– Et… l'opération? dit Bob, qui avait écouté avec impatience ces explications.
– Elle aura lieu le plus tôt possible. Probablement demain, de bonne heure.
Ce fut au tour de Miss Mary d'intervenir.
– Avez-vous découvert des indices, dans la maison? demanda-t-elle avec une curiosité polie. Des traces, des empreintes?
– Notre équipe est sur place. Mais je n'attends pas grand-chose de ces recherches.
– Mais qui a pu téléphoner? questionna Bob. L'inspecteur se renfrogna.
– Je donnerais gros pour le savoir. La voix était étouffée, précipitée… C'est du moins ce qui a été noté dans le rapport. Une voix d'homme, avec un fort accent étranger. Vous voyez que ça ne nous mène pas loin. Des étrangers, à Londres, ce n'est pas ce qui manque… Ne prenez pas cette remarque en mauvaise part, monsieur Robion… Alors, je reviens à la question: Qui a téléphoné? Toutes les hypothèses sont possibles. Ce qui est sûr, c'est que l'inconnu connaissait M. Skinner et savait que j'étais chargé de l'enquête. Est-ce un complice pris de remords? J'en doute. Un comparse qui a voulu se venger? Cela se produit assez souvent. Pour le moment, nous cherchons d'abord à localiser ce Carolyi. Voilà… J'ai tenu à vous rassurer personnellement.
– Merci, dit Miss Mary. L'essentiel, pour nous, c'est que M. Skinner nous soit vite rendu. Je suppose qu'on ne nous permettra pas de le voir avant l'opération.
– N'y comptez pas.
L'inspecteur se retira et Miss Mary monta dans sa chambre, après avoir tenu un bref conciliabule avec Mrs. Humphrey. François était de plus en plus perplexe. L'attitude de Miss Mary lui faisait clairement comprendre qu'il était de trop, en dépit des paroles qu'avait pu lui adresser la jeune femme. Il était résolu à reprendre l'avion sans délai. Mais il ne pourrait, décemment, abandonner Bob avant l'opération; ni même aussitôt après. En outre, il devait passer à Scotland Yard. Cela repousserait son départ au surlendemain. Il glissa son bras sous celui de son ami.
– Montons au grenier, proposa-t-il. C'est l'endroit idéal pour causer.
Le soleil s'était dégagé, comme il arrive souvent, en fin de journée, et entrait obliquement par une lucarne. Bob s'assit avec découragement sur une vieille malle.
– Oh, je sais, dit-il. Tu veux retourner chez toi.
Je ne veux pas, rectifia François. J'y suis forcé. Mets-toi à la place de Miss Mary. Tu crois que c'est agréable d'avoir sur le dos un invité dont il faut s'occuper, alors qu'on a déjà tant de soucis. Suppose que la même chose soit arrivée à mon père, quand tu étais à Paris?… Qu'est-ce que tu aurais fait?:.
– Oui…, bien sûr, admit Bob.
Il croisait et décroisait ses doigts. Il paraissait très malheureux.
– Tant que tu es là, murmura-t-il, je n'ai pas le temps de penser à des choses… Je ne suis pas seul.
– Mais voyons… tu n'es pas seul.
– Oh si! On peut être seul, avec les gens qu'on aime.
– Allons, mon vieux!
Bob respira avec effort. Il leva sur François des yeux un peu trop brillants, mais sa voix était assurée quand il dit:
– Eh bien, on s'écrira, hein? On s'écrira souvent… Quand comptes-tu partir?
– Après-demain.
– Aïe! Ce n'est pas loin, ça!
– Je vais téléphoner au bureau d'Air-France pour réserver.
Ils descendirent, résolus tous deux à brusquer les choses. Mais une voix chantante informa François qu'aucune place ne serait disponible avant quatre jours.
– Tu restes! s'écria Bob. Youpee!
Mais François ne devait pas rester!
Un coup de téléphone de l'hôpital les avertit, le lendemain, que l'état de M. Skinner donnait des inquiétudes. Bob et Miss Mary partirent immédiatement.
– Je t'appellerai, dit Bob. Ne bouge pas.
François regarda, du haut du perron, la voiture s'éloigner, et remonta tristement dans sa chambre. Ce premier séjour en Angleterre était complètement raté. Et que se passerait-il si le pauvre M. Skinner… Evidemment, le déplacement que ses ravisseurs lui avaient infligé avait aggravé son état. Si, par malheur, il venait à mourir, que deviendrait Bob? Quel appui trouverait-il auprès de Miss Mary, qui avait si manifestement aidé les ennemis de son fiancé?
