La vue de cette fille seule, en plein pôle, paraît bouleverser les faux martiens. Après un rapide échange d'idées, tous quatre s'élancent en direction de notre mignonne amie.
— Pas plus duraille, déclaré-je à l'Eternueur. Allez, viens, on va visiter le coucou.
Nous courons jusqu'au zinc, ce qui — soit dit en passant — nous permet de nous réchauffer. C'est un hélicoptère à dix places. Près du poste de pilotage, il y a un râtelier d'armes auquel sont suspendues une demi-douzaine de mitraillettes. Pile ce qu'il nous faut. Admettez que le bon Dieu fait bien les choses quand il veut s'en donner la peine.
— Choisis la tienne, dis-je à Béru en décrochant une seringue.
Elles comportent chacune un chargeur. Je lance les quatre autres à l'arrière de l'appareil après quoi je m'accroupis entre deux sièges, de manière à pouvoir regarder à l'extérieur sans être vu. Au bout d'un certain temps, nos refroidisseurs rappliquent. Leur attitude est claire. Un œil me suffit pour comprendre qu'ils ne sont pas animés de louables intentions, ça se pige à la manière brutale dont ils drivent la pauvre Dominique jusqu'à l'hélicoptère. Deux d'entre eux la poussent en lui tenant les bras tordus dans le dos. Peut-être sont-ils seulement misogynes, en tout cas leurs façons ne me plaisent pas.
Ils ne sont plus qu'à cinq ou six mètres de leur engin, lorsque je joue mon grand numéro de Zorro. Je saute du coucou, la mitraillette braquée.
— Hands-up !
J'ignore s'ils comprennent l'anglais, toujours est-il kil nœud seul œuf fond pâtir d'œufs foie. Huit petits bras se tendent vers le ciel refroidi.
— Vous parlez anglais, quelqu'un ? demandé-je.
Aucun ne bronche.
— Français ? espéré-je.
Ballepeau.
— Deutsch ? insiste Bérurier qui m'a bien entendu rejoint.
— Ja ! répond le troisième en partant de la droite, qui se trouve être de ce fait le deuxième en partant de la gauche.
— Pas moi, regrette Sa Majesté.
Non plus que moi, hélas !
Allons, bravo, nous v'là bien. Comment questionner ces bonshommes ? Comment leur donner les directives pour qu'ils nous tirent d'embarras ?
— Tiens-les en respect, Gros !
Je me mets à inventorier l'intérieur de la carlingue et j'y dégauchis précisément ce que j'espérais y trouver, à savoir une carte du pôle Sud. A environ trois cents kilomètres à l'intérieur de cette portion de brie que forme la Terre Adélie, il y a une croix marquée à la main. Mon petit doigt qui, s'il est le dernier doigt de ma main n'est pas le dernier des imbéciles, me susurre que je viens de trouver la position de la base secrète de ces rigolos.
Je repère notre position actuelle. Nous sommes à environ quatre cent et quelques bornes de la croix. Le jeu consiste donc à utiliser cette autonomie de l'appareil pour nous rendre dans une autre direction. Je pense qu'en longeant les côtes de la Terre Victoria, on finira bien par dénicher une base australienne d'où il nous sera possible de donner l'alerte afin qu'une opération de grande envergure soit immédiatement entreprise.
Par gestes (c'est un langage qui vaut les autres, Chaplin ne me démentira pas) je demande aux quatre types lequel d'entre eux est le pilote. Il se désigne. J'étale la carte sous le nez du gars et je lui désigne notre groupe, l'appareil, le ciel, puis la côte Est. Il semble avoir compris et opine.
— En route !
On peut compter sur Sa Majesté pour goupiller l'embarquement. Il couvre tout le monde de sa seringue, Béru.
Le pilote est aux commandes.
Alors l'un des trois autres gus se met à jacter. Ce qu'il bonnit, même avec un dictionnaire franco-japonais, j'arriverais pas à le décrypter, tant il le dit vite. C'est au pilote qu'il s'adresse.
Et je sens que ça ne sert pas nos intérêts.
— Fais-lui donc fermer sa foutue gueule ! dis-je à Alexandre-Benoît.
