À l’aube de sa vie, partant du principe que le sage ne doit jamais remettre à deux mains ce qu’il peut faire avec une seule, il se demandait, en vain : « À quoi peuvent bien songer ceux qui ne pensent à rien ? »
Une question qu’il continue sans doute à se poser sous la dalle, en pente, de sa tombe. Un monument qui n’est pas entouré de fleurs mais de vigne qui, heureusement pour elle, a depuis longtemps cessé d’être vierge. Ceux qui viennent s’y recueillir découvrent, en guise d’épitaphe, une simple inscription :
« Ici repose, pour le meilleur et pour le pire de l’éternité, Mordicus d’Athènes qui, au cours de son édifiante existence, a donné à ses concitoyens le plus noble exemple de la vérité par l’éthylisme sacré, et qui éleva l’ivrognerie au rang des plus pures vertus civiques. Buvez pour lui ! »
Pierre Dac était timide avec les femmes. Lorsque adolescent, il rencontrait une jeune fille qui lui plaisait, il se disait : « Je vais compter jusqu’à 500, et après, je lui dirai que je l’aime. » Arrivé à 499, il s’exclamait : « Je me suis trompé, je recommence ! » En 1932, il rencontre Dinah, une jeune comédienne qui va devenir sa moitié, mais aussi son double. La preuve, en 1953, il lui a ainsi dédicacé Du côté d’ailleurs : « À toi, ma Dinah bien-aimée, sans qui je serais sans doute resté du côté de n’importe où… »
Un amour qui ne l’a pas empêché de penser à toutes les autres femmes et à leurs problèmes dans leur vie quotidienne et personnelle, et réciproquement.
COURRIER DU CŒUR
Encore jeune et désirable, j’ai eu vingt-neuf ans à la dernière Saint-Prunocuiprunocru, je suis mariée à un homme qui me trompe avec la femme de mon amant. Mais comme celle-ci trompe son mari en couchant avec le mien, j’en suis réduite à tromper mon amant avec celui de sa femme puisque son amant est mon mari.
Or, la femme de mon époux étant la maîtresse d’un homme déshonoré par l’amant d’une femme dont le mari trompe sa maîtresse avec la femme de son amant qui la trompe avec une amie de son épouse, je ne sais plus où j’en suis, en raison de cette situation particulièrement compliquée. Je vous en supplie, conseillez-moi. Que dois-je faire ?
VISCÈRES EN VOLTIGE
Réponse : Rien. Démerdez-vous !
Depuis près de quinze jours je vois sur un échafaudage, à quelques mètres de ma fenêtre, au sixième étage, un groupe d’ouvriers. L’un d’eux me plaît follement. À sa façon de tenir un mégot entre ses lèvres, je sais bien qu’il est sénégalais. Ah ! l’Afrique, le couscous… Pour qu’il me remarque j’agite chaque matin un drap de lit comme un mouchoir et je me mets devant la fenêtre dans la tenue de Vénus sortant de l’onde. Il ne me fait même pas l’aumône d’un regard et continue à taper sur la façade avec un marteau. Ce ne sont plus des jeux pour son âge ! S’il le voulait, je lui en apprendrais d’autres… Que faire pour attirer son attention ?
SYLPHIDE ÉNAMOURÉE
Réponse : Sautez par la fenêtre en poussant un grand cri.
* * *
LES ÉPANCHEMENTS DE COUSINE SYNOVIE
Chère cousine Synovie,
Si je me suis enfin décidée à vous écrire, c’est parce que mon père est un grand blond. Vous seule, j’en suis sûre, pouvez, par vos conseils, me donner l’énigme de la clé de la solution qui me torture, à tel point que, la nuit, je me ronge les ongles et ça n’est pas beau pour une jeune fille, surtout quand on a de jolis pieds.
Je vous écris de la soupente. Au loin, je vois le village qui se reflète dans l’eau, mais ça n’est qu’un mirage, car l’eau est trop petite pour contenir un aussi grand village dont le maire est encore très hautain pour son âge. Au-dessus de ma tête blonde se balancent des andouilles. Si je tourne tant soit peu mes magnifiques yeux de turquoise, je vois ma mère qui fait la cuisine dans le hamac, suspendue à un arbre. Ma mère, quelle femme divine ! Elle a installé le fourneau de la cuisine dans le hamac, elle trouve cela plus commode pour dormir pendant que des oiseaux sifflent des airs et le potage.
