Indridason,Arnaldur - La rivière noire
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— C’est donc là que tout a commencé, observa Elinborg à voix basse, comme en elle-même.
— Vous connaissez d’autres femmes qu’il aurait violées ?
— Il y a celle que nous avons placée en garde à vue, mais aucune autre ne s’est manifestée.
— Peut-être y en a-t-il plusieurs comme Addy, observa Valdimar. Il a menacé de la tuer si elle parlait.
Il cessa de tapoter la paume de sa main avec la clef à molette, il leva les yeux pour fixer ceux d’Elinborg.
— Toutes ces années durant, elle n’était plus qu’une femme brisée et le temps qui passait n’y changeait rien.
— Je l’imagine bien.
— Quand elle a enfin été prête à me confier ce qui s’était passé, il était trop tard.
Le frère et la sœur étaient restés un long moment silencieux dans l’appartement au-dessus de l’atelier quand Addy eut achevé son récit. Valdimar lui tenait la main et lui caressait les cheveux. Il s’était assis à côté d’elle quand l’histoire qu’elle lui racontait avait pris une tournure de plus en plus dure et oppressante.
— Tu n’imagines pas à quel point cela a été difficile, avait-elle dit à voix basse. Plus d’une fois, j’ai failli abandonner la lutte.
— Pourquoi ne m’en as-tu rien dit ? avait interrogé Valdimar, assommé. Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé plus tôt ? J’aurais pu te venir en aide.
— Qu’est-ce que tu aurais pu y faire, Valdi ? Tu étais si jeune. Moi-même, j’étais presque encore une enfant. Qu’est-ce que je pouvais faire ? Qui allait nous aider à nous battre contre ce monstre ? Cela aurait-il servi à quoi que ce soit de le voir aller en prison pour quelques mois ? Ces choses-là ne sont pas graves, Valdi. En tout cas, elles ne le sont pas dans l’esprit de ceux qui nous gouvernent. Tu le sais très bien.
— Comment as-tu pu garder cela au fond de toi pendant tout ce temps ?
— Je me suis efforcée de vivre avec. Certains jours sont meilleurs que d’autres. Tu m’y as aidé infiniment, Valdi. Je doute que quiconque puisse avoir un frère aussi bon que toi.
— Runolfur, avait marmonné Valdi.
Sa sœur s’était alors tournée vers lui.
— Ne fais surtout pas de bêtise, Valdi. Je ne voudrais pas qu’il t’arrive quoi que ce soit. Sinon, je ne t’aurais rien dit.
— Elle ne m’a confié tout cela qu’au moment où elle avait renoncé à lutter, reprit Valdimar, les yeux levés vers Elinborg. Je lui ai lâché la main l’espace d’un instant et cela a suffi. Je ne me suis pas rendu compte à quel point elle en était arrivée, je n’ai pas mesuré la profondeur de la blessure qu’il lui avait infligée. On l’a retrouvée le soir même sur le rivage, en bas du cimetière. Runolfur a déménagé à Reykjavik très peu de temps après et il n’est jamais revenu s’installer au village. Il ne s’arrêtait à chaque fois que très brièvement.
— Vous avez besoin que quelqu’un vous assiste, il faut que vous contactiez un avocat, informa Elinborg. Je vais vous demander de ne pas m’en dire plus.
— Je n’ai besoin d’aucun avocat, répondit Valdimar. Ce dont j’avais besoin, c’était de la justice. Je suis allé le voir chez lui et j’ai compris qu’il continuait.
33
Les effets apparurent plus vite que Runolfur ne l’avait escompté et il dut soutenir Nina alors qu’ils remontaient chez lui, dans le quartier de Thingholt. Elle semblait extrêmement réceptive au produit. Accrochée à son bras, il dut presque la porter sur les derniers mètres du trajet. Il passa par le jardin plutôt que par la rue, ainsi, personne ne les verrait. Il n’alluma pas la lumière quand ils entrèrent dans l’appartement et il l’allongea doucement sur le canapé du salon.
