Paul Féval - Le Bossu Volume 2

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– Je dis, répliqua le petit marquis, que vous seriez des infâmes, si vous n'étiez des sots…

– De par Dieu! petit cousin, s'écria Nocé, tu es à l'âge où l'on corrige les mauvaises habitudes; j'ai envie…

– La la! s'interposa le paisible Oriol.

Chaverny n'avait même pas regardé Nocé.

– Qu'elle est belle! fit-il une seconde fois.

– Chaverny est amoureux! s'écria-t-on de toutes parts.

– C'est pourquoi je lui pardonne, ajouta Nocé.

– Mais, en somme, demanda Gironne, que sait-on sur cette jeune fille?

– Rien, répondit Navailles, sinon que M. de Gonzague la cache soigneusement, et que Peyrolles est l'eunuque chargé d'obéir aux caprices de cette belle personne.

– Peyrolles n'a pas parlé?

– Peyrolles ne parle jamais.

– C'est pour cela qu'on le garde.

– Elle doit être à Paris, reprit Nocé, depuis une ou deux semaines tout au plus; car, le mois passé, la Nivelle était reine et maîtresse dans la petite maison de M. le prince.

– Depuis lors, ajouta Oriol, nous n'avons pas soupé une seule fois à la petite maison.

– Il y a une manière de corps de garde dans le jardin, dit Montaubert; les chefs de poste sont tantôt Faënza, tantôt Saldagne.

– Mystère! mystère!

– Prenons patience… Nous allons savoir cela aujourd'hui… Holà! Chaverny!

Le petit marquis tressaillit comme si on l'eût éveillé en sursaut.

– Chaverny, tu rêves!..

– Chaverny, tu es muet!

– Chaverny, parle! parle, quand même ce serait pour nous dire des injures!

Le petit marquis appuya son menton contre sa main blanchette.

– Messieurs, dit-il, vous vous damnez tous les jours trois ou quatre fois pour quelques chiffons de banque… Moi, pour cette belle fille-là, je me damnerai une fois, voilà tout.

En quittant Cocardasse junior et Amable Passepoil, installés commodément à l'office devant un copieux repas, M. de Peyrolles était sorti de l'hôtel par la porte du jardin. Il prit la rue Saint-Denis, et, passant derrière l'église Saint-Magloire, il s'arrêta devant la porte d'un autre jardin dont les murs disparaissaient presque sous les branches énormes et pendantes d'une allée de vieux ormes.

M. de Peyrolles avait dans la poche de son beau pourpoint la clef de cette porte.

Il entra. Le jardin était solitaire. On voyait, au bout d'une allée en berceau, ombreuse jusqu'au mystère, un pavillon tout neuf, bâti dans le style grec, et dont le péristyle s'entourait de statues.

Un bijou que ce pavillon! la dernière œuvre de l'architecte Oppenort!

M. de Peyrolles s'engagea dans la sombre allée et gagna le pavillon.

Dans le vestibule étaient plusieurs valets en livrée.

– Où est Saldagne? demanda Peyrolles.

On n'avait point vu M. le baron de Saldagne depuis la veille.

– Et Faënza?

Même réponse que pour Saldagne.

La maigre figure de l'intendant prit une expression d'inquiétude.

– Que veut dire ceci? pensa-t-il.

Sans interroger autrement les valets, il demanda si mademoiselle était visible.

Il y eut un va et vient de domestiques. On entendit la voix de la première camériste. Mademoiselle attendait M. de Peyrolles dans son boudoir.

– Je n'ai pas dormi! s'écria-t-elle dès qu'elle l'aperçut, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit!.. Je ne veux plus demeurer dans cette maison!.. La ruelle qui est de l'autre côté du mur est un coupe-gorge.

C'était la jeune fille admirablement belle que nous avons vue entrer tout à l'heure chez M. de Gonzague. Sans faire tort à sa toilette, elle était plus charmante encore, s'il est possible, dans son déshabillé du matin. Son peignoir blanc flottant laissait deviner les perfections de sa taille, légère et robuste à la fois; ses beaux grands cheveux noirs dénoués tombaient à flots abondants sur ses épaules, et ses petits pieds nus jouaient dans des mules de satin.

Pour approcher de si près et sans danger pareille enchanteresse, il fallait être de marbre.

