« Je me rappelle d’une fois, tenez, pendant mon service, j’étais allé gambiller dans un dancinge de Pontoise. Je me revois comme ça serait d’hier sous la boule à facettes des tangos qui virgulait de l’éclat rouge autant que l’incendie des Nouvelles Galeries. On en morflait plein les cocards. Mais y avait que les frites d’éclaboussées. La brioche restait dans la pénombre, ainsi que la pogne explorateuse. Ma cavalière aussi je la revois comme ça serait d’hier. Une rousse, j’ai toujours son parfum dans le pif. Les rousses, c’est un régal, question odeur. Y a qu’elles qui sentent vraiment la femme. Pinder vous l’offre ! C’est quasi ménageresque, comme effluves. Ça chavire. Le nez, les hommes savent pas bien s’en servir. Ils posent des lunettes dessus sans se gaffer que ça sert aussi à autre chose. Pour vous en revenir, ma rouquine, je l’avais arrimée solide : une pogne au valseur, une autre dans le bustier. C’est ça, l’amour : cette instabilité d’humeur, ce besoin de tout cramponner, de tout obstruer, de tout bouffer, de malaxer comme du chwing-gum la madame, de bas en haut, jusqu’à ce qu’elle devinsse pâte molle et liquéfaction. La mienne, pour une rapide, je vous dis que ça. J’avais l’impression de tangoter avec un câble à haute tension. N’importe où l’on flanquait le doigt, c’était du 220 qu’on dérouillait. Les étincelles lui partaient de partout comme lorsqu’on pose dans le noir un sous-vêtement de nylon. J’étais tellement plaqué contre cette bergère qu’il me semblait que je devais être né avec elle, commak, face à face, emmêlés jusqu’au cœur de la laitue pour le meilleur et pour le pire ! Ça serait été comme si madame ma vioque venait de nous pondre sur la piste, à la minute, dans les flonflons langoureux de l’orchestre, sur un air espago bourré de guitare pleureuse. A la fin, la, musique s’est arrêtée qu’on continuait encore à se masser la calandre, les yeux fermés, tout seuls comme perdus au fond du monde. C’est le tôlier qui nous a réveillés, d’une bourrade dans les endosses.
« “Dites, les amoureux, si vous voulez prendre votre fade, cherchez un centre d’hébergement plus en rapport.” On a bredouillé des choses. Nos yeux ressemblaient à du papier collant. On est parti d’un pas chancelant jusqu’aux lavabos. Ça faisait vestiaire aussi. Y avait juste un gogue pour tout le populo. Un grand vilain en sortait qu’avait de la tracasserie dans les bretelles. Je crois qu’il lui manquait des boutons au bénard et que ça créait des difficultés. On l’a bousculé littéralement. On avait trop hâte d’en finir. Il nous a regardés foncer dans les latrines, refermer la lourde tant bien que mal, comme lorsqu’on est deux dans le téléphone. La rouquine bredouillait sa passion. Malheureusement c’était des vouatères à la turque. Voilà ma tatane gauche qui dérape sur des reliquats et qui passe par le trou. Je rapetisse illico de vingt centimètres. Je cherche à refaire surface, je tâtonne, je trouve la manette de la chasse. Elle représentait une pomme de pin, je me souviens. Comme si ça serait d’hier, je vous dis !
« D’un seul coup, dix litres de flotte me dévalent sur les arpions. C’était niagaresque. Ma godasse est entraînée par la catarasque. Good bye, André ! Je deviens unijambiste. Le charme est rompu. Des mecs, alertés par le bretelleux, tambourinaient pour qu’on ouvre. Une dizaine voulaient voir le spectacle, un onzième ne s’intéressait qu’à la lunette des cagoinces pour son usage. Il braillait qu’il avait trop bouffé de moules marinière à midi et qu’il y avait du drame dans ses entrailles. Fallait qu’on s’extirpe avant le grand malheur ! Je demandais plus que ça. La môme aussi, qui maintenant me traitait d’endoffé. On se gênait. Des gogues c’est assez grand pour un, mais trop petit pour deux. Surtout quand un des deux a une guitare dans le trou jusqu’au genou. J’ai pris la direction des opés. La tête froide, je conserve, même dans les alertes. Toujours le contrôle du self. Je m’ai retiré sous la chasse, laquelle se remplissait avec un bruit qui excitait le besoin de l’homme aux moules. La rouquine trépignait vilain.