Il ferma la porte, se rendit à la cuisine où il alluma une bougie, en plaça quelques autres dans la chambre à coucher et deux au salon. Ensuite, il retira sa veste. Les bougies projetaient une clarté inquiétante sur les lieux. Il avait soif. Il vida un grand verre d’eau et mit la bande originale d’un de ses films préférés. Il se pencha sur Nina, roula le châle en boule, le balança dans la chambre et commença à lui enlever son t-shirt de San Francisco. Elle n’avait pas de soutien-gorge.
Runolfur la porta jusqu’à la chambre où il acheva de la dévêtir avant de se déshabiller. Elle était complètement inconsciente. Il enfila le t-shirt de la jeune femme et regarda ce corps nu, inerte. Il sourit, puis mordit le coin de l’emballage du préservatif.
À ce moment-là, il n’y avait de place dans son esprit que pour cette jeune femme.
Il s’allongea sur elle, lui caressa la poitrine et lui enfonça sa langue dans la bouche.
Une demi-heure plus tard, il sortit de la chambre pour changer la musique. Il prit tout son temps. Il choisit la bande originale d’un autre film et se permit d’augmenter légèrement le volume.
Il allait retourner à la chambre quand il entendit quelqu’un frapper. Il jeta un regard en direction de la porte : il en croyait à peine ses oreilles. Depuis qu’il avait emménagé dans le quartier, il ne lui était arrivé que deux fois d’être dérangé par des gens descendus boire au centre-ville et qui se rendaient dans des fêtes privées afin d’y poursuivre leur nuit. Ils avaient oublié l’adresse ou s’étaient perdus et ne l’avaient laissé tranquille qu’une fois qu’il était allé leur répondre. Debout dans le salon, il regarda vers la chambre puis vers l’entrée. Il entendit de nouveaux coups, plus forts encore. Son visiteur nocturne ne semblait pas disposé à renoncer. La deuxième fois que quelqu’un était venu perturber sa tranquillité, l’intéressé avait crié depuis la rue le prénom d’une certaine Sigga, persuadé que celle-ci vivait à cette adresse.
Runolfur se dépêcha d’enfiler un pantalon, tira la porte de la chambre et entrouvrit celle de l’entrée. Le perron n’était pas éclairé et il ne distinguait que très vaguement la silhouette qui lui faisait face.
— Qu’est-ce que… ?
Il n’eut pas le temps d’achever sa phrase. Le visiteur poussa violemment la porte, se précipita dans l’appartement et referma d’un coup sec derrière lui.
Runolfur fut tellement pris au dépourvu qu’il n’eut même pas le temps de réagir.
— Tu es seul ? interrogea Valdimar.
Il le reconnut immédiatement.
— Toi ? s’alarma Runolfur. Comment… ? Que… Qu’est-ce que tu veux ?
— Il y a quelqu’un chez toi ? demanda Valdimar.
— Sors d’ici ! éructa Runolfur.
Il aperçut le manche d’un rasoir dans la main de Valdimar et, l’instant d’après, la lame scintilla. Avant même qu’il n’ait le temps de s’en rendre compte, Valdimar le saisit d’une main par la gorge et le plaqua contre le mur du salon en plaçant la lame sur son cou. Il était nettement plus grand et costaud que Runolfur, paralysé par la peur. Valdimar jeta un coup d’œil rapide sur les lieux et aperçut les pieds de Nina par la porte entrouverte de la chambre.
— Qui est-ce ? demanda-t-il.
— Mon amie, bredouilla Runolfur, peinant à articuler tant l’autre le serrait fort. Il lui semblait que son cou était pris dans un étau. Il parvenait à peine à respirer.
— Ton amie ? Dis-lui de déguerpir !
— Elle dort.
— Réveille-la !
— Je… je ne peux pas, répondit Runolfur.
— Toi, là-bas ! cria Valdimar en direction de la chambre. Tu m’entends ?
Nina ne réagit pas.
— Pourquoi est-ce qu’elle ne répond pas ?
— Elle dort profondément, expliqua Runolfur.
— Elle dort ?
Valdimar changea sa prise et se retrouva brusquement dans le dos de Runolfur, le coupe-chou posé sur sa gorge et l’autre main agrippée à ses cheveux pour le pousser jusqu’à la chambre. Il ouvrit la porte d’un coup de pied.
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