— Oui, mais je vais t'expliquer puisque tu veux comprendre, c'est elle d'abord qui s'est mise à me trouver drôle… Que j'avais plus d'entrain… Que j'étais plus aimable… Des chichis, des flaflas…
— C'était peut-être des remords qui te travaillaient ?
— Des remords ?
— Je ne sais pas moi…
— T'appelleras ça comme tu voudras, mais j'étais pas en train… Voilà tout… Je crois tout de même pas que c'était des remords…
— T'étais malade alors ?
– Ça doit être plutôt ça, malade… Voilà d'ailleurs une heure au moins que j'essaye de te le faire dire que je suis malade… T'admettras que tu y mets du temps…
— Bon ! Ça va ! que je lui réponds. On le dira que t'es malade, puisque tu crois que c'est le plus prudent…
— Tu feras bien, qu'il a encore insisté, parce que je garantis rien en ce qui la concerne… Elle est bien capable de bouffer le morceau avant qu'il soye longtemps… »
C'était comme une sorte de conseil qu'il avait l'air de me donner, et j'en voulais pas de son conseil. J'aimais pas ce genre-là du tout à cause des complications qui allaient recommencer.
« Tu crois toi, qu'elle boufferait le morceau ? que je lui demandai encore pour m'assurer… Mais elle était quand même un peu ta complice ?… Ça devrait la faire réfléchir un moment avant de se mettre à baver ?
— Réfléchir ?… qu'il ressaute lui alors en m'entendant. On voit bien que tu la connais pas… » Ça le faisait rigoler de m'entendre. « Mais elle n'hésiterait pas une seconde !… Comme je te le dis ! Si tu l'avais fréquentée comme moi, tu n'en douterais pas ! C'est une amoureuse que je te répète !… T'en as donc jamais fréquenté toi des amoureuses ? Quand elle est amoureuse, elle est folle, c'est bien simple ! Folle ! Et c'est de moi qu'elle est amoureuse et qu'elle est folle !… Tu te rends compte ? Tu comprends ? Alors tout ce qui est fou ça l'excite ! C'est bien simple ! Ça l'arrête pas ! Au contraire !… »
Je ne pouvais pas lui dire que ça m'étonnait quand même un peu, qu'elle en soit arrivée en quelques mois à ce degré de frénésie Madelon, parce que tout de même, je l'avais connue un petit peu moi-même, Madelon… J'avais mon idée à son sujet, mais je ne pouvais pas la dire.
D'après la façon dont elle se débrouillait à Toulouse et telle que je l'avais entendue quand j'étais derrière le peuplier le jour de la péniche, c'était difficile de me figurer qu'elle avait pu changer de dispositions à ce point en si peu de temps… Elle m'avait semblé plus débrouillarde que tragique, gentiment affranchie et bien contente de se caser avec des petites histoires et son petit chiqué partout où ça pouvait prendre. Mais pour le moment, où nous en étions, je n'avais plus rien à dire. J'avais qu'à laisser passer. « Bon ! Bien ! Ça va ! que je conclus. Et sa mère alors ? Elle a dû faire un peu de bruit aussi la mère, quand elle a compris que tu te débinais pour de bon ?…
— Tu parles ! Même qu'elle répétait toute la journée que j'avais un caractère de cochon et remarque, ça, juste au moment où j'aurais eu besoin au contraire qu'on me parle bien aimablement !… Quelle musique !… En somme ça ne pouvait plus durer avec la mère non plus, si bien que j'ai proposé à Madelon de leur laisser le caveau à elles deux, pendant que moi de mon côté, j'irais faire un tour, voyager tout seul, revoir un peu de pays…
« “T'iras avec moi, qu'elle a protesté alors… Je suis ta fiancée n'est-ce pas ?… T'iras avec moi, Léon, ou t'iras pas du tout !… Et puis d'abord qu'elle insistait, t'es pas encore assez guéri…
« — Si, que je suis guéri et que j'irai tout seul !” que je répondais moi… On n'en sortait pas.
« “Une femme accompagne toujours son mari ! faisait la mère. Vous n'avez qu'à vous marier !” Elle la soutenait rien que pour m'exciter.
