Il m’a redéposée à mon adresse. Bien que ne m’ayant pas demandé où j’habitais, il m’y a conduite sans hésiter. Admettez qu’il y a de quoi se poser des questions. Il m’a plusieurs fois interrogée afin de savoir si je me sentais assez solide pour passer la nuit seule. J’ai répondu « oui » avec aplomb. Non parce que j’en étais convaincue, mais parce que je ne peux pas risquer de faire rentrer ce suspect dans ma vie un soir où je ne suis pas en pleine possession de mes moyens.
Il s’immobilise au pied de ma porte cochère et descend pour venir m’ouvrir la portière. Il m’effleure le bras sans oser le saisir.
— Sois prudente, Marie. Ne force pas ce soir.
C’est bien pour cela que je ne l’invite pas à entrer. Je serais capable de ne plus le laisser ressortir ! Je passerais le reste de ma vie avec un chat volé et un homme séquestré. L’idée me fait sourire.
— Merci d’avoir pris soin de moi. Merci beaucoup, Vincent.
— Je suis là si tu as besoin. J’ai écrit mon numéro de portable perso sur la couverture de ton dossier médical.
— Je t’ai assez dérangé pour aujourd’hui.
J’ai envie de lui faire la bise, mais je ne sais pas qui je vais embrasser alors je me retiens. Le collègue serviable comme le soupirant discret le méritent pourtant.
Je compose le code de la porte alors qu’il m’observe. Quelle importance ? J’ai confiance en lui et, de toute façon, il le connaît sans doute déjà. J’entre dans la cour après l’avoir salué une dernière fois. J’ai vraiment aimé passer du temps avec lui. Paradoxalement, mon malaise restera un bon souvenir. Dans ma vie, privée de père et sans véritable compagnon, les bons moments passés grâce aux hommes sans avoir à payer de ma personne ne sont pas si nombreux. Vincent va me manquer, mais je suis heureuse d’être enfin chez moi, à l’abri des émotions, au calme.
Il va pourtant falloir encore attendre pour la quiétude parce que soudain, un cri résonne.
Émilie surgit du hall de mon immeuble comme un diable. Elle dévale les marches en hurlant, court vers moi et me saute au cou. Elle me serre tellement qu’elle m’étouffe et me déséquilibre. On manque de s’étaler dans la cour.
— Quand ils m’ont dit que tu étais sortie de l’hôpital, je ne tenais plus en place. Je suis venue t’attendre ! Tu m’as fichu une sacrée trouille !
Elle recule sans lâcher mes mains et m’évalue de la tête aux pieds comme si j’étais rescapée d’un crash aérien. M. Alfredo est sorti derrière elle et nous accueille sur le perron :
— Vous nous faites de grandes frayeurs, Marie !
— C’était seulement un étourdissement. Je vais bien.
— Mlle Émilie m’a raconté vos mésaventures au travail. Il faut vous ménager. Pour monter chez vous ce soir, prenez l’ascenseur. Et si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas.
Émilie m’escorte. Je lui glisse à voix basse :
— Il t’appelle mademoiselle Émilie ?
— Ça fait plus d’une heure que je t’attends, on a eu le temps de bavarder. Il a été super gentil. Tu es déjà rentrée dans sa loge ?
— Parce que tu es rentrée dans sa loge ?
— Il m’a même offert un verre. Un sacré bonhomme. As-tu déjà rencontré sa femme ? Il y a des photos d’elle partout. Elle est très belle.
— Je ne savais même pas qu’il était marié.
— Dis donc, tu m’avais caché qu’il existait un ascenseur. Pourquoi on se tape toujours les escaliers ?
— Pour tes fesses.
— Inutile de se fatiguer pour elles vu que personne ne s’y intéresse… Tiens, je t’ai rapporté ton sac, ton téléphone et tes clefs. Sur ta boîte vocale, tu trouveras au moins dix messages de moi…
Un peu gênée, elle ajoute :
— Dans ton bureau, j’ai aussi trouvé la nouvelle lettre de ton inconnu. C’est elle qui t’a fait disjoncter ?
— N’en parlons pas ici. Je me méfie du voisin.
Au moment où j’entre dans l’appartement, Paracétamol se précipite dans mes jambes. Je le caresse.
