— Dites donc, San Antonio, me demande Favelli, vous avez été sérieusement intoxiqué. Pourquoi n’avez-vous pas tiré tout de suite ?…
J’hésite… Je hausse les épaules…
— J’espérais qu’elle se rendrait…
— Vous faites du sentiment ?
— Quelquefois.
— En tout cas, dit Baudron, vous ne l’avez pas manquée : en plein cœur.
— Oui, dis-je tristement, nos relations ont commencé par le cœur et ont fini de même… Heureusement qu’avant de tomber dans les pommes j’ai pu donner à la police les indications nécessaires… Sans cela les Nertex nous échappaient ainsi que Silbarn.
Favelli me regarde.
— Mon cher, vous êtes l’homme le plus casse-cou que je connaisse. Ça vous a réussi jusqu’à présent, mais prenez garde…
— Bast, il faut bien faire une fin !
*
Je bâille et soupire alternativement. Entre nous, je peux vous confier que je me sens désorienté, et vide comme la bouteille de champ que m’ont apportée mes collègues.
Mais laissez-moi me reposer quelque temps. Ensuite, je regagnerai Neuilly et je dirai à Félicie de me confectionner des rognons au madère, because c’est là mon aliment favori.
On a beau être un terrible, un as du contre-espionnage, un avaleur de balles, il y a des moments où l’on a envie de se faire dorloter. Aussi, tout San Antonio que je suis, je me dis comme ça qu’il me faudra pas mal de séances dans les permanents des boulevards pour que j’arrive à oublier la môme Julia.
Pourquoi une sirène pareille va-t-elle se faire espionne ; vous pouvez me le dire ?…
Quand je pense à ses cheveux dorés, à ses yeux limpides, à son sourire d’archange, je deviens tout bizarre. Je m’entortille dans du papier de soie. Je joue à Roméo. Je suis prêt à relire Musset, Lamartine et tous les mecs qui ont écrit des chouettes trucs sur l’amour, simplement parce que des poupées ont pris leur tirelire pour une demi-livre de pâté de foie.
Ça doit venir de ma faiblesse du moment…
Un de ces quatre, je vais remplacer la balle qui manque dans mon magasin de quincaillerie, et je vais me remettre au boulot.
Et plus il y aura de la casse, plus ce sera drôle.
FIN DU PREMIER ÉPISODE
Deuxième épisode
Une tonne de cadavres
Et huit jours plus tard le cirque a recommencé.
Je vais essayer de vous raconter ça.
Ceux qui en ont marre de ma prose n’ont qu’à fermer ce bouquin et à se débiner pour ne pas embêter leurs voisins ; les autres ont droit à un quart d’heure d’entracte.
Bonbons, glaçons, caramels, glaces, pingouins !
Pour ceux qui auraient des explications à demander, je suis au bistrot d’à côté, en train de convertir mes droits d’auteur en boissons fermentées.
Première partie
LES PREMIERS CINQ CENTS KILOS
CHAPITRE PREMIER
… et les doigts de pied en bouquet de violettes
Si vous avez un tout petit peu plus d’imagination qu’un tombereau de betteraves, vous allez essayer de comprendre ce qui s’est passé.
En ce qui me concerne, je n’ai inventé ni le télégraphe morse, ni la poudre à faire éternuer, mais j’ai pigé illico. On peut bien avouer — entre nous — que lorsqu’un type décharge son soufflant dans votre poire, vous pouvez conclure qu’il ne nourrit pas une grosse tendresse à votre endroit.
Il y a des plaisanteries d’un goût douteux, vous conviendrez que celle-ci en est une. J’arrive en Italie en plein été pour m’occuper d’une affaire tout ce qu’il y a de tsoin-tsoin, dont je vous entretiendrai plus loin, et la première figure que j’aperçois en débarquant à Torino, c’est celle d’un zèbre que j’ai connu à Bogota. Ce type-là est le plus réputé tueur à gages que j’aie jamais rencontré et, à lui tout seul, il a envoyé plus de clients au père Bon Dieu que la bombe d’Hiroshima.
