Paul Féval - Le Bossu Volume 6
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Paul Féval
Le Bossu Volume 6 / Aventures de cape et d'épée
LE CONTRAT DE MARIAGE.
(SUITE.)
XIII
– La signature du bossu. —
Madame la princesse de Gonzague avait passé toute la journée précédente dans son appartement, mais de nombreux visiteurs avaient rompu la solitude à laquelle la veuve de Nevers se condamnait depuis tant d'années.
Dès le matin, elle avait écrit plusieurs lettres. Les visiteurs empressés apportaient eux-mêmes leurs réponses.
C'est ainsi qu'elle reçut M. le cardinal de Bissy, M. le duc de Tresmes, gouverneur de Paris, M. de Machault, lieutenant de police, M. le président de Lamoignon et le vice-chancelier Voyer d'Argenson.
A tous, elle demanda aide et secours contre M. de Lagardère, ce faux gentilhomme qui lui avait enlevé sa fille. A tous, elle raconta son entretien avec ce Lagardère qui, furieux de ne point obtenir l'extravagante récompense qu'il avait rêvée, s'était réfugié derrière d'effrontés démentis.
On était outré contre M. de Lagardère. Il y avait, en vérité, de quoi.
Les plus sages, parmi les conseillers de madame de Gonzague, furent bien d'avis que la promesse même faite par Lagardère, la promesse de représenter mademoiselle de Nevers, était une première imposture, mais enfin il était bon de savoir.
Malgré tout le respect dont on affectait d'entourer le nom de M. le prince de Gonzague, il est certain que la séance de la veille avait laissé contre lui dans tous les esprits de fâcheux souvenirs.
Il y avait en tout ceci un mystère d'iniquité que nul ne pouvait sonder, mais qui mettait martel en tête à chacun.
Est-il irrévérencieux d'affirmer qu'il y a toujours dans ce vertueux zèle du magistrat une bonne dose de curiosité?
Monseigneur de Bissy avait le premier flairé quelque prodigieux scandale. Le flair s'éveilla peu à peu chez les autres. Et dès qu'on fut sur la piste du mystère, on se mit en chasse résolûment.
Tous ces messieurs se jurèrent de n'en avoir point le démenti.
On conseilla d'abord à madame la princesse de se rendre au Palais-Royal afin d'éclairer pleinement la religion de M. le régent. On lui conseilla surtout de ne point accuser son mari.
Elle monta en litière vers le milieu du jour et se rendit au Palais-Royal où elle fut immédiatement reçue. Le régent l'attendait.
Elle eut une audience d'une longueur inusitée. Elle n'accusa point son mari.
Mais le régent interrogea, ce qu'il n'avait pu faire durant le tumulte du bal.
Mais le régent, en qui le souvenir de Philippe de Nevers, son meilleur ami, son frère, s'éveillait violemment depuis deux jours, remonta tout naturellement le cours des années et parla de cette lugubre affaire de Caylus, qui pour lui n'avait jamais été éclairée.
C'était la première fois qu'il causait ainsi en tête-à-tête avec la veuve de son ami.
La princesse n'accusa point son époux, le régent resta triste et pensif.
Et cependant, le régent qui reçut deux fois M. le prince de Gonzague, ce jour-là et la nuit suivante, n'eut aucune explication avec lui.
Pour qui connaissait Philippe d'Orléans, ce fait n'avait pas besoin de commentaires.
La défiance était née dans l'esprit du régent.
Au retour de sa visite au Palais-Royal, madame la princesse de Gonzague trouva sa retraite pleine d'amis.
Tous ces gens qui lui avaient conseillé de ne point accuser le prince lui demandèrent ce que le régent avait décidé par rapport au prince.
Gonzague, qui avait l'instinct d'un orage prochain, ne se doutait cependant pas de tous ces nuages qui s'amoncelaient à son horizon. Il était si puissant et si riche!
Et l'histoire de cette nuit, par exemple, racontée le lendemain, eût été si aisément démentie!
