ÉCHANGES
Auteur dramatique échangerait pièce en quatre actes contre trois pièces et une cuisine.
Caméléon domestique au bord de la dépression nerveuse échangerait d’urgence coussin écossais contre coussin teinte neutre.
Échangerais quinze jours de vacances pris au mois de juillet contre quinze jours à prendre en septembre.
La personne ayant demandé, par téléphone, un taxi pour 15 h 30, 24, avenue de Villiers, étant entrée en clinique pour dépression nerveuse, l’appel peut être considéré comme annulé.
Personne n’y avait pensé avant Pierre Dac. Un jour de 1940, face aux restrictions d’énergie consécutives à la « Drôle de guerre », il s’est intéressé à la meilleure manière de faire des économies d’énergie. Des réflexions toujours d’actualité plus d’un demi-siècle après la parution de cet éditorial dans L’Os à moelle.
« Credo quia absurdum , a écrit Lope de Vega en son traité sur la pluralité des barres d’appui. Ce n’est certes pas moi qui dirai le contraire, étant pleinement et entièrement de l’avis de cet illustre gastronome.
Il n’en est pas moins vrai que le devoir immédiat et actuel de tout citoyen est de collaborer à l’œuvre urgente de redressement par l’économie nationale rationnelle. Or, qui dit économie dit utilisation de toutes les forces naturelles au bénéfice de l’intérêt général. Or, j’estime que, chaque jour, nous laissons inutilisée une quantité d’énergie telle qu’il est presque criminel de laisser perpétuer un pareil état de choses. Et c’est pourquoi je veux vous parler ici de la houille dormante.
La houille dormante ! C’est probablement la première fois que vous en entendez parler ; moi aussi d’ailleurs, puisque avant d’y avoir pensé personnellement, nul ne m’en avait soufflé mot.
Voilà de quoi il s’agit : on connaît sous le nom de houille blanche la force des chutes d’eau mise au service de l’énergie électrique ; d’où économie massive et indiscutable de combustible. On connaît aussi la houille beige, la houille bleue et la houille verte, d’utilité moins glorieuse mais honorable cependant. Il s’agit maintenant d’utiliser la houille dormante. Qu’est-ce que la houille dormante ? C’est la captation de l’énergie du sommeil, énergie négative qui peut être rendue positive par le truchement de moyens qu’il appartient aux ingénieurs de réaliser.
Tout être humain, à l’état de veille, manifeste une certaine activité variable, suivant sa complexion physique et morale ; or, en période de sommeil, cette activité disparaît-elle ? Non pas, elle tourne à vide, sans utilité aucune. N’avez-vous point remarqué que certaines personnes dorment plus ou moins rapidement ? Preuve irréfutable d’une énergie contenue qui ne demande qu’un procédé adéquat pour être canalisée et utilisée à des fins industrielles.
L’énergie produite en une nuit par la respiration de 50 millions de Français endormis serait amplement suffisante pour faire fonctionner pendant deux mois toutes les usines du pays, y compris celles-là et les autres.
Je sais qu’en lisant cette affirmation, les compétences autorisées vont hausser les gencives en claquant des épaules. Peu importe. L’idée est un blé dont le grain semé finit toujours par produire un jour ou l’autre un pain de quatre livres.
La houille dormante est dans l’air ; elle fera son chemin et ce sera l’honneur de ma vie d’avoir été le précurseur d’une chose qui, demain, redonnera à notre nation la prospérité et le bonheur dans l’idoine et la fécondité. »
Renvoyé du lycée pour avoir accroché un hareng saur à la redingote de son professeur de mathématiques, Pierre Dac n’a jamais rattrapé des études qu’il avait pourtant tenté de poursuivre. C’est dire s’il voue une admiration sans limites aux érudits, en particulier à celui qu’il a présenté, dans les années cinquante, comme « le type même du self-made-man français ».
Parfait honnête homme et citoyen intègre, Isidore Paudemurge est né le jour de la Saint-Oculi, patron des fabricants de lunettes, à Mouchabœuf-en-Tournée, charmante localité sur les bords de la Semoule, entre Morzy-les-Gracieuse et Issoubly-sous-l’Huy.
Quoique étant indiscutablement de souche lorraine, son ascendance n’en demeure pas moins assez trouble, puisqu’il est savoyard par sa mère et auvergnat par un ami de son père.
Très jeune, il perdit ses parents. Bêtement d’ailleurs, dans la foule, à la foire du Trône. Ce qui, après déclaration de perte à l’état civil, lui donna droit à l’appellation contrôlée d’orphelin provisoire.
Il se retrouva donc, de fort bonne heure, dans l’obligation de se livrer aux besognes les plus diverses pour gagner sa vie. C’est ainsi qu’il fut, successivement et entre autres, essayeur de sucettes dans une confiserie clandestine, metteur au point à la ligne dans une imprimerie désaffectée, donneur à plein temps dans un institut d’insémination artificielle d’où il fut remercié pour insuffisance de matière première, interne des hôpitaux, mais en qualité de malade, et enfin, imprésario et organisateur de galas au bénéfice de l’organisation des organisateurs de galas.
Ensuite, domicilié à Paris au 44 de la rue du Chien-qui-Quête, en face de la faculté de lutte gréco-romaine, il finit par exercer l’honorable et lucrative profession de faux-filetier. Chaque matin, il se mit à vendre, à la sauvette, du faux filet de hareng et du faux filet à provisions sur les marchés et dans les milieux orthodoxes.
En marge de ses occupations professionnelles, il se passionne pour l’art pictural. Paysagiste distingué, on lui doit, en dehors de certaines sommes d’argent qu’il a bien du mal à récupérer, quelques œuvres intéressantes parmi lesquelles une ravissante peinture à l’huile et au vinaigre intitulée : Matin d’avril , qui représente un joyeux boulevardier au saut du lit, en train d’élever l’extrémité de sa chemise de nuit à la hauteur de son front en ayant l’air de dire : « Je ne sais pas ce que j’ai dans l’œil. »
Également passionné de politique, ardent défenseur des libertés démocratiques, il est l’un des principaux fondateurs du « Mouvement républicain alternatif des jambes et des bras avec rotation des gencives et circumduction du tronc ». Orateur-né, doué d’une présence d’esprit à toute épreuve et implacable logicien, il possède le sens profond du mot juste et de la réplique incisive. Ainsi, nul, dans son quartier n’a oublié ce fameux soir où, en pleine réunion électorale, il riva magistralement son clou à un contradicteur de mauvaise foi. Celui-ci, à bout d’arguments et littéralement exaspéré à propos de je ne sais plus trop quoi, lui ayant lancé à tout hasard : « Mais enfin, monsieur, quoi, tout de même, après tout, fluctuat nec mergitur ! », il répondit, du tac au tac : « D’accord, mais seulement dans les rues en pente ! »
Il est intéressant de préciser qu’Isidore Paudemurge tient probablement cette prédilection pour les affaires publiques de son grand-oncle, David Eustache Dégraisse qui, sous le septennat de Jules Grévy, fut, à diverses reprises, attaché militaire à la Défense de déposer des ordures sous peine d’amende.
Marié il y aura dix-sept ans aux pommes de terre nouvelles, il est à la fois le fils de ses œuvres et le père de ses enfants. Très attaché au respect des saines traditions et des immortels principes et soucieux d’éviter toute équivoque, il a poussé le scrupule jusqu’à faire broder sur ses slips d’édifiantes inscriptions telles que : « On ne reçoit que sur rendez-vous » et : « Vous trouverez à l’intérieur ce que vous ne voyez pas à la devanture. »
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