Frédéric Dard - Tu vas trinquer San-Antonio

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Tu vas trinquer San-Antonio: краткое содержание, описание и аннотация

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Deux ivrognes et un clébard, voilà tout ce dont je dispose pour démarrer mon enquête aux U. S. A.
Les deux poivrots ont pour noms Bérurier et Pinaud et le chien est un gentil boxer, baveur à souhait ! L'Empire State Building aux pieds de Béru, il faut avoir vu ça !
Mais je vais en voir bien d'autres au milieu de la pègre new-yorkaise. Mes acolytes boivent, mais c'est naturellement votre bon San-Antonio qui va trinquer.

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Plus je tire dessus, plus ce lien perfide me cisaille les chairs.

Par contre, on m’a laissé les jambes libres. Il ne m’est donc pas trop difficile d’accomplir un rétablissement. Me voilà assis sur l’épais tapis. Je mate les environs, ce qui me permet de constater que je me trouve dans un luxueux salon meublé d’un gigantesque poste de télévision, de fauteuils qui humilieraient le trône du roi de Siam, et d’un bar en acajou abondamment pourvu en bouteilles. Il y a aussi un petit piano mâle [13] C’est-à-dire un piano à queue. Vous auriez rectifié de vous-même. , laqué blanc, dans le fond près de la fenêtre.

Voilà pour le mobilier, maintenant parlons des locataires.

Je reconnais l’escogriffe que j’ai estourbi dans la cave, le truand qui nous a assommés, plus un monsieur très élégant et une fille tellement sensationnelle qu’à côté d’elle Michèle Morgan aurait l’air d’une femme de ménage.

Vous savez que dans les bouquins américains et surtout anglais, on vous décrit des pétasses en célébrant leur suprême élégance. Un romancier anglais vous dira par exemple : « Elle était sensationnelle, avec sa robe de lamé qui formait comme des écailles, ses chaussettes vertes, son léger fond de teint orange, se mariant admirablement avec son rouge à lèvres violet, et l’immense peigne d’écaille agrémenté de fleurettes en celluloïd qui ennoblissait sa chevelure. » C’est pas vrai ?

Et un romancier américain écrira sans frémir : « Elle portait une robe d’après-midi, très simple, décolletée jusqu’à sa cicatrice d’appendicite. Ses jambes de sirène étaient gainées [14] L’expression « jambes gainées de nylon » me flanque mal au cœur car on la rencontre partout, même dans des ouvrages à prétention littéraire. Je conçois mal qu’on ne fusille pas les auteurs qui l’emploient. de nylon. Les coutures noires et les talons noirs des bas soulignaient admirablement le galbe des mollets. Ses délicates chaussures ornées d’émeraudes et son délicieux chapeau de paille sommé d’une aigrette blanche et de cerises vertes, conféraient à Barbara un chic très parisien ! »

Si je mens, je vous paie des cromlechs ! Comme dirait Jeanne d’Arc : « Cauchon qui s’en dédit ! »

Pour en revenir à la pépée que je vous parle [15] Je cultive ma prose car on l’utilise à la Faculté de Stockholm pour enseigner les fautes de français aux étudiants des classes d’italien. , elle est vraiment du tonnerre, mais façon Regretté Dior. Voilà où je voulais en venir après ce large détour. (C’est bien ainsi que l’on biaise à la mode française.)

Elle porte un tailleur formide, en toile blanche, d’une coupe impeccable, un chemisier noir et des souliers noir et blanc made in Italy. Elle est blonde, naturellement, mais d’un blond indéfinissable, aux reflets argentés. Elle est jolie, sensuelle et roulée comme la Vénus de Milo, plus les bras.

C’est son regard que tout naturellement je croise en premier. J’ai peine à m’en dégager. Il est plus bleu qu’un ciel d’été et je le trouve apaisant.

Pourtant, je dois prendre les mesures de la situation.

Et pas avec un double décamètre à pédales, je vous l’annonce. Mon attention, qui se porte bien, se porte sur le compagnon de la femme. L’homme va chercher dans les quarante-cinq carats. Il a les cheveux gris, les yeux noirs, le teint bistre et une petite baffie du plus séduisant effet. M’est avis que lorsqu’il bigle une souris d’une certaine façon, c’est pas le moment de prendre la température de la donzelle, because le mercure prend mal au cœur.

Il est plutôt petit, ce qui est dommage, mais ses épaules ont l’air de dilater le veston sans le secours ouatiné du tailleur.

