Frédéric Dard - Au suivant de ces Messieurs

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Au suivant de ces Messieurs: краткое содержание, описание и аннотация

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Comme j'ouvre la porte, je fais un bond en arrière qui m'envoie dinguer dans le porte-pébroques. Il y a trois messieurs sur le paillasson, qui s'apprêtaient à sonner.
Et ceux-là, pas d'erreur possible, ce sont des vrais de vrais. Ils ont des bouilles qui ne trompent pas. Ils seraient nègres ou nains que ça ne se verrait pas davantage.
Le gnard San-Antonio se demande à la brutale si, par hasard, ça ne serait pas le commencement de la fin.

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Je descends la rue jusqu’à la rivière qui enserre la ville, je franchis un pont et j’arrive à un rond-point sur lequel se trouvent les fameuses fosses aux ours de Berne. Les gens font cercle autour de la première. Je me penche et j’avise deux plantigrades (comme dirait Buffon) qui font les idiots pour avoir des morceaux de carotte qu’une dame vend par petits cornets près d’ici. J’ai toujours ressenti une grande tristesse à la vue d’animaux sauvages embastillés. Je suis pour la liberté générale, moi, que voulez-vous ! Enfin, ces braves bestioles sont mieux dans leurs fosses que sur le plancher d’une chambre à coucher à l’état de descente de lit.

J’y vais de mes dix ronds de carotte, manière de ne pas passer pour un peigne-cul, et c’est à ce moment seulement que j’aperçois la plus belle fille de Berne et de sa banlieue.

Elle est accoudée de l’autre côté de la barrière et, au lieu de bigler les ours, elle me coule des mirettes veloutées.

J’en ai illico un court-circuit dans la moelle épinière.

La pépée est blonde, avec un beau visage bronzé et des dents éclatantes. Elle pourrait poser simultanément pour Cadoricin, l’Ambre Solaire et le super-dentifrice Colgate ! Ses yeux, si vous tenez vraiment à ce que je vous fasse un brin de poésie, sont pareils à deux myosotis (y a pas, je suis en forme aujourd’hui !). Je lui balance mon sourire ensorceleur et j’ôte mes lunettes pour lui donner un juste aperçu de ma vitrine.

Comme ces fosses sont rigoureusement rondes, je tourne lentement autour du garde-fou jusqu’à ce que je sois près de la poulette blonde. Une vraie divinité ! Elle vaut ce mouvement de rotation, vous pouvez me croire. C’est de la bergère de trente piges qui a le baigneur incandescent ! C’est marié à un tordu qui fait des affaires. Ça a deux lardons que surveille une nurse allemande et ça ne demande qu’à se laisser expliquer le mystère animal par un monsieur par trop mal baraqué.

Elle porte un tailleur gris souris avec des pompes rouge cerise, des gants également cerise et un sac à main assorti. Une gravure de mode ! L’air de n’avoir pas inventé la pénicilline, mais de ne pas en avoir besoin non plus… Une chair plus que comestible !

Je bigle ma montre, elle marque six heures. Il y a en ce moment dans une brasserie des Champs-Elysées une dame presque aussi joliment bousculée qui attend son San-Antonio joli et ne le verra pas radiner.

La personne a surveillé mon approche du coin de l’œil. Lorsque nous sommes coude à coude, elle me regarde et, me désignant les deux ours facétieux, me lâche une phrase en suisse-allemand à laquelle je ne comprends strictement rien.

— Je ne parle pas allemand, dis-je.

Elle me regarde avec surprise. A cause de mon bitos verdâtre et de mon imper blanc, elle m’avait pris pour un chleuh.

— Vous êtes genevois ? demande-t-elle.

— Non, parisien… Né à Belleville, c’est-à-dire que je le suis deux fois, et d’un père auvergnat, ce qui équivaut à l’être trois fois…

Elle paraît charmée.

— Vous habitez une bien jolie ville, remarqué-je avec cette courtoisie qui constitue l’un des principaux éléments de mon charme.

— Vous trouvez ?

— Oui. Très romantique… Je n’y passerais pas ma vie, mais pour une heure, je la trouve très convenable…

Elle se marre.

— Berne est très ennuyeuse pour un étranger. Il faut y avoir ses habitudes…

— Je ne demande qu’à en prendre si vous en faites partie !

Ça lui plaît. Une ombre rose transparaît sous son hâle.