Je me dis que l’Italie est vraiment un bled accueillant et, sans plus m’occuper de lui que d’un vieux bouton de jarretelle, je me mets à la recherche d’un petit hôtel.
Je me décide pour l’Albergo Porto Nova parce que c’est une crèche modeste située à cinquante pas de la gare. Le patron a une tête à vous demander du feu, à minuit, dans un terrain vague ; les bonniches doivent faire le ménage à l’Armée du Salut après leur service et les piaules sont aussi folichonnes que des cabanons d’aliénés, mais je m’en balance. Demain, je file sur Rome où m’attend le chef italien des services secrets. Pour une nuit, je peux me contenter de cette boîte, d’autant plus que je ne toucherai des devises qu’à Rome et qu’en attendant d’y parvenir, je dois me débrouiller avec les quatre mille francs autorisés par les douanes.
Je fais un brin de toilette pour le cas où je rencontrerais une fillette qui aimerait prendre des cours de français et je me précipite dehors pour profiter du crépuscule qui est aussi bath que sur les tableaux de Del Bosco.
Connaissez-vous Turin ? Moi, je vous le dis, c’est une ville pépère, tirée au cordeau, propre et nette, où toutes les rues sont bordées d’arcades. Les flics sont vêtus de blanc et les tramways y déambulent à toute vitesse.
C’est samedi. Les trottoirs sont pleins de monde. Il y a du populo à toutes les terrasses de café. J’examine la foule, à la recherche d’un beau petit lot avec lequel je pourrais, éventuellement, passer la soirée. Mais je vais vous faire une révélation qui va bouleverser toutes les vieilles théories que vous trimbalez dans votre magasin d’antiquités : dans l’ensemble, les Italiennes ne sont pas sensationnelles. Certes, elles ont des yeux qui feraient fondre une glace à la pistache, des cheveux noirs et lustrés ; mais comme châssis, elles ne cassent rien. Et puis elles ont pour la plupart de gros sourcils comme les griffons, du poil aux jambes et aux pommettes, si bien que beaucoup ressemblent davantage à un cactus qu’à la Vénus de Milo. Çà et là, on distingue un beau brin de fille dans le tas ; seulement, l’inconvénient est que ces privilégiées sont munies d’une cour de zouaves tout ce qu’il y a de fringants.
Fatigué par ces déprimantes constatations, je m’installe à la terrasse du Grand Café Piémontais, en face de la gare. Il y a là, en plein air, un orchestre de types en habit, qui joue des grands airs d’opéra et des valses de Strauss. Je commande un Martini bianco. On me sert ça dans une petite bouteille qui est une réduction exacte de la bouteille de Martini. Le garçon m’apporte aussi une carafe d’eau. Je lui demande pour quoi faire et comme il connaît admirablement le français, il se marre doucement.
— Vous le buvez sec ? me demande-t-il.
— Et comment, je lui réponds. Tu ne penses pas que j’ai traversé le mont Cenis pour venir me rendre compte si l’eau de Turin est suffisamment javellisée.
Sur ces entrefaites, le chef d’orchestre arrête ses zèbres et triture un petit micro planté en avant de l’estrade. Il se met à raconter sa vie, mais comme il le fait en italien, je ne peux que m’intéresser aux plis de son pantalon. Dès qu’il a fini de débloquer, voilà une môme qui s’amène, une vraie. Aussitôt je révise mon jugement concernant les femmes transalpines, parce que si ce n’est pas à celle-là que Léonard de Vinci rêvait en peignant la Joconde, c’est sûrement à la dame qui tient les lavatories à l’angle des boulevards Poissonnière et Sébastopol.
Cette môme-là a des cheveux châtains sombres, soigneusement séparés par une raie, des yeux couleur noisette et un tas de trucs épatants que je ne veux pas vous détailler pour ne pas vous empêcher de roupiller. Rappelez-vous d’une chose : c’est que son constructeur savait travailler ; ses yeux et sa bouche ça fait une belle tierce à cœur.
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