— Si, si, Ferdinand, au contraire, il faut que je t'en dise bien davantage, et qu'il insistait, que tu me comprennes bien… Et puis comme je te connais d'abord, t'es long à comprendre et à te décider…
— Vas-y alors, que je lui fais, résigné, raconte…
— Si j'ai pas l'air fou, ça va aller mal, que je te garantis… Ça va barder… Elle est capable de me faire arrêter… Tu me comprends-t-y à présent ?
— C'est de Madelon qu'il s'agit ?
— Oui, bien sûr c'est d'elle !
— C'est gentil !
— Tu peux le dire…
— Vous êtes fâchés tout à fait alors ?
— Comme tu vois…
— Viens par ici, si tu veux me donner des détails ! que je l'interrompis moi alors, et que je l'entraînai à côté. Ce sera plus prudent à cause des fous… Ils peuvent comprendre aussi des choses et en raconter des bien plus drôles encore… tout fous qu'ils sont… »
Nous montâmes dans une des pièces de l'isolement et une fois là ce ne fut pas long à ce qu'il me reconstitue toute la combinaison, surtout que j'étais déjà bien fixé sur ses capacités et aussi que l'abbé Protiste m'avait laissé supposer le reste…
À la seconde reprise il avait pas raté l'affaire. On ne pouvait plus prétendre qu'il avait vasouillé encore une fois ! Ça non ! Pas du tout. Rien à dire.
« Tu comprends la vieille, elle me courait de plus en plus… Surtout depuis le moment où j'ai commencé à aller un peu mieux des yeux, c'est-à-dire quand j'ai commencé à pouvoir me conduire tout seul dans la rue… J'ai revu des choses à partir de ce moment-là… Et je l'ai revue elle aussi la vieille… Y a pas à dire, je voyais plus qu'elle !… Je l'avais là tout le temps devant moi !… C'est comme si elle m'avait bouché l'existence !… Je crois bien qu'elle le faisait exprès d'être là… Rien que pour m'empoisonner… C'est pas explicable autrement !… Et puis dans la maison où on était tous, tu la connais hein la maison, c'était pas facile de pas s'engueuler ?… T'as vu comment que c'était petit !… On se montait dessus ! On peut pas dire autrement !…
— Et les marches du caveau, elles tenaient pas fort hein ? »
J'avais remarqué moi-même comme il était dangereux l'escalier en visitant la première fois avec Madelon, qu'elles branlaient déjà les marches.
« Non, pour ça c'était presque du tout fait, qu'il a admis, bien franchement.
— Et les gens de là-bas ? l'interrogeai-je encore. Les voisins, les curés, les journalistes… Ils ont pas fait leurs petites remarques, eux, quand c'est arrivé ?…
— Non, faut croire… Et puis, ils me croyaient pas capable… Ils me prenaient pour un dégonflé… Un aveugle… Tu comprends ?…
— Enfin, pour ça tu peux t'estimer heureux, parce qu'autrement ?… Et Madelon ? qu'est-ce qu'elle faisait dans la combine ? Elle en était aussi ?
— Pas tout à fait… Mais un peu quand même, forcément, puisque le caveau, tu comprends, il devait nous revenir en totalité à tous les deux après que la vieille serait passée… C'était arrangé de cette manière-là… On devait s'établir tous les deux dedans…
— Pourquoi alors après que ça n'a plus marché vos amours ?
– Ça, tu sais, c'est compliqué à expliquer…
— Elle voulait plus de toi ?
— Mais si, au contraire, elle en voulait bien, et même qu'elle restait tout ce qu'il y a de portée sur la question du mariage… Sa mère aussi en voulait bien et encore plus fort qu'avant, et que ça se fasse dare-dare à cause des momies de la mère Henrouille qui nous revenaient et qu'on avait bien de quoi vivre tous les trois désormais tranquilles…
— Qu'est-ce qui s'est passé entre vous alors ?