Elle a un regard fripon qui me dénude et me consomme. La chaleur de son bras se répand dans tout mon corps. Cette nana, en toute franchise, doit valoir son pesant d’Amora (la bonne moutarde de Dijon). Je ne puis m’empêcher d’évoquer tout ce que je ferais avec elle s’il m’était donné d’avoir une plombe d’intimité.

— Vous êtes en vacances ? demande-t-elle.

— Comme qui dirait…

— Tout seul ?

— Hélas !

— Vous n’êtes pas marié ?

— Non, et vous ?

Depuis un instant, nous ne regardons plus les ours. Ulcérés, ces derniers vont tabasser la porte de fer conduisant à leur habitat pour prévenir le gardien qu’il est l’heure de les rentrer [1] Authentique. .

— Si, fait la dame.

Elle ajoute avec l’air de dire « fais-en ton profit » :

— Mon mari est en voyage en Italie…

Le brave homme ! Bien que ne le connaissant pas, je ne puis m’empêcher de lui adresser l’expression de ma sympathie. Parce qu’enfin qu’est-ce qu’un homme peut faire de plus pour ses contemporains que de partir en voyage sans sa femme lorsque celle-ci est jolie ? Je vous le demande. Je vous le demande maladroitement, sans mettre de ponctuation dans ma phrase, mais je vous le demande avec insistance !

— Si bien que vous en êtes réduite à regarder ces pauvres bêtes pour tuer le temps ?

— Eh oui…

— Pourquoi n’irions-nous pas prendre le thé ?

C’est une charnière dans nos relations. C’est le test. Si elle accepte, on peut considérer que ma soirée est retenue !

— Volontiers…

— Alors, guidez-moi, car je viens de débarquer à Berne et je ne connais pas les bons établissements…

— Le plus simple serait peut-être d’aller le prendre à la maison ?

J’en suis ébloui. En voilà une qui ne se paume pas dans les principes. Elle sait ce qu’elle veut et elle entend l’obtenir dans un temps record.

Un peu glandulard, retrouvant ma timidité d’adolescent, je proteste :

— Je ne voudrais pas vous déranger.

— Vous ne me dérangez pas. D’autant plus que je suis seule à la maison, ma bonne est en vacances…

Vous mordez le spleen d’une femme blasée ! Les mousmés ne doivent pas s’ennuyer, autrement c’est la fin de la vertu. Si vous n’avez pas le temps de vous occuper de la vôtre, un bon conseil : achetez-lui une épicerie-porte-pots ou bien faites-lui repeindre la coque du Liberté, mais ne la laissez jamais s’emmouscailler seulâbre parce qu’il vous arrivera un vrai turbin. Rien de grave, notez bien : ça n’a que l’importance qu’on veut bien lui accorder. C’est idiot du reste de voir les hommes faire du rififi parce qu’ils sont plusieurs à servir dans le même corps. Quand il y en a pour un, y en a pour douze !

— Vous demeurez loin ?

— J’ai une petite maison, près d’ici…

— On prend le tramway ?

— Oh non, j’ai mon automobile !

C’est une VW rouge, assortie à ses gants.

Je m’installe à côté de la dame. Voilà du levage rapide. Je suis content de moi et je me le chuchote en me pinçant l’oreille.

Nous remontons une côte et débouchons dans un quartier résidentiel avec plein de demeures coquettes aux volets à chevrons. La dame stoppe devant celle qui termine une rue. Le silence qui règne laga est intégral.

Elle range sa trottinette et me précède dans la casbah. Jolie masure, en vérité. Des tapis rupins, des tableaux pompiers, des tentures lourdes, des meubles massifs… Il y fait frais et ça hume le renfermé.

On voit que la bonne est en java parce qu’il y a de la poussière sur toutes les surfaces lisses. On peut écrire son nom dessus.

— Excusez la poussière, fait-elle, je suis si peu ici…

Elle jette son sac à main sur un divan et ôte ses gants. Le silence et la pénombre sont capiteux. C’est du pousse-au-crime de first quality. Je vous défie de trouver dans tout Courcelles un cinq à sept plus grisant.

Je cramponne mon hôtesse par la taille qu’elle a fine et souple. Ma main libre fait l’inventaire de son corsage. C’est pas du Michelin ! Il contient tout ce qu’il faut pour empêcher ma conquête de bien tirer à l’arc.

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