— Facile, consent ce dernier.
J'sais pas s'ils sont cales pour les manchettes japonouilies, les Japs, en tout cas, Béru, lui est un maître.
Le tranchant de son battoir atterrit sur la nuque du bavard qui amorce un petit crachat et se répand dans la travée centrale du coucou.
— Tu parles d'un moulin à paroles, ce type ! ronchonne Béru en le terminant d'un coup de talon de botte sur l'occiput.
Je touche l'épaule du pilote.
— Go ! Go !
Il doit bien comprendre, tout de même, ce petit sagouin. C'est devenu international, ce mot, non ?
Il me jette un étrange sourire, tend le bras vers ses commandes et tire une manette.
Une formidable explosion retentit et tout se disloque !
Il a l'air d'un vieux satrape, Béru.
D'un satrape nigaud.
Ou alors d'un mastodonte qui se serait un peu abîmé en dégringolant du Tertiaire, et dont les quatre défenses seraient devenues chicots.
Oui, avant de savoir si je suis entier, avant de m’assurer que Dominique vit toujours, ma reaction est l'hilarité. Je ris à gorge d'employé (comme dirait Béru) en voyant mon ami, assis sur un rocher, les tifs roussis, le futal éclaté. Chez lui, c'est toujours le pantalon qui cède en premier : trop de volume à comprimer !
Il sanguinole des naseaux et son regard est empreint d'une certaine gravité. Il tient toujours à la main sa mitraillette dont le canon est tordu, comme s'il s'agissait d'une mitraillette de clown.
Ça calcine autour de moi, ça noircit, ça incandescente. Il y a une tête de Jap avec ses lunettes et son casque, des claouis (pas impressionnantes), des sièges éventrés, toute la tripaille fumante d'un moteur. Les pales de l'hélice frisent comme de la chicorée.
— Oh ! Antoine ! Antoine…
C'est Dominique qui vient de se jeter dans mes bras, miraculeusement intacte.
— Mon amour, sanglote-t-elle en me couvrant de bavaisavers et de pleurs. Mon cher amour !
Son cher amour ! Pour le coup je pense à plus rien d'autre. Je me l'emprisonne de mes deux bras. Je lui mords la bouche, je lui bois les yeux, je lui déguste les joues. On effusionne à cœur perdu.
Ce qu'elle a bon goût, cette gentille ! Ce qu'elle est tiède ! Ce que j'ai besoin d'elle !
On s'offre une scène de « Tu es vivant, Dieu soit loué » digne de l'antique. Et quand nous nous désunissons pour essayer de revenir à la réalité, je nous sens éclairés de l'intérieur comme une vitrine de musée où serait exposé l'amour.
On ne tarde pas à déchanter en mesure.
Tous les Japs ne sont pas out. Il en reste deux de vivants, dont l'un nous braque sa mitraillette.
Il nous crie des trucs en japonais, et, comme nous n'obéissons pas, vu notre méconnaissance de cette langue, son ami nous balance des coups de je ne sais pas quoi de métallique, de long et de meurtrissant dans les côtelettes. C'est une manière d'enseigner sa langue maternelle qui ne vaut pas la méthode Assimil, mais grâce à laquelle pourtant on obtient des résultats puisque nous finissons par nous allonger à plat ventre sur le sol, les mains croisées sur la nuque, ainsi que le souhaitent ces deux messieurs.
— Qu'est-il arrivé, chéri ? me demande Dominique.
— Le pilote a fait sauter son zinc, expliqué-je. Ils sont un peu fanatisés, ces guignols ! De plus ils doivent avoir des consignes très strictes…
Je n'en dis pas davantage car un coup de tatane dans les reins me coupe le sifflet. Un instant plus tard, Bérurier vient s'aligner auprès de nous.
Notez que j'occupe une position qui incite à la réflexion. N'ayant rien d'autre à fiche, je gamberge. Comme je vous ai à la chouette, dans le fond, je vais vous livrer, tout port payé, l'essentiel de ces cogitations solitaires.
Je me dis que si les deux rescapés nous obligent à rester immobiles et nous surveillent, c'est parce qu'ils sont assurés de voir rappliquer des renforts.
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