— Eh bien, je voulais, moi, qu'elles me foutent la paix ! Tout simplement… La mère et la fille…
– Écoute, Léon !… que je l'arrêtai net en entendant ces mots-là. Écoute-moi… C'est pas sérieux non plus ta salade… Mets-toi à leur place à Madelon et à sa mère… Est-ce que t'aurais été content toi à leur place ? Comment ? En arrivant là-bas t'avais à peine de chaussures, pas de situation, rien, t'arrêtais pas de râler la longueur des journées, que la vieille gardait tout ton pognon et patati et patata… Elle défile, tu la fais défiler plutôt… Et tu recommences à refaire des grimaces quand même et tes petites allures… Mets-toi à leur place à ces deux femmes, mets-y-toi un peu !… C'est pas supportable !… Et comment moi alors que je t'aurais envoyé te faire mettre !… Tu le méritais cent fois, qu'elles t'envoyent au ballon ! J'aime autant te le dire ! »
Voilà comment que je lui parlais moi à Robinson.
« Possible qu'il m'a répondu alors, du tac au tac, mais toi t'as beau être un médecin et bien instruit et tout, tu comprends rien à ma nature…
— Tais-toi tiens Léon ! que je finis par lui dire et pour conclure. Tais-toi, petit malheureux, avec ta nature ! Tu t'exprimes comme un malade !… Je regrette bien que Baryton soye actuellement parti aux quatre cents diables, autrement il t'aurait pris en traitement lui ! C'est ce qu'on pourrait faire de mieux pour toi d'ailleurs ! Ça serait de t'enfermer d'abord ! Tu m'entends ! T'enfermer ! Il s'en serait occupé lui Baryton de ta nature !
— Si t'avais eu ce que j'ai eu, et passé par où j'ai passé, qu'il s'est rebiffé en m'entendant, t'aurais été bien malade aussi sans doute ! Je te le garantis ! Et peut-être pire que moi encore ! Dégonflard comme je te connais !… » Là-dessus il se met à m'engueuler d'abondance tout comme s'il avait eu des droits.
Je le regardais bien pendant qu'il m'engueulait. J'avais l'habitude d'être maltraité comme ça par des malades. Ça ne me gênait plus.
Il avait bien maigri depuis Toulouse et puis quelque chose que je lui connaissais pas encore lui était comme monté sur la figure, on aurait dit comme un portrait, sur ses traits mêmes, avec de l'oubli déjà, du silence tout autour.
Dans les histoires de Toulouse, il y avait encore autre chose, en moins grave évidemment, qu'il n'avait pas pu digérer, mais en y repensant il lui en revenait tout de même de la bile. C'était d'avoir été obligé de graisser la patte à tout un monde de trafiqueurs pour rien. Il avait pas digéré d'avoir été obligé de donner des commissions à droite, à gauche, au moment de la reprise du caveau, au curé, à la chaisière, à la mairie, aux vicaires et à bien d'autres encore, et tout ça sans résultat en somme. Ça le bouleversait quand il en reparlait. Du vol qu'il appelait ces façons-là.
« Et alors, est-ce que vous vous êtes mariés en fin de compte ? que je lui demandai, pour conclure.
— Mais non que je te dis ! Je ne voulais plus !
— Elle était tout de même pas mal la petite Madelon ? Tu peux pas dire le contraire ?
— C'est pas là la question…
— Mais bien sûr que si que c'est la question. Puisque vous étiez libres que tu me dis… Si vous teniez absolument à quitter Toulouse, vous pouviez bien laisser le caveau en gérance à sa mère pendant un temps… Vous seriez revenus plus tard…
— Pour ce qui est du physique, reprit-il, tu peux le dire, elle était vraiment gentille, je l'admets, tu m'avais bien tuyauté en somme, surtout imagine que comme un fait exprès quand j'ai revu pour la première fois, c'est pour ainsi dire elle que j'ai revue en premier, dans une glace… Tu imagines ?… À la lumière !… Y avait bien à peu près deux mois que la vieille était tombée… La vue m'est revenue comme d'un coup sur elle Madelon, en essayant de lui regarder la figure… Un coup de lumière en somme… Tu me comprends ?
— C'était pas agréable ?
— Si c'était agréable… Mais y a pas que ça…
— T'es foutu le camp tout de même…
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