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Frédéric Dard: Bravo, docteur Béru !

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Frédéric Dard Bravo, docteur Béru !

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Bérurier, ex-interne des hôpitaux de Paris ? Ça vous la coupe, hein ? Et pourtant vous allez voir que le Gros sait aussi bien manier le stéthoscope que le saucisson à l'ail. Surtout quand il a comme vieille bonne une sémillante donzelle nommée Pinaud. Et si ce bouquin vous détraque la rate, vous savez maintenant par qui vous faire soigner !

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Je regarde le linoléum blanc. Près de la porte, on y lit des traces de pas, des particules de terre et d'herbe.

J'essaie de reconstituer le drame. Longuant s'annonce ici pour confondre l'imposteur. Chemin faisant, il se ravise, décide de contourner la maison et de coiffer le Gros en flagrant délit de turpitude. Il connait les lieux pour les avoir visités en ma compagnie. Il entre par la porte fenêtre… Il vient se planquer derrière l'écran, seule cachette proche du cabinet d'auscultation. Mais le diabolique tueur de toubibs est dans les parages. Il l'a suivi… Ou qui sait ? Peut-être se tenait-il déjà dans cette pièce, prêt à bousiller le Gravos ?

L'arrivée de l'intrus modifie son plan. Il lui fonce dessus et le perfore sans que l'autre, bloqué entre deux parois, puisse rien tenter pour se défendre.

Fantastique, mon sixième sens, vous avouerez ? J'ai eu le pressentiment de la catastrophe. Je l'ai flairé, éprouvée dans ma chair poulardine.

Par contre, ce qu'il y a de bien chez San Antonio (que dis-je, « de bien » ? de remarquable) c'est qu'il sait affronter les pires situations avec une maitrise absolue.

— Béru : ne bouge pas de là, et tiens-toi sur tes gardes. Toi, Pinaud, renvoie les autres clients dans leurs foyers. Invente n'importe quoi. Dis-leur que le docteur a été appelé pour un accouchement.

Ces ordres donnés, je me propulse dans le jardin. Vous avez déjà vu des chiens de chasse qu'on descend de la fourgonnette où on les tenait prisonniers pendant la première phase de la battue ? Ils s'élancent, puis se mettent à tourner en rond comme des totons (les bergers allemands eux, tournent comme des teutons). Ils vont, viennent, lèvent la patte à la sauvette, repartent, le nez au sol, animés semble-t-il d'une froide fureur, d'un instinct aveugle. Ils débusquent le garenne, le coursent follement et lui brisent le dos d'un coup de mâchoire. C'est beau et sauvage.

San-A., à cette minute, mes jolies chéries, c'est un chien de chasse, à cela prêt toutefois qu'il ne lève pas la patte.

Il fonce dans le jardin, courbé en avant, le sens visuel brusquement décuplé ; tout son être est tendu comme : la corde d'un violon (cette image pour les mélomanes) ou celle d'un arc (celle-là pour les archers). Je tournique, j'oblique, je mimique, je détecte, je connecte, je défalque, j'interprète, j'applique, je circuite, je lis la pelouse comme un livre. Les feuilles jaunies sont riches d'enseignements car, humides, elles collent aux semelles et pour le Sioux traduisent certaines allées et venues.

Je retrouve sur le sol l'arrivée de Longuant. Puis, bientôt, celle de son agresseur. Une limace fraîchement écrasée par un pied pressé me prouve que l'individu est venu du fond du jardin. je m'y rends…

Dans le hangar se trouvent des meubles empilés : ceux du dernier médecin, probablement, et que sa veuve n'a pas encore fait prendre. Je m'arrête dans le local où flotte de confuses odeurs de vieux bois. Le nez « force-nez » de San-Antonio l'invincible [2] Je sais bien que c'est exagéré, mais ça me dope, comprenez-vous. décèle un parfum plus subtil, une senteur d'homme. Je devine que quelqu'un a séjourné là tout dernièrement, et pendant un laps de temps assez long. Les yeux fermés, à petits pompements de narines méticuleux, je crois retrouver une odeur d'eau de Cologne d'après-rasage, genre « After-chauve »…

J'explore lentement le mobilier entreposé là. J'ouvre les armoires et les bahuts, je sonde les matelas roulés, et je finis par découvrir une légère auréole huileuse sur la toile d'un sommier placé à la verticale. Au pied du sommier est un coffre à bois, vide. L'auréole se trouve à peu près à la hauteur de la tête d'un homme assis sur le coffre. Pile en face du coffre, il y a dans le mur une petite meurtrière par laquelle il est aisé de surveiller la maison. Cette resserre devait être jadis une écurie. Selon moi, l'assassin se terrait dans la petite construction. Assis sur le cofiot, il matait la maison du docteur. De temps à autre, pour se relaxer, il s'adossait au sommier. Il doit se mettre sur les cheveux un produit gras qui a laissé cette auréole.

