Je me dis que je faisais une assez bonne imitation de la chasseuse de primes dure à cuire même si intérieurement je tremblais comme une feuille. Je n’avais pas l’intention de demander à Morelli de me raconter ce que Mancuso faisait subir aux vieilles dames. Je préférais ne pas le savoir. Et quoi que ce soit, je ne voulais pas que mamie Mazur le subisse.
Je téléphonai chez mes parents pour m’assurer que ma grand-mère était en sécurité à la maison. Oui, elle regardait la télévision, me dit ma mère. Je lui jurai que je m’étais lavé les mains et m’excusai de ne pouvoir venir pour le dessert.
Je troquai ma robe contre un jean, une chemise en flanelle et des tennis. Je pris mon .38 dans la boîte à biscuits, vérifiai qu’il était bien chargé, et le glissai dans mon sac.
Quand je revins dans le salon, Morelli donnait une chips à Rex dans le creux de sa main.
— Je vois que tu as mis ta tenue de combat, me dit-j il. J’ai entendu que tu ouvrais ta boîte à biscuits.
— Mancuso a proféré des menaces concernant ma grand-mère.
Morelli coupa les pattes aux Rangers.
— La frustration le rend nerveux… et con. C’était con de t’aborder à la galerie marchande ; con de s’introduire chez Stiva ; et très con de te téléphoner. Chaque fois qu’il fait un truc comme ça, il prend le risque de se faire repérer. Kenny peut être très rusé quand il est au mieux de sa forme, mais quand il perd, il n’obéit plus qu’à son amour-propre et à son impulsion. Il est en train de craquer parce qu’il s’est planté avec ses armes volées. Il cherche un bouc émissaire. Soit un acheteur lui avait versé une avance, soit il n’a pu livrer qu’un lot d’armes avant que le reste n’ait disparu. Je penche sur la théorie de l’acheteur. A mon avis, il est aux cent coups parce qu’il ne peut pas respecter le contrat et qu’il a claqué son avance.
— Il pense que Spiro a la marchandise.
— Ces deux-là vendraient père et mère pour sauver leur peau.
J’allais enfiler mon blouson quand le téléphone sonna. C’était Louie Moon.
— Il était ici, dit-il. Mancuso. Il est revenu et il a planté Spiro avec un couteau.
— Où est Spiro ?
— A l’hôpital St. Francis. Je l’ai emmené là-bas et je suis revenu fermer la boutique.
Un quart d’heure plus tard, Morelli et moi arrivions à l’hôpital. Deux policiers, Vince Roman et un nouveau que je ne connaissais pas, étaient en faction devant le bureau d’accueil des urgences, lestés de leurs ceinturons.
— Qu’est-ce qui se passe ? leur demanda Morelli.
— On est venus prendre la déposition du gus de chez Stiva, lui répondit Vince. Ton cousin l’a salement tailladé.
Il lança un regard vers la porte derrière le bureau d’accueil.
— Spiro est là, en train de se faire recoudre.
— C’est grave ?
— Ça aurait pu être pire. Kenny a dû vouloir lui trancher la main, mais la lame a glissé sur la gourmette en or de Face de Rat. Attends de voir le bijou, tu comprendras. Tout droit sorti de chez Tiffany’s.
Ce qui eut pour effet de faire pouffer Vince et son acolyte.
— Je suppose qu’on n’a pas arrêté Kenny ? fit Morelli.
— C’est un vrai courant d’air, ce mec.
On trouva Spiro sur un lit d’hôpital au service des urgences, adossé contre l’oreiller. Il y avait deux autres personnes alitées dans la pièce, et Spiro était séparé d’elles par un rideau partiellement tiré. Son avant-bras droit était pris dans un énorme bandage. Sa chemise blanche, ouverte au col, était tachée de sang. Une cravate et un torchon imbibé de sang avaient été jetés par terre à côté du lit.
Quand il me vit, Spiro sortit de sa stupeur.
— Vous étiez censée me protéger ! beugla-t-il. Vous n’êtes jamais là quand j’ai besoin de vous !
— Je ne prends mon service qu’à dix heures moins dix, vous l’avez oublié ?
Il tourna les yeux vers Morelli.
