Halter,Marek - Marie
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- Название:Marie
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- Издательство:Alexandriz
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- Год:2006
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Marek Halter
Marie
ROBERT LAFFONT
« Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu, Voici que tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Jésus… Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père ; il régnera pour toujours sur la famille de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. »
évangile selon luc, 30-33
« Qui donc est parent ? La mère et l’enfant. »
avadânas, Contes et apologues indiens
« Jésus est la figure la plus lumineuse de l’Histoire. Si personne n’ignore aujourd’hui qu’il était juif, personne en revanche ne sait que sa mère Marie l’était aussi. »
david ben gourion
Avertissement
Les historiens considèrent désormais que la naissance possible de Jésus daterait de l’an 4, soit quatre années avant le début du calendrier officiel de l’ère chrétienne. L’erreur est imputée à un moine du XI esiècle.
Prologue
Il faisait nuit. Les portes et les volets du village étaient clos, les bruits du jour absorbés par l’obscurité.
Sur son tabouret rembourré d’un peu de laine, Joachim le charpentier, le poing serré sur des ronces enveloppées dans un chiffon, polissait des pièces de bois aux nervures délicates qu’il déposait avec précaution, une fois achevées, dans un panier.
Ses gestes étaient ceux de l’habitude, alourdis par la fatigue et le sommeil. Parfois il s’immobilisait. Ses paupières se fermaient, son menton s’affaissait.
De l’autre côté du foyer, Hannah, son épouse, le visage rosi par les braises mourantes, coula vers lui un regard tendre. Un sourire plissa ses joues. Elle cligna de l’œil vers sa fille Miryem, qui lui tendait un écheveau de laine. L’enfant répondit à sa mère d’une grimace complice. Puis, de nouveau, les doigts agiles d’Hannah tirèrent les brins de laine, les entremêlant et les torsadant si régulièrement qu’ils ne formaient plus qu’un seul fil.
Des braillements les firent sursauter.
Là dehors, tout près.
Joachim se redressa, la nuque tendue, les épaules raides, sans plus trace de sommeil.
Ils entendirent d’autres cris, reconnurent des voix, plus aiguës que des cliquetis de métal, et les rires qui jaillirent soudain, incongrus. Une plainte de femme s’éleva, s’acheva en sanglots.
Miryem scruta le visage de sa mère. Hannah, les doigts noués sur la laine, se tourna vers Joachim. La mère et la fille le regardèrent déposer dans le panier la pièce de bois qu’il travaillait encore. Un geste précis, soigneux. Par-dessus, il jeta la poignée de ronces enveloppées de chiffons.
A l’extérieur, les hurlements enflèrent, plus violents. Toute la ruelle du village s’agitait. Des insultes fusaient, clairement compréhensibles, franchissant les portes et les murs.
Hannah rangea son ouvrage dans le tissu déployé sur ses cuisses et ordonna tout bas à Miryem :
— Monte.
Sans attendre, elle retira l’écheveau des bras tendus de la fillette. La voix plus dure, elle répéta :
— Monte. Dépêche-toi !
Miryem s’écarta de la cheminée et recula jusqu’à la tenture qui masquait la cage d’escalier noyée d’ombre. Le rideau repoussé, elle s’arrêta, incapable de détacher les yeux de son père.
Joachim était debout, s’avançant vers la porte. Lui aussi s’immobilisa. La barre était glissée en travers du grand vantail et de l’unique volet. Il l’avait placée lui-même. Elle était bien bloquée, il le savait.
Comme il savait qu’elle était inutile. Elle ne les protégerait pas de ceux qui approchaient. Les portes et les volets, ils s’en moquaient.
Les gueulements, maintenant, résonnaient plus près, entre les murs des resserres et des ateliers.
— Ouvrez ! Ouvrez ! Ordre d’Hérode, votre roi !
Des mots prononcés en mauvais latin et répétés en mauvais hébreu. Des voix, un accent, une manière de brailler qu’ici on considérait comme une langue étrangère.
C’était ainsi chaque fois que les mercenaires d’Hérode venaient semer la terreur et le malheur dans le village. Ils arrivaient de préférence la nuit, sans que l’on sache jamais pourquoi.
Parfois, ils s’éternisaient dans Nazareth des jours durant. En été, ils campaient à la sortie du village. En hiver, ils jetaient des familles hors de leurs masures et s’installaient au gré de leurs caprices. Ils ne s’en allaient qu’après avoir volé, brûlé, détruit et tué. Ils prenaient leur temps, se plaisaient à contempler l’effet du mal et de la souffrance qu’ils engendraient.
Parfois, ils traînaient des prisonniers derrière eux. Des hommes, des femmes, même des enfants. On les revoyait rarement, mais il fallait du temps avant qu’on les tienne pour morts.
Quelquefois, les mercenaires laissaient le village en paix pendant des mois. Une saison entière. Les plus jeunes, les plus insouciants oubliaient presque leur existence.
A présent, les cris cernaient la maison. Miryem entendit le raclement des semelles sur le dallage de pierre.
Joachim devina le regard de sa fille qui pesait dans son dos. Il se retourna, chercha sa silhouette dans l’ombre. Il ne se montra pas fâché de la trouver encore là, mais agita la main de manière pressante.
— Monte vite, Miryem ! Sois prudente.
Il lui fit une grimace. Peut-être un sourire. Miryem vit sa mère qui pressait les mains devant sa bouche et la regardait avec effroi. Cette fois, elle se détourna pour de bon et s’élança dans l’escalier.
Dans l’obscurité, elle frôla le mur pour se guider, sans prendre la peine d’éviter les marches grinçantes. Les soldats braillaient tant qu’ils ne risquaient pas de l’entendre.
Les coups portés étaient si violents que le mur trembla sous la main de Miryem à l’instant où elle poussa la porte qui conduisait à la terrasse.
D’ici, le tumulte des cris, des ordres, des plaintes se perdait dans la nuit. En bas, dans la salle commune, la voix de Joachim semblait étonnamment calme tandis qu’il retirait la barre de la porte et laissait celle-ci pivoter sur ses gonds.
*
* *
Les torches des soldats formaient une onde rouge dans l’obscurité. Le cœur battant, Miryem résista au désir de s’approcher de la murette pour contempler le spectacle. Elle le devinait sans peine. Les cris résonnaient dans la maison, sous ses pieds. Elle percevait les protestations de son père, les gémissements de sa mère, que les aboiements des mercenaires enjoignaient de se taire.
Elle courut vers l’autre extrémité de la longue terrasse en surplomb de l’atelier, évitant le fatras qui l’encombrait. Des paniers, des sacs de vieux bois, de sciure, des briques mal cuites, des jarres, des bûches et des peaux de mouton. Tout ce que son père venait y déposer, par manque de place dans la resserre.
Dans un angle, d’énormes rondins à peine équarris étaient entassés dans un désordre qui menaçait de s’écrouler. Cependant, tout ce bric-à-brac n’était que tromperie. La cache réalisée par Joachim pour sa fille était sans doute le plus beau et le plus astucieux de tous les ouvrages de charpente qu’il avait fabriqués dans sa vie.
Entre les rondins entassés, si lourds qu’il fallait au moins deux hommes pour les soulever, étaient coincées çà et là de fines planchettes. On aurait pu croire que les troncs, glissant les uns sur les autres, les avaient bloquées au hasard de leur poids.
Pourtant, à l’extrémité du tas, il suffisait de pousser l’une de ces planchettes de caroubier pour ouvrir une trappe. Se confondant avec les éclats naturels du bois, les coups de gouge et l’usure des intempéries, ce battant demeurait parfaitement invisible.
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