– Vous voyez! dit-elle, avec une imperceptible nuance de reproche.
M. Skinner, les yeux clos, semblait dormir. Etendu sur un lit de camp, Bob reposait.
– Ça y est, dit Bob. La transfusion est faite. J'avais un peu peur, mais ce n'est rien du tout. Ça ne fait pas mal. L'embêtant, c'est qu'il faut rester allongé un moment, après.
– Chut, murmura Miss Mary. Jonathan sommeille. Il est très faible, mais il a toutes les chances de s'en tirer.
– J'en suis bien heureux, dit François. Je peux donc partir sans crainte. J'ai l'intention de prendre le train de Douvres de quinze heures. Après, j'ai un bateau à dix-sept heures… Je suis venu pour vous remercier… de tout… Je regrette que les circonstances… Mais maintenant… Une autre fois, peut-être…
Il bafouillait.
– On s'écrira souvent, dit Bob.
– C'est cela, intervint Miss Mary, qui semblait détester les effusions. Vous vous écrirez souvent… Ne m'en veuillez pas, François, j'aurais voulu vous accompagner, mais il m'est difficile, en ce moment…
Elle n'eut pas le temps d'achever sa phrase, car une infirmière entra lui annoncer qu'elle était demandée au bureau. Elle serra précipitamment la main de François et disparut. François s'approcha de son ami.
– Vieux Bob, dit-il. On n'a pas eu de chance…
Tu ne m'en veux pas, au moins?
– Mais non. Tu reviendras, voilà tout. Il tourna la tête vers son père et sourit.
– Quand il rouvrira les yeux, il sera bien épaté. Lui qui prétendait que je ne suis bon à rien… Je suis quand même là pour un coup. C'est du sang au poil que je lui ai donné. Regarde-le. Il a déjà des couleurs aux joues.
M. Skinner, livide, respirait faiblement, mais François approuva.
– C'est vrai, il a des couleurs.
– Ça me fait de la peine de te quitter, reprit Bob. Tu vas peut-être nous oublier…
– Penses-tu.
– Ecoute… Emporte un souvenir… ce que tu voudras… pourvu que ce soit quelque chose qui te parle de moi… Veux-tu un dessin?… Veux-tu… je ne sais pas.
– Il y a quelque chose qui me ferait plaisir-La mallette… Elle est toujours dans la voiture?
– Formidable, fit Bob. Après ce qui s'est passé, moins on la verra chez nous, mieux cela vaudra. Emporte-la. Elle est à toi.
– Merci.
– Donne ta main.
François mit sa main dans celle de Bob qui la tint longtemps serrée.
– Maintenant, va-t'en vite, chuchota Bob. Je vais fermer les yeux. Quand je les rouvrirai, tu ne seras plus là… C'est bête, la vie… Ma veste est au portemanteau. Les clefs de la Morris sont dans la poche gauche. Laisse-les au tableau de bord… Au revoir, François.
François sortit sur la pointe des pieds.
François s'arrêta au bord du quai, à quelque distance du bateau. Cette femme, qui descendait de voiture, qui marchait vers lui, enveloppée d'un ciré bleu que le vent gonflait, c'était Miss Mary. Il posa à terre sa valise, mais garda la mallette à la main. Miss Mary fit encore quelques pas et s'arrêta à son tour.
– J'ai voulu vous remercier, dit-elle. Vous avez tout compris?
– Je crois.
– Et…, c'est pourquoi vous avez choisi d'emporter cette mallette en France?
– Non, dit François. En France, elle ne serait pas encore en sûreté. Et personne ne doit jamais savoir, n'est-ce pas? Aussi…
Il regarda autour de lui. Personne. Alors, d'un simple mouvement du bras, il jeta la mallette à l'eau.
– Elle est à moi, dit-il. Bob me l'a donnée. J'ai le droit d'en disposer. Maintenant, vous pouvez être tranquille. L'inspecteur Morrisson ne saura jamais par quel pistolet a été tirée la balle.
Ils restèrent quelques secondes immobiles, l'un devant l'autre.
– François, murmura Miss Mary, je vous avais mal jugé. Pardon!… Vous permettez que je vous embrasse?
Elle avait les joues mouillées et un merveilleux sourire illuminait son visage.