Sganarelle
(Il prend un bâton, et lui en donne.)
Ah! vous en voulez donc?
Martine
Ah! ah! ah! ah!
Sganarelle
Voilà le vrai moyen de vous apaiser.
MONSIEUR ROBERT, SGANARELLE, MARTINE
M. Robert
Holà! holà! holà! Fi! Qu'est-ce ci? quelle infamie! Peste soit le coquin, de battre ainsi sa femme!
Martine,
les mains sur les côtés, lui parle en le faisant reculer, et à la fin lui donne un soufflet.
Et je veux qu'il me batte, moi.
M. Robert
Ah! j'y consens de tout mon cœur.
Martine
De quoi vous mêlez-vous?
M. Robert
J'ai tort.
Martine
Est-ce là votre affaire?
M. Robert
Vous avez raison.
Martine
Voyez un peu cet impertinent qui veut empêcher les maris de battre leurs femmes!
M. Robert
Je me rétracte.
Martine
Qu'avez-vous à voir là-dessus?
M. Robert
Rien.
Martine
Est-ce à vous d'y mettre le nez?
M. Robert
Non.
Martine
Mêlez-vous de vos affaires.
M. Robert
Je ne dis plus mot.
Martine
Il me plaît d'être battue.
M. Robert
D'accord.
Martine
Ce n'est pas à vos dépens.
M. Robert
Il est vrai.
Martine
Et vous êtes un sot de venir vous fourrer où vous n'avez que faire.
M. Robert
( Il passe ensuite vers le mari, qui pareillement lui parle toujours en le faisant reculer, le frappe avec le mime bâton et le met en fuite. Il dit à la fin: )
Compère, je vous demande pardon de tout mon cœur; faites, rossez, battez comme il faut votre femme; je vous aiderai, si vous le voulez.
Sganarelle
Il ne me plaît pas, moi.
M. Robert
Ah! c'est une autre chose.
Sganarelle
Je la veux battre si je le veux, et ne la veux pas battre si je le ne veux pas.
M. Robert
Fort bien.
Sganarelle
C'est ma femme, et non pas la vôtre.
M. Robert
Sans doute.
Sganarelle
Vous n'avez rien à me commander.
M. Robert
D'accord.
Sganarelle
Je n'ai que faire de votre aide.
M. Robert
Très volontiers.
Sganarelle
Et vous êtes un impertinent de vous ingérer des affaires d'autrui. Apprenez que Cicéron dit qu'entre l'arbre et le doigt il ne faut point mettre l'écorce. 6
( Ensuite, il revient vers sa femme, et lui dit en lui pressant la main: )
O ça, faisons la paix nous deux. Touche là.
Martine
Oui! après m'avoir ainsi battue.
Sganarelle
Cela n'est rien. Touche.
Martine
Je ne veux pas.
Sganarelle
Hé?
Martine
Non.
Sganarelle
Ma petite femme!
Martine
Point.
Sganarelle
Allons, te dis-je.
Martine
Je n'en ferai rien.
Sganarelle
Viens, viens, viens.
Martine
Non, je veux être en colère.
Sganarelle
Fi! c'est une bagatelle; allons, allons.
Martine
Laisse-moi là.
Sganarelle
Touche, te dis-je.
Martine
Tu m'as trop maltraitée.
Sganarelle
Eh bien, va, je te demande pardon; mets là ta main.
Martine
Je te pardonne; ( elle dit le reste bas ) mais tu le payeras.
Sganarelle
Tu es une folle de prendre garde à cela. Ce sont petites choses qui sont de temps en temps nécessaires dans l'amitié; et cinq ou six coups de bâton, entre gens qui s'aiment, ne font que ragaillardir l'affection. Va, je m'en vais au bois, et je te promets aujourd'hui plus d'un cent de fagots.
MARTINE,
seule
Va, quelque mine que je fasse, je n'oublie pas mon ressentiment, et je brûle en moi-même de trouver les moyens de te punir des coups que tu me donnes. Je sais bien qu'une femme a toujours dans les mains de quoi se venger d'un mari; mais c'est une punition trop délicate pour mon pendart. Je veux une vengeance qui se fasse un peu mieux sentir, et ce n'est pas contentement pour l'injure que j'ai reçue.
VALÈRE, LUCAS, MARTINE
Lucas
Parguenne! j'avons pris là tous deux une gueble de commission; et je ne sai pas, moi, ce que je pensons attraper.
Valère
Que veux-tu, mon pauvre nourricier? il faut bien obéir à notre maître; et puis nous avons intérêt l'un et l'autre à la santé de sa fille, notre maîtresse; et sans doute son mariage, différé par sa maladie, nous vaudroit quelque récompense. Horace, qui est libéral, a bonne part aux prétentions qu'on peut avoir sur sa personne, et, quoi-qu'elle ait fait voir de l'amitié pour un certain Léandre, tu sais bien que son père n'a jamais voulu consentir à le recevoir pour son gendre.
Martine,
rêvant à part elle .
Ne puis-je point trouver quelque invention pour me venger?
Lucas
Mais quelle fantaisie s'est-il boutée là dans la tête, puisque les médecins y avont tous pardu leur latin?
Valère
On trouve quelquefois, à force de chercher, ce qu'on ne trouve pas d'abord; et souvent, en de simples lieux…
Martine
Oui, il faut que je m'en venge à quelque prix que ce soit: ces coups de bâton me reviennent au cœur, je ne les saurois digérer, et… ( Elle dit tout ceci en rivant, de sorte que, ne prenant pas garde à ces deux hommes, elle les heurte en se retournant, et leur dit :) Ah! Messieurs! je vous demande pardon, je ne vous voyois pas, et cherchois dans ma tête quelque chose qui m'embarrasse.
Valère
Chacun a ses soins dans le monde, et nous cherchons aussi ce que nous voudrions bien trouver.
Martine
Seroit-ce quelque chose où je vous puisse aider?
Valère
Cela se pourroit faire; et nous tâchons de rencontrer quelque habile homme, quelque médecin particulier, qui pût donner quelque soulagement à la fille de notre maître, attaquée d'une maladie qui lui a ôté tout d'un coup l'usage de la langue. Plusieurs médecins ont déjà épuisé toute leur science après elle; mais on trouve parfois des gens avec des secrets admirables, de certains remèdes particuliers, qui font le plus souvent ce que les autres n'ont su faire, et c'est là ce que nous cherchons.
Martine
(Elle dit ces premières lignes bas.)
Ah! que le Ciel m'inspire une admirable invention pour me venger de mon pendart! ( Haut .) Vous ne pouviez jamais vous mieux adresser pour rencontrer ce que vous cherchez, et nous avons ici un homme, le plus merveilleux homme du monde, pour les maladies désespérées.
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