— Bonsoir mon grand, tu dois avoir très faim.
Émilie et le chat me suivent jusqu’à la cuisine.
— Je t’ai crue morte. Valérie m’a appelée cet après-midi pour me dire que Malika avait trouvé ton corps et que les pompiers l’emportaient. J’en ai fait un malaise à la chambre de commerce ! Le vigile qui m’a porté secours était super mignon. Tu imagines le titre : « En apprenant la mort de sa meilleure amie, elle rencontre l’amour de sa vie. » Sur le coup, je n’avais pas l’âme à batifoler. Ensuite, j’ai eu Pétula qui m’a expliqué que Valérie t’avait fait du bouche-à-bouche et un massage cardiaque mais que les pompiers étaient arrivés assez vite pour te sauver d’elle ! J’étais folle de joie ! Je crois d’ailleurs que j’ai embrassé le vigile !
— Tu étais folle de joie que Valérie m’ait écrasé la poitrine ? Ceci dit, je comprends mieux pourquoi j’ai encore mal aux côtes.
— Non, j’étais heureuse que tu sois vivante ! Je me suis vue à ton enterrement, c’était horrible, et tout à coup, tu étais ressuscitée !
— Me voilà promue du grade de gourou à celui de divinité…
Je prépare le repas de mon fauve. Émilie est aussi excitée que je suis calme. Elle ne tient pas en place.
— Tu sais Marie, c’est idiot, mais le fait de t’imaginer décédée m’a fait prendre conscience de ce que tu représentes pour moi. Sans toi, ma vie serait un océan de désespérance.
— Merci Émilie, cela me touche. Tu sais que je ressens la même chose pour toi.
Surtout ne pas lui dire que je l’aime parce que ce n’est pas de moi qu’elle veut l’entendre.
Malgré sa gamelle qui l’attend, Paracétamol continue à se frotter contre moi en ronronnant. Il ne m’a donc pas fait la fête parce qu’il avait faim mais parce qu’il était heureux de me voir ? Je suis émue de cette vague d’affection que me témoignent ma meilleure amie et mon chat.
— Marie, quand j’ai trouvé la lettre, je n’ai pas pu m’empêcher de la lire. Tu m’en veux ?
— Pourquoi t’en voudrais-je ? Je te l’aurais montrée comme les autres.
— Celle-là avait quand même quelque chose de plus personnel, d’intime. Je m’en suis voulu. Je comprends qu’elle t’ait fait péter les plombs.
— La journée avait déjà été riche en émotions, entre Tanya qui a débarqué, ce qu’elle m’a dit de Hugues, et même cette pauvre Pétula. La lettre n’a été que la cerise sur le gâteau…
— Il dit qu’il a eu peur de s’approcher de toi à la gare…
— Je sais. Cela m’attriste, mais je n’y peux rien. Finalement, ce qui m’a fait le plus de peine dans cette lettre, c’est l’idée d’être sans nouvelles de lui pendant douze jours. Malgré moi, cet homme est entré dans ma vie et je dois avouer que je n’aime pas l’idée qu’il en sorte. Je ne voulais pas jouer cette partie mais à présent qu’elle a commencé, je ne veux plus qu’elle s’arrête. Tu vois, c’est drôle parce que ce midi, j’étais quasiment convaincue que l’auteur des lettres était Sandro. Il a été vraiment très gentil quand je suis allée les voir, lui et les autres garçons, au sujet du dossier. En plus, ce que m’ont raconté Valérie et Florence m’a fait réfléchir. Et puis cet après-midi, rebondissement, c’est Vincent qui m’a accompagnée à l’hôpital.
— Je m’en veux de ne pas avoir été là au moment où tu en avais besoin.
— Tu n’as aucune raison de culpabiliser. D’autant que Vincent a été adorable avec moi. Il s’est même montré protecteur et tendre. Au point que ce soir, je pense que c’est lui qui écrit les lettres. Il connaît mon adresse, il sait beaucoup de choses que je ne lui ai pas dites. Si tu ajoutes à cela qu’il fait preuve d’une belle patience et ose des gestes trop chaleureux pour un simple collègue, les quelques doutes qui pourraient subsister ne pèsent pas lourd. Tout concorde.
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