Theophile Gautier - La comédie de la mort

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Théophile Gautier

LA COMÉDIE DE LA MORT

Portail

Ne trouve pas étrange, homme du monde, artiste,
Qui que tu sois, de voir par un portail si triste
S’ouvrir fatalement ce volume nouveau.
Hélas! tout monument qui dresse au ciel son faîte,
Enfonce autant les pieds qu’il élève la tête.
Avant de s’élancer tout clocher est caveau,
En bas, l’oiseau de nuit, l’ombre humide des tombes;
En haut, l’or du soleil, la neige des colombes,
Des cloches et des chants sur chaque soliveau;
En haut, les minarets et les rosaces frêles,
Où les petits oiseaux s’enchevêtrent les ailes,
Les anges accoudés portant des écussons;
L’acanthe et le lotus ouvrant sa fleur de pierre
Comme un lis séraphique au jardin de lumière;
En bas, l’arc surbaissé, les lourds piliers saxons;
Les chevaliers couchés de leur long, les mains jointes,
Le regard sur la voûte et les deux pieds en pointes;
L’eau qui suinte et tombe avec de sourds frissons.
Mon oeuvre est ainsi faite, et sa première assise
N’est qu’une dalle étroite et d’une teinte grise
Avec des mots sculptés que la mousse remplit.
Dieu fasse qu’en passant sur cette pauvre pierre,
Les pieds des pèlerins n’effacent pas entière
Cette humble inscription et ce nom qu’on y lit.
Pâles ombres des morts, j’ai pour vos promenades,
Filé patiemment la pierre en colonnades;
Dans mon Campo-Santo je vous ai fait un lit!
Vous avez près de vous, pour compagnon fidèle,
Un ange qui vous fait un rideau de son aile,
Un oreiller de marbre et des robes de plomb.
Dans le jaspe menteur de vos tombes royales,
On voit s’entre-baiser les soeurs théologales
Avec leur auréole et leur vêtement long.

De beaux enfants tout nus, baissant leur torche éteinte, poussent autour de vous leur éternelle plainte; Un lévrier sculpté vous lèche le talon.