François en revenait toujours à la même conclusion: c'était lâche de partir au moment où Bob se trouvait dans les pires difficultés. Mais comment lui venir en aide? Et pas moyen de reculer ce départ. Quand on doit s'occuper d'un blessé peut-être en danger de mort, on n'a pas besoin d'avoir dans les jambes un étranger encombrant. Il était de trop, désormais. Il était importun. Et il se sentait de plus en plus mal à l'aise. Attendre un avion? Et pourquoi ne pas prendre le bateau, le plus tôt possible? N'était-ce pas la solution la plus élégante, celle qui lui laisserait l'initiative? Au lieu d'être reconduit à l'aérogare, comme un indésirable, il s'en irait de son propre gré, à l'heure choisie, en garçon réfléchi, qui sait prendre ses responsabilités. Allons! Il n'y avait plus à hésiter.
Il descendit au bureau pour téléphoner, mais, à l'instant même où il fermait la porte, la sonnerie retentit. Seconde d'émotion! C'était sûrement l'hôpital! Quelle nouvelle allait-il apprendre? Il décrocha le cœur serré. Ce n'était pas Bob, mais l'inspecteur Morrisson.
– Je suis seul, expliqua François. Miss Mary et Bob sont à l'hôpital. Il paraît que l'état de M. Skinner est inquiétant.
– Je suis au courant, dit Morrisson. Ecoutez… J'ai affaire dans votre quartier; alors, inutile que vous veniez à mon bureau, c'est moi qui passerai. J'ai des photos à vous montrer et quelques papiers à vous faire signer. Je serai chez vous dans une demi-heure.
– L'enquête avance?
– Heu… Comme ci, comme ça… A tout à l'heure.
François reposa l'appareil et chercha dans l'annuaire le numéro de la gare Victoria. Il obtint facilement le renseignement. Il y avait un train pour Douvres à 15 heures et un bateau à 17 heures. Miss Mary n'aurait pas besoin de le conduire à la gare. Il prendrait un taxi.
Il essaya, mais en vain, de fermer sa valise. Au départ, c'était sa mère qui l'avait remplie, avec un soin si ingénieux qu'elle avait réussi à y ranger toutes sortes de choses que François n'arrivait plus à y faire tenir. Rageusement, il pesa dessus de toutes ses forces et réussit enfin à la boucler. Ensuite, désœuvré, le cœur lourd, il se promena dans le jardin, attendant le coup de téléphone de Bob. Quand il entendit la sonnerie, il bondit dans le bureau.
– Allô… C'est toi, vieux Bob? Alors?
– Tu sais, ce n'est pas brillant.
La voix était découragée et l'émotion la faisait trembler.
– Que pense le chirurgien?
– Oh! L'opération a réussi… Les opérations réussissent toujours. C'est après que ça se gâte. Je vois bien que personne n'est rassuré… On crâne, comme ça… On me rassure…, mais je ne suis pas dupe. Mary a eu un long entretien avec le chirurgien. Moi, bien entendu, j'étais exclu. Elle aussi, elle entre dans leur jeu et fait semblant d'avoir confiance. Malgré tout, elle m'a dit qu'il avait perdu beaucoup de sang…
– Mais la balle a pu être extraite?
– Oui. C'est même Morrisson qui l'a. Tu penses, il était là aux premières. Le sang, ça attire les vautours!
– Tu l'as vu, Morrisson?
– Il sort d'ici. Il voulait me montrer d'autres photos, des trucs à lui dont je me moque complètement… Je l'ai envoyé promener. Il va sûrement te harceler, toi aussi.
– Tu restes à l'hôpital?
– Evidemment. Comme il est question de transfusion, je me suis offert. On est du même groupe, papa et moi… Qu'est-ce qu'on pourrait lui donner de meilleur que mon sang à moi, hein?… Après tout, c'est le sien, en plus jeune! Le toubib est d'accord. Il a fallu parlementer, mais quand je veux quelque chose… Parce que, tu comprends, il y a aussi l'effet moral. Quand papa me verra allongé à côté de lui… s'il me voit (la voix se cassa), il s'accrochera… Il se rendra compte que lui et moi, c'est les doigts de la main, malgré nos querelles… Il sera bien obligé de tenir le coup…, pour moi, pour moi tout seul.
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