« Toujours chatoyer, les gars ! On les a à l’embellie. Je vous parie un fond de mercerie contre un fond de culotte que le lendemain, la chipoteuse de clavier est là, sur son trente et un. Ne soyez pas louf, surtout, à faire le poireau dès deux plombes ! Oh que non ! L’astuce consiste à se pointer avec une demi-heure de retard pour que la jeune vierge aye eu le temps de mijoter dans son angoisse. Du coup, elle est folle de joie en vous voyant. Vous chiquez à la panne de métro ou à l’encombrement de circulation. Vous lui prenez la pogne et vous murmurez, le regard noyé dans votre godet de Morgon :
« “Ah ! Germaine (si qu’elle s’appelle Germaine, œuf corse) ah ! Germaine, y dépend plus que de vous que je meure dorénavant d’estase ou de chagrin !”
« Si vous réussiriez une petite larmouille effarouchée, à cet instant, ça porterait le comble. La gosse, dopée, la voilà lancée dans la roucoulanche. Vous avez plus qu’à l’écouter, elle fait tout le boulot, comme dans un autre genre, votre bergère quand vous rentrez schlass à trois heures du matin. En résumé, l’arme du grand timide, c’est le romantisme. Y a que comme ça qu’il retombe sur ses pinceaux avec un joli râle à la Gérard Philipe.
« D’autres conseils, maintenant, enchaîne l’Intarissable. Quand vous drivez une gosse au ciné pour une petite partie de paluches, mettez pas de futal à fermeture Eclair, d’abord parce que ça fait du bruit dans le silence et qu’ensuite vous risquez de vous coincer au cas où les circonstances vous obligeraient à la précipitation. Rien ne vaut les braves boutons de nos grands-pères. A la chasse, poursuit l’Infatigable, ne pas profiter d’un taillis pour une saillie express. Des fois on est à l’affût avec une dame et comme rien ne débouche, plutôt que de laisser chômer son Lebel on décide de faire un autre carton. Dans ces cas-là, jamais s’allonger dans les fourrés. Ça intrigue les clébards qui viennent vous faire taïaut-taïaut sur le fignedé. Un miraud quelconque s’empresse alors et vous file une volée de chevrotines dans le valseur avant que vous eussiez le temps d’annoncer vos couleurs. Le jeune chasseur qui prend des fantaisies doit s’octroyer la Diane contre un arbre, jamais à l’horizontale. Vaut mieux être vu en train de jouer les scieurs de long que d’être confondu avec un garenne. »
Il essaie de cracher, mais en vain : plus rien ne sort de ses muqueuses déshydratées par le verbe.
La voix s’enroue, mais elle reste audible et véhémente.
— Je voudrais attaquer le chapitre de l’étudiant, malheureusement, j’ai jamais été au lycée et si je suis été à la fac de médecine c’était pour une affaire d’autopsie. Pourtant, j’ai un neveu qui a réussi un jour son entrée en sixième. Hélas, le môme Roger avait des déboires avec le latin. Tant qu’il avait été enfant de chœur il s’était payé des « Amen » impecs, mais au lycée, dans les grincheux grimoires bourrés d’inclinations, de décoctions et de tribulations il perdait la manette des gaz, Roro. Une vraie débâcle ! Ses vieux, mécontents, l’houspillaient et se saignaient pour lui payer un répétiteur. Fallait le voir, le pauvre biquet, bêler des trucs biscornus. Y causait toujours de la pommade Rosa dans ses divagations. Rosa, rosa ! qu’il bafouillait, la larme à l’œil ! Je croyais, au début, que c’était le blaze de sa bonne amie, et qu’il chevrotait son prénom pour se mettre du cuisant dans le vague à l’âme. Rosa ! Rosa ! Mais pas du tout, ça faisait partie de son programme, m’a espliqué son dabe. Et mon pauvre neveu de pleurnicher à tout va : Rose à Rome ! (ou Rose-arôme, j’ai jamais bien pigé s’il s’agissait de la ville ou de l’odeur). Rosis, aussi, ça me revient ! C’était lui qui rosissait !
« Pour comble de guigne, quand il a atteint sa quatrième, après avoir redoublé chaque classe, il s’est payé un pion vachement coriace qui l’avait pris en grippe et lui faisait des avanies saignantes. Brimades, humiliations, colles, devoirs supplémentaires, il lui donnait un vrai récital morpionesque. Roro en dépérissait, en rêvait la noye, en faisait pipi au pieu !