L’arabesque fantasque, après les colonnettes,
Enlace ses rameaux et suspend ses clochettes
Comme après l’espalier fait une vigne en fleur.
Aux reflets des vitraux la tombe réjouie,
Sous cette floraison toujours épanouie,
D’un air doux et charmant sourit à la douleur.
La mort fait la coquette et prend un ton de reine,
Et son front seulement sous ses cheveux d’ébène,
Comme un charme de plus garde un peu de pâleur.
Les émaux les plus vifs scintillent sur les armes,
L’albâtre s’attendrit et fond en blanches larmes;
Le bronze semble avoir perdu sa dureté.
Dans leur lit les époux sont arrangés par couples,
Leurs têtes font ployer les coussins doux et souples,
Et leur beauté fleurit dans le marbre sculpté.
Ce ne sont que festons, dentelles et couronnes,
Trèfles et pendentifs et groupes de colonnes
Où rit la fantaisie en toute liberté.
Aussi bien qu’un tombeau, c’est un lit de parade,
C’est un trône, un autel, un buffet, une estrade;
C’est tout ce que l’on veut selon ce qu’on y voit.
Mais pourtant si poussé de quelque vain caprice,
Dans la nef, vers minuit, par la lune propice,
Vous alliez soulever le couvercle du doigt,
Toujours vous trouveriez, sous cette architecture,
Au milieu de la fange et de la pourriture
Dans le suaire usé le cadavre tout droit,
Hideusement verdi, sans rayon de lumière,
Sans flamme intérieure illuminant la bière
Ainsi que l’on en voit dans les Christs aux tombeaux.
Entre ses maigres bras, comme une tendre épouse,
La mort les tient serrés sur sa couche jalouse
Et ne lâcherait pas un seul de leurs lambeaux.
A peine, au dernier jour, lèveront-t-ils la tête
Quand les cieux trembleront au cri de la trompette
Et qu’un vent inconnu soufflera les flambeaux.
Après le jugement, l’ange en faisant sa ronde
Retrouvera leurs os sur les débris du monde;
Car aucun de ceux-là ne doit ressusciter.
Le Christ lui-même irait comme il fit au Lazare
Leur dire: Levez-vous! que le sépulcre avare
Ne s’entr’ouvrirait pas pour les laisser monter.
Mes vers sont les tombeaux tout brodés de sculptures,
Ils cachent un cadavre, et sous leurs fioritures
Ils pleurent bien souvent en paraissant chanter.
Chacun est le cercueil d’une illusion morte;
J’enterre là les corps que la houle m’apporte
Quand un de mes vaisseaux a sombré dans la mer;
Beaux rêves avortés, ambitions déçues,
Souterraines ardeurs, passions sans issues,
Tout ce que l’existence a d’intime et d’amer.
L’océan tous les jours me dévore un navire,
Un récif, près du bord, de sa pointe déchire
Leurs flancs doublés de cuivre et leur quille de fer.
Combien j’en ai lancé plein d’ivresse et de joie
Si beaux et si coquets sous leurs flammes de soie.
Que jamais dans le port mes yeux ne reverront!
Quels passagers charmants, têtes fraîches et rondes,
Désirs aux seins gonflés, espoirs, chimères blondes;
Que d’enfants de mon coeur entassés sur le pont!
Le flot a tout couvert de son linceul verdâtre,
Et les rougeurs de rose, et les pâleurs d’albâtre,
Et l’étoile et la fleur éclose à chaque front.
Le flux jette à la côte entre le corps du phoque,
Et les débris de mâts que la vague entre-choque,
Mes rêves naufragés tout gonflés et tout verts;
Pour ces chercheurs d’un monde étrange et magnifique,
Colombs qui n’ont pas su trouver leur Amérique,
En funèbres caveaux creusez-vous, ô mes vers!
Puis montez hardiment comme les cathédrales,
Allongez-vous en tours, tordez-vous en spirales,
Enfoncez vos pignons au coeur des cieux ouverts.
Vous, oiseaux de l’amour et de la fantaisie,
Sonnets, ô blancs ramiers du ciel de poésie,
Posez votre pied rose au toit de mon clocher.
Messagères d’avril, petites hirondelles,
Ne fouettez pas ainsi les vitres à coups d’ailes,
J’ai dans mes bas-reliefs des trous où vous nicher;
Mes vierges vous prendront dans un pli de leur robe,
L’empereur tout exprès laissera choir son globe,
Le lotus ouvrira son coeur pour vous cacher.

J’ai brodé mes réseaux des dessins les plus riches, Évidé mes piliers, mis des saints dans mes niches, Posé mon buffet d’orgue et peint ma voûte en bleu.

J’ai prié saint Éloi de me faire un calice;
Le roi mage Gaspard, pour le saint sacrifice,
M’a donné le cinname et le charbon de feu.
Le peuple est à genoux, le chapelain s’affuble
Du brocart radieux de la lourde chasuble;
L’église est toute prête; y viendrez-vous, mon Dieu?

LA COMÉDIE DE LA MORT

La Vie dans la Mort

I

C’était le jour des morts: Une froide bruine
Au bord du ciel rayé, comme une trame fine,
Tendait ses filets gris;
Un vent de nord sifflait; quelques feuilles rouillées
Quittaient en frissonnant les cimes dépouillées
Des ormes rabougris;
Et chacun s’en allait dans le grand cimetière,
Morne, s’agenouiller sur le coin de la pierre
Qui recouvre les siens,
Prier Dieu pour leur âme, et, par des fleurs nouvelles,
Remplacer en pleurant les pâles immortelles
Et les bouquets anciens.
Moi, qui ne connais pas cette douleur amère,
D’avoir couché là-bas ou mon père ou ma mère
Sous les gazons flétris,
Je marchais au hasard, examinant les marbres,
Ou, par une échappée, entre les branches d’arbres,
Les dômes de Paris;
Et, comme je voyais bien des croix sans couronne,
Bien des fosses dont l’herbe était haute, où personne
Pour prier ne venait,
Une pitié me prit, une pitié profonde
De ces pauvres tombeaux délaissés, dont au monde

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