Pendant ce temps, mon père se tait. Mon père ne parle jamais, il préfère sucer des bonbons. Mais comme il est quand même indispensable d’avoir son avis dans certains cas, il fait enregistrer d’avance toutes ses réponses sur des disques.
Donc, vous voyez que je suis une jeune fille modèle, ou tout au moins j’avais tout ce qu’il faut pour cela lorsque l’événement capital de ma vie arriva. Et voici comment : j’étais toute seule, un jour, dans ma cuisine, à faire frire des œufs, lorsque la poêle se mit à jouer un air de clarinette. Je n’en croyais pas mes yeux et, dans mon effarement, je laissai s’échapper mes moutons. En me retournant, j’aperçus un capitaine qui me saluait. Pour cacher mon trouble, je lui dis simplement : « Quelle heure est-il ? » et il me répondit : « Je suis ventriloque. »
Que dois-je faire ? Faut-il en parler à mes parents ou attendre que le beau capitaine soit général ? Et ce qui est angoissant, c’est qu’il n’est que lieutenant.
RÉPONSE :
Je devine vos angoisses. Mais il faut être moins nerveuse et, sans attendre, prendre une douche, mais pas à l’eau : c’est trop calcaire et ça rend méchant. Je vous conseille tout simplement une douche au gruyère râpé, en ayant soin de ne pas râper les trous de gruyère, car c’est tout ce qu’il y a de plus fortifiant. Et puis, si ça ne réussit pas, dites donc à M. votre père de se teindre les moustaches. Vous verrez bien.
Chère cousine Synovie,
Évidemment, j’ai eu tort de vous écrire trop brièvement et, par conséquent, vous avez été impuissante à me donner un conseil efficace. C’est pourquoi (et vous m’en excuserez) je me résous à m’étendre plus longuement.
Je dois vous confier, d’abord, que je suis née dans des circonstances étranges. Mon père était blond et mystérieux, ma mère était coléreuse et tyrolienne, et l’un de mes grands-pères ne portait que des vêtements bigarrés ; il n’avait comme fortune que trois grandes sœurs qui furent élevées au vrai fontainebleau jusqu’à l’âge de trente-trois ans.
C’est dans cette famille que je vécus, il y aura dix-sept ans bientôt, et mes premières années furent calmes. Mes parents, malgré le bruit de la rue, s’entendaient bien, mais n’habitaient pas le même appartement. Néanmoins, ils demeuraient dans la même rue et, de leurs fenêtres, pouvaient correspondre par gestes en imitant le chant du cheval. Quand mon père voulait m’embrasser, ma mère me prenait et me lançait, par-dessus la rue, à mon père qui me rattrapait avec dextérité ; et pendant un quart d’heure il me donnait les premiers rudiments du jardinage en me plantant ses doigts dans les yeux.
J’étais jolie comme un cœur, et ce furent des années merveilleuses. Ma mère m’envoyait faire le marché dans la rue d’Angoulême et, une fois par semaine, nous allions passer la soirée dans un petit village du Canada, chez le vice-roi des Indes, qui, à l’époque, n’était pas encore brouillé avec mon père.
C’est vous dire, chère cousine Synovie ; que cette jeunesse calme et mouvementée devait avoir une influence sur la jeune fille que je devins par la suite, malgré les progrès stupéfiants de l’industrie vélocipédique.
Un jour, mon air sérieux me fit traiter d’ascète par l’épicier. Je rougis comme une crête et me mis à chercher dans le dictionnaire le sens d’ascète que je ne connaissais pas. Je lus : acétique : aigre et acide. Alors je me mis à pleurer, et c’est à ce moment-là que je connus Philibert, jeune homme très correct qui me proposa d’aller sécher mes larmes chez ses parents qui possédaient un aspirateur, car ils étaient philatélistes.
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