On aurait ri du bouquet de fleurs empoisonnées. Cela était bon du temps de la Brinvilliers!
On aurait ri du mariage tragi-comique. Et si quelqu'un eût voulu soutenir qu'Ésope II dit Jonas avait mission d'assassiner sa jeune femme, pour le coup on se fût tenu les côtes!
Contes à dormir debout! On n'éventrait plus que les portefeuilles.
L'orage ne soufflait point de là. L'orage venait de l'hôtel de Gonzague.
Ce long, ce triste drame des dix-huit années de mariage forcé, allait avoir peut-être son dénoûment.
Quelque chose remuait derrière les draperies noires de l'autel où la veuve de Nevers faisait dire chaque matin l'office des morts.
Parmi ce deuil sans exemple, un fantôme se dressait.
Le crime présent n'aurait point trouvé créance à cause même de cette foule de témoins, tous complices.
Mais le crime passé, si profondément qu'on l'ait enfoui, finit presque toujours par briser les planches vermoulues du cercueil.
Madame la princesse de Gonzague répondit à ses illustres conseils que M. le régent s'était enquis des circonstances de son mariage, et de ce qui l'avait précédé. Elle ajouta que M. le régent lui avait promis de faire parler ce Lagardère, fallût-il employer la question!
On se rejeta sur ce Lagardère avec le secret espoir que la lumière viendrait par lui, car chacun savait ou se doutait bien que ce Lagardère avait été mêlé à la scène nocturne qui, vingt ans auparavant, avait ouvert cette interminable tragédie.
M. de Machault promit ses alguazils, M. de Tresmes ses gardes, les présidents leurs lévriers de palais. Nous ne savons pas ce qu'un cardinal peut promettre en cette circonstance, mais enfin, Son Éminence offrit ce qu'elle avait.
Il ne restait plus à ce Lagardère qu'à bien se tenir!
Vers cinq heures du soir, Madeleine Giraud vint trouver sa maîtresse qui était seule et lui remit un billet du lieutenant de police. Ce magistrat annonçait à la princesse que M. de Lagardère avait été assassiné la nuit précédente au sortir du Palais-Royal.
La lettre se terminait par ces mots qui devenaient sacramentels:
– «N'accusez point votre mari.»
Madame la princesse passa le reste de cette soirée dans les larmes et la prière.
Entre neuf et dix heures, Madeleine Giraud revint avec un nouveau billet.
Celui-ci était d'une écriture inconnue. Il rappelait à madame la princesse que le délai de vingt-quatre heures accordé à M. de Lagardère par le régent expirait cette nuit à quatre heures. Il informait madame la princesse que M. de Lagardère serait à cette heure dans le pavillon qui servait de maison de plaisance à M. de Gonzague.
Lagardère chez Gonzague! pourquoi? comment?
Et cette lettre du lieutenant de police qui annonçait sa mort!
La princesse ordonna d'atteler. Elle monta dans son carrosse et se fit mener rue Pavée-Saint-Antoine à l'hôtel de Lamoignon.
Une heure après, vingt gardes françaises, commandés par un capitaine, et quatre exempts du Châtelet bivaquaient dans la cour de l'hôtel Lamoignon.
Nous n'avons pas oublié que la fête donnée par M. le prince de Gonzague à sa petite maison derrière Saint-Magloire avait pour prétexte un mariage: le mariage du marquis de Chaverny avec une jeune inconnue à qui le prince constituait une dot de cinquante mille écus.
Le fiancé avait accepté et nous savons que M. de Gonzague croyait avoir ses raisons pour ne point redouter le refus de l'épousée.
Il est donc naturel que M. le prince eût pris d'avance toutes ses mesures pour que rien ne retardât l'union projetée. Le notaire royal, un vrai notaire royal, avait été convoqué.
Bien plus, le prêtre, un vrai prêtre, attendait à la sacristie de Saint-Magloire.
Il ne s'agissait point d'un simulacre de noces. C'était un mariage valable qu'il fallait à M. de Gonzague, un mariage qui donnait droit sur l'épouse à l'époux.
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