Me voyant lucide, il s’approche de moi.

Il m’aide à me mettre debout et me désigne un fauteuil.

— Asseyez-vous, me dit-il en un français sans accent.

Je m’écroule entre les bras du siège.

— Voulez-vous un drink ?

— Ce n’est pas de refus…

— Scotch ?

— Volontiers…

J’ai un vertige. Mon crâne est un hangar à hélicoptères. Ça vrombit là-dedans et les grandes pales d’une hélice tournent à plein régime [16] Comme se plaît à dire mon marchand de bananes. .

Je ferme les châsses, mais ça se tasse pas.

La fille blonde, sur une injonction du beau ténébreux, s’approche du bar et verse une chouette rasade dans un glass. Elle pousse la conscience professionnelle jusqu’à y adjoindre un cube de glace. Entre nous et la gare Saint-Lazare, c’est plutôt sur la coupole qu’il faudrait me la cloquer, cette banquise. Des fois que ça calmerait ma douleur lancinante !

Elle me tend le verre. Cette fille répand une odeur enchanteresse. Ça me ragaillardit autant que la gorgée que j’avale. Les choses commencent nettement à reprendre des formes usuelles.

Je me détranche sur mes copains. Il ne leur a pas fait de cadeaux, le matraqueur d’élite, car ils sont toujours out ! Pinaud est pâle, avec les lèvres serrées, et les yeux entrouverts. Pourvu qu’il ne lui aie pas défoncé la coquille ! Quant à Béru, il continue de baver. Ça lui fait un drôle d’effet, les instruments à percussion. Il émet une espèce de petit râle incertain et renifle comme un phoque qui joue au ballon avec son pif. Lui, c’est l’otarie nationale !

Les deux gardes du corps, vautrés dans des fauteuils, ricanent en me voyant faire la grimace. Ils sont contents d’eux, ces endoffés ! Grands meûchants, va ! Quel plaisir peuvent-ils éprouver à meurtrir leur prochain ?

Je me tourne vers le beau quadragénaire. Son costar d’alpaga bleu brille à la lumière. Il ne semble pas pressé. On dirait qu’il attend quelque chose, ou quelqu’un… Pour l’instant, je ne l’intéresse que moderato.

Je prends le parti de le questionner.

— J’aimerais savoir ce que tout cela signifie, attaqué-je, véhément.

Il hoche la tête.

— Je vous le dirai en temps utile…

— Qui êtes-vous ?

— Mon nom ne vous dirait rien !

Il sourit. C’est un m’sieur qui ne manque pas d’humour.

Plus je le regarde, plus je pense qu’il est européen. Il a même le type méditerranéen. Tiens, voulez-vous parier qu’il est grec ? Il a la couleur de peau des gnaces qui ont vu le jour à proximité de l’Acropole.

En tout cas, pour l’instant, il ne semble pas vouloir faire un brin de causette.

Résigné, je désigne mes équipiers.

— On ne pourrait pas s’occuper d’eux ?

Son sourire s’accentue.

— On s’en est occupé, il me semble !

— Très drôle…

Je finis mon verre. L’alcool me donne un coup de fouet. Il n’est pas commode de boire avec les pognes enchaînées, pourtant je prendrais bien un autre scotch si c’était un effet de leur bonté.

Je fais signe à la belle souris. Rien que pour la voir évoluer devant vous, vous donneriez toutes les nuits de Paris. Elle comprends ma supplique muette et retourne remplir mon glass. Les deux tueurs à gages n’ont pas encore moufté. Les mains croisées sur leur holster, ils attendent aussi.

Tout à coup le mot de Cambronne, proféré à haute et intelligible voix, fait sursauter tout le monde. Voilà enfin mon gars Béru qui revient à nous. Il roule des yeux blancs, striés de filets rouges.

— Figure-toi que j’ai fait un de ces cauchemars, soupire-t-il en me regardant. On s’assoupit et puis…

Il se tait, médusé par la réalité. Le filet de bave qui pend encore aux commissures de ses lèvres ne se décidant pas à choir, il l’aspire bruyamment.

— Où qu’on est ? s’informe-t-il, enfin, après un regard circulaire, pénétrant, lucide, surpris, vériste, troublé, inquiet, désolé, prenant, pitoyable, incertain, pensif, coagulé, croisé, myope et résigné sur l’assistance.

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