Très bien : nous disons donc un type qui se brillantine la tignasse, cela prouve au moins qu'il a des cheveux. Rigolez pas, mes buses ! C'est par élimination qu'on arrive à du positif dans notre foutu turbin. Je peux déjà éliminer les chauves. Généralement, ce sont les bruns qui se collent de la brillantine. Je parie donc qu'il est brun. Ce n'est pas un paysan. Cette odeur d'eau de toilette en est la preuve. Ma parole, la carburation se fait, on dirait ! Je déductionne à tout va. Je compense, donc je suis !

Nous disons donc, pour commencer, que le meurtrier est un gars brun, soigné, chevelu. C'est toujours sadaki, comme disent les japonais (qui m'ont lu). Et maintenant, ladies and gentlemen, passons à un autre genre d'exercice. Ce meurtrier déguisé en assassin, il a nécessairement pris des précautions pour se venir planquer en cette resserre. Je le vois mal franchir la grille d'entrée, la tronche haute : contourner la maison et arriver dans l'ancienne écurie pour y prendre sa position de guet. C'eût été d'une témérité rare, vous l'admettrez ? Et en supposant que vous ne vouliez pas l'admettre, je' peux vous jurer que ça ne m'empêcherait pas de pioncer.

Tout me porte à croire que l'homme a utilisé une autre issue. Je contourne l'amoncellement de meubles et j'ai la satisfaction de découvrir une ouverture dans le mur du fond. Elle mesure quatre-vingts sur quatre-vingts et ne ferme que par un volet muni d'un crochet à l'intérieur.

Or, tenez-vous bien — ou si vous ne pouvez vous tenir, faites-vous tenir par quelqu'un d'autre — mais le crochet n'est pas mis. Mieux encore : des éraflures fraîches sont visibles dans le plâtre autour de l'ouverture. C'est, sans contestation possible, par là que l'assassin s'est introduit dans la propriété, par là qu'il en est reparti. Je donne un coup de poing dans le volet. Le bois gonflé résiste. M'est avis que le fugitif a dû balancer un sérieux coup d'épaule dedans en partant pour le refermer. Je m'empare d'un banc de bois et, l'utilisant comme bélier, je rabats le volet.

Depuis l'ouverture, je découvre un chemin creux, bordé de haies vives, qui sent la mousse et le labour. A gauche, le chemin mène au centre de la localité, à droite, il donne la clé des champs. Je ne vois personne et je saute entre deux profondes ornières. Toujours nez à terre, dans la position du teckel sur le sentier de la guerre, je cherche les traces du meurtrier. Deux belles empreintes de semelles se lisent dans la boue. Elles sont perpendiculaires à la construction, les talons orientés vers le mur. Faut-il prendre à gauche ou à droite ?

Le génial San-Antonio (y a du vrai), se convoque pour une conférence intime. Il se dit à peu de chose près ceci « Je suis l'assassin. Je viens de refroidir un type avec une audace folle. Je fuis. Me dirigé-je vers l'agglomération ou vers la campagne ? D'autor, je choisis les verts pâturages.

« Un bosquet se dresse quelque deux cents mètres plus loin. C'est propice à la camoufle, ça, non ? Par-delà le bosquet, il y a des champs grassouillets, car on vient de retourner la terre nourricière. Tout au bout, je devine la nationale bleutée dans le morose automnal.

Moi, assassin, connaissant bien les lieux, je pars de la nationale, je planque ma bagnole à l'orée du (ou dans le) bois. Je viens perpétrer mon crime en père peinard, et je retourne à ma pompe après m'être assuré que la voie est libre. »

Fort de cette certitude, je choisis la droite et je me mets à courir en regardant le sol. Étrange comme le plus honnête des hommes, le plus consciencieux des poulets, parvient vite à se mettre dans la peau d'un bandit.

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