— Il est barje. Votre cousin est complètement barje ! Il a voulu me couper la main, ce con ! Il est mûr pour l’asile. J’étais dans mon bureau, en train de faire tranquillement la facture de Mrs. MacKey, quand j’ai relevé la tête et j’ai vu Kenny devant moi. Et le voilà qui se met à délirer comme quoi je l’aurais volé. Je ne sais absolument pas de quoi il veut parler. Il est fou à lier. Et là-dessus, il me dit qu’il va me découper en rondelles jusqu’à ce que je lui dise ce qu’il veut savoir. Une chance que je portais ma gourmette sinon je serais en train d’apprendre à écrire de la main gauche, moi. Je me suis mis à crier, Louie est arrivé et Kenny a filé. J’exige la protection de la police. Mademoiselle Monts et Merveilles ici présente ne fait pas l’affaire !
— Je peux vous faire raccompagner chez vous, dit Morelli. Mais ensuite, vous serez seul.
Il tendit sa carte à Spiro.
— Au moindre problème, appelez-moi, lui dit-il. Et en cas d’extrême urgence, faites le 911.
Spiro souffla avec ironie et me fusilla du regard.
Je lui souris gentiment.
— On se voit demain ? lui dis-je.
— Ouais, c’est ça. À demain.
Quand on sortit de l’hôpital, le vent était tombé et il bruinait.
— Retour du front chaud, fit Morelli. Après la pluie le beau temps.
On grimpa à bord de la camionnette et, une fois assis, on regarda l’hôpital. La voiture de police était garée dans l’allée réservée aux ambulances. Au bout d’une dizaine de minutes, Roman et son collègue partirent avec Spiro. On les suivit jusqu’à Demby et on attendit qu’ils aient vérifié que l’appartement de Spiro ne présentait aucun danger.
Les policiers quittèrent les lieux. On resta encore quelques minutes.
— On devrait le surveiller, dit Morelli. Kenny ne va pas s’en tenir là. Il va le harceler jusqu’à ce qu’il obtienne ce qu’il veut.
— Peine perdue. Spiro n’a pas ce que veut Kenny.
Morelli, indécis, regardait à travers le pare-brise battu par la pluie.
— Il me faut une autre bagnole, dit-il. Kenny a repéré ma camionnette.
Il allait de soi qu’il avait aussi repéré ma Buick. Qui ne l’avait pas repérée ?
— Et ta voiture banalisée beige ?
— Il la connaît sans doute aussi. Il me faut un truc qui me donne plus d’invisibilité. Une camionnette ou un Bronco aux vitres teintées.
Il mit le contact et débraya.
— Tu sais à quelle heure Spiro ouvre le matin ?
— A neuf heures, en temps normal.
Morelli frappa à ma porte à six heures et demie, et j’avais déjà pris de l’avance. Je m’étais douchée, avais revêtu ce que j’en étais venue à considérer comme ma tenue de travail : jean, chemise chaude, chaussures du jour. J’avais nettoyé la cage de Rex et mis du café à chauffer.
— Bon, je t’explique mon plan, me dit Morelli. Tu suis Spiro et moi je te suis.
Je pensais qu’on pouvait trouver mieux en matière de plan, mais n’en ayant pas d’autre à proposer, je gardai mes réflexions pour moi. Je remplis ma bouteille Thermos de café, mis deux sandwiches et une pomme dans ma petite glacière et branchai mon répondeur.
Il faisait toujours nuit quand je sortis sur le parking. Dimanche matin. Pas de circulation. Ni Morelli ni moi n’étions d’humeur loquace. Sa camionnette n’était pas en vue.
— Tu roules en quoi ? lui demandai-je.
— En Explorer noire. Je l’ai garée dans la rue sur le côté de l’immeuble.
J’ouvris la portière de la Buick et jetai mon barda sur la banquette arrière, y compris une couverture qui, apparemment, ne me serait d’aucune utilité. La pluie avait cessé et le fond de l’air était chaud. Dans les dix degrés.
Je n’étais pas sûre que Spiro avait le même emploi du temps le dimanche. Le salon funéraire était ouvert sept jours sur sept, mais je me doutais que le week-end, les horaires variaient selon les arrivages. Et Spiro n’avait pas une tête à aller à la messe. Je me signai. Je n’arrivais même pas à me rappeler la dernière fois où j’avais mis les pieds dans une église.
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