« “Reste calme, ma jolie ! j’implorais. Entrouvre doucement la lourde et sors la première.” »
« Elle obéissait mal, trop frémissante, la nervouze débridée, sans retenue. Elle savait que me traiter d’horrible brute, d’enfifré et de je sais plus quoi ! Enfin elle a été dehors, dans les « hou-hou » de la populace indignée et bavante qui se régalait de ses bas en tire-bouchon. Ah ! elle avait pas la majesté grand siècle, cette pauvre chérie, à cet instant ! Le torturé de la marinière n’attendait qu’un passage. Il avait déjà le futal dégrafé, il le tenait juste à deux mains, paré pour la suprême manœuvre.
« “Excusez-moi, qu’il m’a lancé en entrant comme un dingue, avec des yeux hagards qui lui pendaient, tout rouges, sur les joues. Excusez-moi, je supporte pas les moules, surtout marinière”. Et il m’a offert la grande vision d’enfer, les gars. Pour lui c’était de l’ in extremis en effet. Sa dernière chance. Son feu d’artifice intime, magistral. Le bouquet suprême. “Ça me fait pour ainsi dire empoisonnement”, il s’excusait. Et à moi donc !
« Quand j’ai ressorti ma guibolle meurtrie, il continuait ses salves, le dérangé du gros côlon. Je l’ai laissé se dévaster à l’aise, enfin seul avec son problème. Mais j’étais salement défraîchi. La rouquine hurlait que j’avais voulu la violer, que je l’avais entraînée d’autor, chloroformée aussi, pourquoi pas ! On voulait me faire un mauvais parti. Mais je puais trop. C’est ça qui m’a sauvé ; on cogne sur un homme à terre, sur un nègre, sur un bancal, sur un faiblard, jamais sur un type barbouillé de chose. J’ai pu me tirer dans ma puanteur. Kif-kif les barlus en temps de guerre, pourchassés par le contre-torpilleur féroce, et qui disparaissent derrière un nuage artificiel. Le tourmenté de la moule marinière m’avait sauvé la vie à sa façon ! »
Béru s’évente du bada.
— Je vous ai narré pour l’exemple. Laissez pas vos fillettes aller toutes seules au bal. Les sens s’emparent et il s’ensuit des avanies comme celle-là.
Il se lève, s’étire un bon coup et nous sourit.
— Notez que la surprise-partouze dorénavant a remplacé le bal, la plupart du temps. Le disque et le visky causent beaucoup de dégâts chez les jeunes filles. Le disque, c’est devenu le grand prétexte pour feinter papa-maman.
« Elles en tapissent leur piaule des pochettes illustrées où qu’on voit l’Hallyday en bras de chemise au volant de sa tire, et les autres dans des postures avantageuses qui laissent rêver, qui donnent envie, qui font accroire.
« Les mousmés, maintenant, elles prétendent qu’elles vont confronter, soi-disant ils se groupent quelques copains chez une amie pour écouter un microsillon tout frais débarqué d’Amérique. Des trucs forcenés que je peux pas piffer quant à moi. Hystéros à mort, avec du cuivre qui vous pète dans les portugaises à grands coups. Tellement fort que c’est à se demander si c’est bien un bonhomme qui souffle dans l’instrument, ou non pas une machine à air comprimé ! Les Noirs, pour ce qui est du mistral en bronches, ils en connaissent un morcif ! Dans les réunions de discomanes, l’ambiance se chauffe rapidos.
« C’est le peloti-pelota en chambre. Rideaux fermés et porte close ! Un coup de picole, la lumière imperceptible, la fumaga des cigarettes et puis, l’idole braillarde, tout ça compose l’atmosphère. L’étourdissement s’empare. Ils chavirent dans le patin intense. Ils perdent les pédales dans cette tabagie. Les jeux de l’alcôve et du lézard, comme dirait mon chef, le très honorable commissaire San-Antonio. La partouzette adolescente. C’est notoire, maintenant, comment qu’ils sont portés sur le marché commun, les jeunes. Le libre-échange, ils sont pour. A bloc ! Et le démonstratif donc ! Une surboum, qu’ils appellent cette fiesta ; une surpate ! Tout le monde se farcit chacune. C’est l’abolition de la jalousie, dans un sens. On va vers la libération du couple, mes fils ! Vers l’affranchissement intégral. Pourtant, je me demande si c’est tellement indiqué pour l’éducation des jeunes filles ? Si c’est le vrai bon moyen pour prendre contact avec l’existence et ses délices ; si, de bavouiller comme on lit Elle c’est tellement indiqué, dans le fond ? Selon moi, dans la vie, l’amour c’est comme la cuisine. Un qui se cognerait que des sauces, en début de vie, il finirait par s’écœurer, par détester, non ? Tellement qu’ensuite sa tortore s’affadirait et qu’il perdrait le goût de la bouffe. Une gamine qui s’expédie au septième ciel avec tout un chacun et à tout bout de champ, sans que ça lui paraisse tirer à conséquence, elle blase ses sens, fatalement.
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