« Et pire, même, il flouzait dans son froc en apercevant cette carne ambulante. Parole, mon neveu sentait la crotte, dans ce lycée. Les parents se lamentaient, mais ils osaient pas intervenir. Un matin de Noël, j’ai cramponné Roger dans un coinceteau, à l’écart, et j’y ai tenu le langage suivant : “Ecoute, gamin, t’as le devoir de supporter tes profs, mais pas tes pions. La prochaine fois que m’sieur Peau-de-vache te fera de l’arnaque, file-lui un doublé à la face…” Faut vous dire qu’il était costaud, Roger, baraqué comme son tonton. Aux vacances, j’y inculais les rudimentaires de la boxe. Il rosit, rosa, rose à Rome un bon coup et me répond :
« “Tu rigoles, Tonton, j’oserais jamais ! Qu’est-ce qui se passerait ?”
« Y se passera que cet enfoiré te laissera peinard, voilà ce qui se passera, je lui promets.
« Bon, poursuit le Gravos, les vacances finissent. Le gamin retourne au lycée. Ça ne rate pas, son père fouettard le chambre, bille en tête, à la première minute.
« “Vous, là-bas, l’horrible Bérurier, qu’il s’écrie, le morbach, sortez vos mains de vos poches !”
« Le sang du Roro fait qu’un tour. L’horrible Bérurier ! Je vous demande un peu ! Jamais un Bérurier a été horrible. Le môme vient se planter sous le nez à Peau-de-vache.
« “Si je les sors, mes mains, vous en entendrez causer”, qu’il lui lance hardiment.
« C’était bien répondu, admettez ? Le pion devient verdâtre comme un bouillon de poireau.
« “Si vous sortez pas tout de suite vos mains, je vous mets quatre heures de colle !”
« Alors là, il s’est souvenu de son tonton Alexandre, le brave lapin. Je m’ai fait espliquer ensuite, par lui et par les témoins. Il a commencé par un crochet au foie à la Charles Humez. Ensuite ça n’a pas z’été un une-deux à la face, mais la grande série asphyxiante, tant et si bien qu’il l’a mis K.O., le vilain pion !
« Y a fallu le coltiner à l’infirmerie pour lui faire renifler des sels et lui poser des agrafes. Il s’en est suivi tout un chabanais et on a viré Roro du lycée. Eh ben, ç’a été l’éveil d’une convocation pour lui. Il s’est fait boxeur, le garnement. A l’heure que je cause, le voilà vice-sous-champion des poids moyens de l’Eure-et-Loir et il doit prochainement rencontrer Kid Alphonse en grand super-gala à la salle des fêtes de Nogent-le-Rotrou ! Pour vous dire… La destinée !
« Notez, ajoute notre digne professeur, au bout d’un écheveau de réflexions, les pions c’est la préparatoire aux adjudants du service militaire. En v’là encore une drôle d’engeance, les juteux ! Bien que désormais, l’armée, sans colonies, c’est devenu une colonie de vacances. Je connais des vedettes mobilisées qui s’entendaient pas avec leur colonel. On a muté le colonel pour le remplacer par un autre bien gentil et favorable qu’aimait les artistes. Ça indique l’excellence du climat. De mon époque, c’était pas encore le pensionnat de Bouffémont, l’armée ! Bigre non ! »
Il fait un jeté-battu par-dessus le muret de sa mémoire et retombe en rigolant.
— Faut que j’ouvre une parenthèse, les gars. Vite fait, biscotte je sens que vous avez de la démange dans le buisson. Figurez-vous que je m’ai pointé dans les tirailleurs sénégaloches. Engagé volontaire. La guerre était finie, je voulais voir du pré. Y avait plus de médailles à ramasser, les aînés qu’étaient encore dans la carrière avaient tout sucré, les goinfres : les bannières et les croix ! La médaille de ceci et celle de cela sur fond de laurier-sauce. En France elle était sciée, l’aventure, remballée jusqu’à la prochaine, comme les crèches en janvier. Fallait aller musarder dans les possessions estérieures pour tenter de dégauchir du grade et de l’épopée.
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