Comme le Jap me serre très fermement le bras gauche, avant de lever celui-ci, je me tourne vers lui et je murmure discrètement :
— Vous permettez ?
Ceci afin qu’il relâche un peu son étreinte.
Et ça se produit tel que je le souhaite. Il ne me lâche pas, oh non ! Mais ses doigts se décrispent un peu. Alors j’exécute la première partie du mouvement et, de ma main gauche, je saisis mon revers gauche. Natürlich, ce que je vous raconte de manière aussi détaillée se déroule logiquement. Ça vous paraît long parce que je vous fais du ralenti littéraire (si peu littéraire d’ailleurs que vous voudrez bien m’excuser).
Maintenant la seconde partie du mouvement reste à accomplir. Au lieu de plonger ma main droite à l’intérieur de mon veston, elle va continuer par-dessus le vêtement en se transformant en poing. Et il faut que ce poing atteigne la pointe du menton de Padecarburohamamoto à une vitesse suffisante pour qu’il soit K.-O. avant d’avoir déclenché le chaton de la bague.
Je ne peux pas prendre d’élan : ça les alerterait. Je me concentre à bloc. Toutes mes forces se dirigent vers mon biscoto droit. La charmante postière attend, avec son sourire extrême-oriental. O.K., San-A. ! Vas-y, mon fils. Et pense à ta brave Félicie qui t’attend en ce moment en passant de l’encaustique dans ta chambre à coucher.
J’ai tiré bien des ramponneaux à des types depuis le début de ma carrière, mais jamais un comme celui que voilà ! La plus belle droite in the world, si on vous dit que c’est Robinson qui l’a administrée lors de son combat contre La Motta, vous pouvez jurer que c’est un mensonge et qu’elle a été interprétée au bureau de poste central de Tokyo.
Très courte, très brève, sèche comme la prise de congé d’un ambassadeur à la suite d’une rupture diplomatique. The patate, les gars ! Elle claque sec. Et instantanément le Jap s’écroule. Il n’a pas eu le temps de faire jouer la bague meurtrière, ou alors j’ai rien senti. Continuant sur la trajectoire de mon coup de poing, je saute par-dessus Padecarburohamamoto et je gagne la sortie à une vitesse qui laisse très loin derrière Mag 2, Mag deleine et Mag num.
Je bouscule des tas de mecs et j’arrive à la sortie.
Point d’interrogation : que fiche l’autre sbire ? Me file-t-il le train ou s’occupe-t-il de son petit camarade ? Je ne peux perdre un dixième de seconde pour m’en assurer. Je cours, je cours. Je plonge dans la bagnole car au départ j’ai remarqué une chose : elle n’a pas de clé de contact. Je tire sur le démarreur : elle dit oui. Je passe une vitesse, c’est la seconde, mais ça s’arrache, d’autant plus que j’envoie une bonne ration de coco dans les carburos.
Une silhouette se plaque contre l’auto. C’est l’autre patate qui fait un numéro de rodéo. Pas dégonflé, le monsieur ! Il s’est jeté, d’une détente terrible, à plat ventre sur le capot. Comme numéro de haute voltige, ça se pose là ! J’essaie de le décramponner en donnant des coups de volant à gauche et à droite, mais ce macaque est d’une agilité inouïe. Loin de décramponner, le voilà au contraire qui parvient à dégainer son feu.
Seul le pare-brise nous sépare. Il me masque la visibilité et je suis obligé de me tenir presque debout pour conduire. Déjà le canon de l’arme s’élève. Ces Japs, quel courage ! Il sait qu’en me butant, ce sera l’accident inévitable et qu’il a de fortes chances de se faire écrabouiller contre un mur, mais il s’en branle. Un pruneau pour pulvériser le pare-brise et un autre pour déguiser San-A. en macchabée. Que faire ?
Je freine à mort. Une voiture de police qui me filait ne peut éviter le choc et me percute. Le choc est assez terrible et du coup, le tireur disparaît du capot. Comme bouchon de radiateur, je le trouvais plutôt déplaisant.
