai conseillé de ce qu’il faut faire, examinons un peu ce qu’il faut éviter.
Il se fait chanter les lampions entre le pouce et l’index. Ça produit un petit bruit geignard comme lorsque le pompiste vous nettoie le pare-brise avec son râteau de caoutchouc.
— Primo, fait-il, tout en se fourbissant les orbites, voyons pour l’homme. Au moment qu’ils entrent dans leur chambre d’amour, il doit éviter les réflexions telles que les suivantes : « Tiens, ils ont changé le papier de la tapisserie depuis que suis venu » ou « J’espère qu’y a pas des punaises, comme à l’hôtel de la Tringlette où j’allais avec Simone ».
Béru réfléchit encore, en homme soucieux de ne rien omettre.
— Et puis, continue le Vaillant, au moment des effusions, que cette truffe de mari aille pas chuchoter, pour lui calmer les angoisses, à sa souris : « Laisse-toi faire, Lolotte, j’ai l’habitude » ou bien, impatienté : « Si elle te fait peur je vais l’offrir à des que ça leur fera plaisir ». Ou même (y en a qui en sont capables) : « Eh ben dis donc, ma petite fille, t’as le coup de reins mollasson, faudra travailler tes abdominaux ». Eviter aussi de l’appeler par un autre prénom que le sien, ce qui pourrait la froisser. Si elle s’abandonne comme une planche à repasser, au lieu de lui chercher des griefs, complimentez-la. Les gonzesses les plus prudes aiment qu’on leur fasse croire qu’elles sont des championnes de l’amour. Plus elles bavouillent triste, plus elles se croyent courtisanes et sont fières de l’être. Ce qui indique qu’elles méritent vos encouragements puisque en dedans de leur cœur elles ont la vocation. Aussi, après la séance de radada-à-crinière vous poussez un sifflement ébloui et vous murmurez : « Fichtre, pour une blanche colombe, t’es aussi dessalée qu’une morue, gamine ».
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