« En entendant ces trucs-là, moi, ça me faisait souffrir. Tu me connais ! Comme si j'avais eu besoin d'une femme pour aller à la guerre moi ! Et pour en sortir ! Et en Afrique j'en avais-t-y des femmes ? Et en Amérique, est-ce que j'avais une femme moi ?… Tout de même de les entendre discuter comme ça là-dessus pendant des heures ça me donnait mal au ventre ! La colique ! Je sais bien à quoi ça sert les femmes tout de même ! Toi aussi hein ? À rien ! J'ai voyagé moi quand même ! Un soir enfin qu'elles m'avaient mis bien à bout avec leurs salades, j'ai fini par lui balancer d'un coup à la mère tout ce que je pensais d'elle ! “Vous êtes qu'une vieille noix, que je lui ai dit… Vous êtes encore plus con que la mère Henrouille !… Si vous aviez connu un peu plus de gens et des pays comme j'en ai connu moi vous iriez pas si vite à donner des conseils à tout le monde et c'est toujours pas en ramassant vos bouts de suif dans le coin de votre dégueulasse d'église que vous l'apprendrez jamais la vie ! Sortez donc un peu aussi vous ça vous fera du bien ! Allez donc vous promener un peu vieille ordure ! Ça vous rafraîchira ! Vous aurez moins de temps pour faire des prières, vous sentirez moins la vache !…”
« Voilà comment que je l'ai traitée, moi, sa mère ! Je te réponds qu'il y avait longtemps que ça me turlupinait de l'engueuler et qu'elle en avait salement besoin en plus… Mais tout compte fait ça serait plutôt à moi que ça a fait du bien… Ça m'a comme délivré de la situation… Seulement on aurait dit aussi la carne qu'elle n'attendait que ce moment-là que je me déboutonne pour me traiter à son tour de tous les noms de salauds qu'elle savait ! Elle en a bavé alors et même plus qu'il en fallait. “Voleur ! Fainéant ! qu'elle m'agonisait… Vous avez même pas de métier !… Ça va faire un an bientôt que je vous nourris ma fille et moi !… Propre à rien !… Maquereau !…” T'entends ça d'ici ? Une vraie scène de famille… Elle a comme réfléchi un bon coup et puis elle l'a dit plus bas, mais tu sais alors elle l'a dit et puis de tout son cœur “Assassin !… Assassin !” qu'elle m'a appelé. Ça m'a refroidi un peu.
« La fille en entendant ça elle avait comme peur que je la butte sur place sa mère. Elle s'est jetée entre nous deux. Elle lui a fermé la bouche à sa mère avec sa propre main. Elle a bien fait. Elles étaient donc d'accord les carnes ! que je me disais moi. C'était évident. Enfin, j'ai passé… C'était plus le moment des violences… Et puis je m'en foutais après tout qu'elles soient d'accord… Tu pourrais croire qu'après s'avoir bien soulagé, elles allaient à présent me laisser tranquille ?… Penses-tu ! Mais non ! Ça serait pas les connaître… La fille a remis ça. Elle avait le feu au cœur et puis au cul… Ça l'a reprise de plus belle…
« “Je t'aime Léon, tu vois bien que je t'aime, Léon…”
« Elle ne savait que ce truc-là, son “je t'aime”. Comme si ç'avait été la réponse à tout.
« “Tu l'aimes encore ? que repiquait sa mère en l'entendant. Mais tu ne vois donc pas que c'est rien qu'un voyou ? Un moins que rien ? Maintenant qu'il a retrouvé ses yeux, grâce à nos soins, il va t'en donner du malheur ma fille ! C'est moi qui te le jure ! Moi ta maman !…”
« Tout le monde a pleuré pour finir la scène, même moi parce que je ne voulais pas me mettre trop mal avec ces deux salopes, me fâcher de trop malgré tout.
« Je suis donc sorti, mais on s'était dit bien trop de choses pour que ça puisse résister encore longtemps notre face à face. Ça a traîné tout de même des semaines à se disputer de-ci de-là, et puis à se surveiller pendant des jours et surtout des nuits.
« On pouvait pas se décider à se séparer mais le cœur n'y était plus. On avait encore surtout des craintes qui nous retenaient ensemble.
« “T'en aimes donc une autre ? qu'elle me demandait elle, Madelon, de temps en temps.
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