Je redémarre. Ce faisant, ma bagnole a un soubresaut et je sens que j’écrase quelque chose de mollasson. Aucune importance.
La voiture de police a écrabouillé tout son avant sur mon arrière et ne peut repartir. Les poulets ont été commotionnés, mais l’un d’eux, moins sonné que les autres, défouraille à tout va dans ma direction. Les pruneaux crépitent sur ma carrosserie. Pourvu que je n’en morfle pas un dans le paletot ou qu’il ne crève pas mes boudins. Mais non. La distance grandit entre le tireur et moi.
Sauvé !
Maintenant il s’agit de faire fissa. Je suis libre, mais le Gros attend, à fond de cale, ligoté comme du saucisson (c’est d’ailleurs cette métaphore qui doit le réconforter en ce moment). Sa pauvre vie se joue à pile ou face. S’il y a le bigophone à bord, tout est fichu. Mais si Padecarburohamamoto ne peut prévenir son chef à distance, j’ai une minuscule chance de pouvoir intervenir. Si je peux disposer d’une petite heure, tout sera O.K. car les flics ont noté mon numéro. La voiture est facilement repérable et j’aurai les archers au panier, ce qui sera une bonne chose une fois que je me trouverai sur le yacht. Mais s’ils intervenaient avant, le temps que je parlemente et que je raconte ma petite histoire et c’en serait fait du Gros.
Mon merveilleux sens de l’orientation, mon non moins merveilleux sens du volant font qu’en très peu de temps, je me trouve dans le chemin creux qui sent la verveine, le jasmin, le chrysanthème, l’héliotrope, le réséda, la fougère sauvage, l’œillet fané et le lotus roja. Je trace jusqu’à la demeure et je l’atteins à l’instant précis où j’entends carillonner le téléphone.
Ça s’appelle tomber à pic. Nul doute que Pademotosancarburo (ou inversement) ne soit en train de prévenir les gens de la maison pour leur commander de prévenir ceux du yacht que j’aperçois au loin, tache blanche dans l’infini azuréen de la mer, comme dirait une romancière du jury Femina.
J’arrête la tire derrière une haie d’héliconsbasses à fleurs intempestives et je me trotte en direction de l’embarcadère où le canot se balance doucement, comme une mouette légère bercée par le flot (comme écrirait quelqu’un de doué).
Comme j’y parviens, voilà le mataf et un larbin en kimono de toile cirée qui radinent. Je me jette à plat bide derrière une haie de cornemusiers à tiges rampantes. Les deux ouistitis s’annoncent vers le canot dans lequel le marin saute à pieds joints. Le larbin, lui se met à défaire l’amarre. J’attends qu’il ait terminé, ensuite de quoi je saute de ma cachette et je shoote ! Just Fontaine à Stockholm, c’était un unijambiste perclus de rhumatismes à côté de bibi. Le larbin est dégagé en touche et pique une tronche dans la tisane.
Pendant qu’il barbote, je saute dans le canot. Le matelot qui vient de lancer le moteur ne s’est aperçu de rien. Il se redresse et c’est pour se trouver nez à poing avec mes deux livres de cartilages. Il prend un crochet dans le naze, un coup de genou dans ses bijoux de famille et un gauche à la mâchoire. C’est rapide et efficace. Le voilà déguisé en tas de guenilles dans le fond de l’embarcation. Je le palpe et j’ai la joie de découvrir, passé dans sa ceinture, un soufflant à canon long qui pourrait faire du mal à un rhinocéros.
Je chope le feu et je balance le marin dans l’eau pour lui faire recouvrer ses esprits.
Maintenant, à nous la grande bleue ! J’engage la manette des vitesses et le canot fait un saut de trois mètres. Il détale ! Je ferais bien un peu de ski nautique si j’avais des skis, quelqu’un pour piloter le barlu, le temps et un ange gardien à la hauteur pour s’occuper de Béru.
A bord du Hositodihositofé, c’est plein de gnaces qui guettent mon arrivée. Parmi eux, il y a le petit vioque à besicles. J’accoste, mais on ne me lance pas l’échelle de coupée.
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