M. de Peyrolles avait toutes les qualités de l'emploi de confiance qu'il remplissait auprès de son maître.

Il eût disputé le prix de l'impassibilité à Mesrour, chef des eunuques noirs du calife Haroun-el-Reschild.

Au lieu d'admirer les charmes de sa belle compagne, il lui dit:

– Dona Cruz, M. le prince désire vous voir à son hôtel ce matin.

– Miracle! s'écria la jeune fille; moi sortir de ma prison! moi traverser la rue! moi, moi! Êtes-vous bien sûr de ne pas rêver debout, monsieur de Peyrolles?

Elle le regarda en face, puis elle éclata de rire, en exécutant très-remarquablement une pirouette double.

L'intendant ajouta sans sourciller:

– Pour vous rendre à l'hôtel; M. le prince désire que vous fassiez toilette.

– Moi! se récria encore la jeune fille, faire toilette! santa Virgen! je ne crois pas un mot de ce que vous me dites!

– Je parle pourtant très-sérieusement, dona Cruz; dans une heure, il faut que vous soyez prête.

Dona Cruz se regarda dans une glace et se rit au nez.

Puis, pétulante comme la poudre:

– Angélique! Justine! madame Langlois! Sont-elles lentes, ces Françaises! fit-elle en colère de ne les point voir arriver avant d'avoir été appelées. Madame Langlois, Justine, Angélique!

– Il faut le temps… voulut dire le flegmatique factotum.

– Vous, allez-vous-en! s'écria dona Cruz; vous avez fait votre commission… J'irai.

– C'est moi qui vous conduirai, rectifia Peyrolles.

– Oh! l'ennui! santa Maria! soupira dona Cruz; si vous saviez comme je voudrais voir une autre figure que la vôtre, mon bon monsieur de Peyrolles!

Madame Langlois, Angélique et Justine, trois chambrières parisiennes, entrèrent ensemble à ce moment. Dona Cruz ne songeait déjà plus à elles.

– Je ne veux pas, dit-elle, que ces deux hommes restent la nuit dans ma maison, ils me font peur.

Il s'agissait de Faënza et de Saldagne.

– C'est la volonté de monseigneur, répliqua l'intendant.

– Suis-je esclave? s'écria la pétulante enfant, déjà rouge de colère; ai-je demandé à venir ici? Si je suis prisonnière, c'est bien le moins que je puisse choisir mes geôliers! Dites-moi que je ne reverrai plus ces deux hommes ou je n'irai pas à l'hôtel…

Madame Langlois, première camériste de dona Cruz, s'approcha de M. de Peyrolles et lui dit quelques mots à l'oreille. Le visage de l'intendant, qui était naturellement très-pâle, devint livide.

– Avez-vous vu cela? demanda-t-il d'une voix qui tremblait.

– Je l'ai vu, répondit la camériste.

– Quand donc?

– Tout à l'heure. On vient de les trouver tous deux.

– Où cela?

– En dehors de la poterne qui donne sur la ruelle.

– Je n'aime pas qu'on parle à voix basse en ma présence, dit dona Cruz avec hauteur.

– Pardon, madame, repartit humblement l'intendant; qu'il vous suffise de savoir que ces deux hommes qui vous déplaisent… vous ne les reverrez plus.

– Alors, qu'on m'habille, ordonna la belle fille.

– Ils ont soupé hier soir en bas tous les deux, racontait cependant madame Langlois en reconduisant Peyrolles sur l'escalier. Saldagne, qui était de garde, a voulu reconduire M. de Faënza. Nous avons entendu dans la ruelle un cliquetis d'épées.

– Dona Cruz m'a parlé de cela, interrompit Peyrolles.

– Le bruit n'a pas duré longtemps, reprit la camériste; tout à l'heure un valet sortant par la ruelle s'est heurté contre deux cadavres.

– Langlois! Langlois! appela en ce moment la belle recluse.

– Allez! ajouta la camériste remontant les degrés précipitamment; ils sont là, au bout du jardin.

Dans le boudoir, les trois chambrières commencèrent l'œuvre facile et charmante de la toilette d'une jolie fille. Dona Cruz se livra bientôt tout entière au bonheur de se voir si belle. Son miroir lui souriait.

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