L'enfer ne faisait que commencer.
Luke commença par récupérer la maison.
Le divorce entre Colleen et lui avait été prononcé pendant son incarcération et il contestait la répartition des biens. Il avait acheté la maison avec ses économies et il décida d'attaquer la décision du tribunal, qui l'avait octroyée à son ex-femme.
Il prit un avocat qui obtint de geler la procédure. La décision d'octroi fut suspendue jusqu'à un jugement ultérieur, et la maison revenait pour l'instant à son propriétaire initial : Luke.
Woody et Colleen durent quitter les lieux. Oncle Saul leur avait donné le nom d'un avocat de New Canaan, qui les conseilla. Il leur dit que ce n'était qu'une question de temps, qu'avant la fin de l'été ils auraient récupéré la maison.
En attendant, ils louèrent une maisonnette peu confortable à l'entrée de Madison. « C'est juste pour quelque temps, promit Woody à Colleen. Nous serons bientôt débarrassés de lui. »
Mais Colleen n'était pas tranquille.
Luke avait récupéré son pick-up resté chez son frère. Chaque fois qu'elle le voyait passer, elle sentait son ventre se nouer.
— Qu'est-ce qu'on doit faire ? demanda-t-elle à Woody.
— Rien. On va pas se laisser effrayer.
Il lui semblait voir le pick-up partout. Devant leur maison. Sur le parking du supermarché où ils allaient désormais. Un matin, elle le vit garé devant la station-service. Elle appela la police. Mais quand le frère de Luke arriva à bord de sa voiture de patrouille, le pick-up avait disparu.
Elle avait les nerfs à fleur de peau. Woody travaillait tous les soirs comme plongeur et elle restait à la maison seule, inquiète. Elle regardait par la fenêtre sans cesse, scrutant la rue, et ne se déplaçait pas d'une pièce à une autre sans un couteau de cuisine.
Un soir, elle voulut aller acheter de la glace. Elle n'osa d'abord pas envisager de sortir. Puis elle se trouva stupide. Elle ne pouvait pas se laisser terroriser de la sorte.
Elle aurait pu trouver de la glace à n'importe quel coin de rue, mais pour ne pas risquer de le croiser, elle se rendit dans le supermarché de la ville voisine. Sur la route du retour, l'un des pneus de la voiture creva. C'était bien sa veine. Elle était sur une route déserte : elle allait devoir changer sa roue toute seule.
Elle plaça le cric sous la voiture et la leva. Mais lorsqu'elle voulut déboulonner la roue à l'aide de la croix, elle en fut incapable. Les vis étaient beaucoup trop serrées.
Elle attendit qu'une voiture passe. Elle aperçut bientôt des phares fendant l'obscurité. Elle fit un signe de la main et la voiture s'arrêta. Colleen s'approcha et elle reconnut soudain la voiture de Luke. Elle eut un mouvement de recul.
— Alors quoi ? demanda-t-il par la fenêtre baissée. Tu ne veux pas de mon aide ?
— Non, merci.
— Très bien. Je ne vais pas te forcer. Mais je vais attendre un peu, des fois que personne ne passerait.
Il resta garé sur le bas-côté. Dix minutes s'écoulèrent. Personne.
— C'est bon, finit par dire Colleen. Aide-moi, s'il te plaît.
Luke descendit de voiture en souriant.
— Ça me fait plaisir de t'aider. J'ai payé ma dette, tu sais. J'ai purgé ma peine. Je suis un autre homme.
— Je ne te crois pas, Luke.
Il changea la roue de Colleen.
— Merci, Luke.
— De rien.
— Luke, j'ai encore des affaires à la maison. J'y tiens. J'aimerais les récupérer si tu es d'accord.
Il eut un petit rictus et fit semblant de réfléchir.
— Tu sais, Colleen, je crois que je vais les garder, tes affaires. J'aime bien renifler tes vêtements de temps en temps. Ça me rappelle le bon vieux temps. Tu te souviens quand je te jetais au milieu de nulle part et que tu devais rentrer à pied ?
— Je n'ai pas peur de toi, Luke.
— Tu devrais, Colleen. Tu devrais !
Il se dressa devant elle, menaçant. Elle se précipita à bord de sa voiture et s'enfuit.
Elle se rendit au restaurant où Woody travaillait.
— Tu ne dois pas quitter la maison le soir, lui dit-il.
— Je sais. Je voulais juste aller faire une course.
Le lendemain, Woody se rendit dans une armurerie et se procura un revolver.
*
Nous étions loin de Madison et de la menace de Luke.
À Baltimore, Hillel et Oncle Saul vivaient leur vie paisible.
Peu à peu, les chansons d'Alexandra commencèrent à être diffusées à travers le pays. On parlait d'elle et elle s'était vu proposer la première partie de plusieurs groupes importants sur leur tournée américaine. Elle enchaînait les dates de concert, interprétant ses morceaux dans des versions acoustiques.
Je l'accompagnai à plusieurs concerts. Puis il fut temps pour moi d'aller à Montclair. Mon bureau m'attendait, et à présent que la carrière d'Alexandra était sur la bonne voie, il était temps que je m'attelle à mon premier roman, dont je n'avais pas encore décidé du sujet.
*
Les jours suivants, Colleen crut voir de nouveau le pick-up de Luke qui la suivait.
Elle recevait d'étranges coups de téléphone à la station-essence. Elle se sentait épiée.
Un jour, elle finit par ne même pas ouvrir la station-service et resta réfugiée dans la réserve. Elle ne pouvait plus vivre ainsi. Il fallut que Woody vienne la chercher. Il avait son pistolet rangé dans sa ceinture. Ils devaient s'enfuir loin de Luke avant que cela ne dégénère.
— Demain, nous partons, dit-il à Colleen. À Baltimore. Hillel et Saul nous aideront.
— Pas demain. Je veux récupérer mes affaires. Elles sont dans la maison.
— Nous le ferons demain soir. Ensuite nous partirons directement. Nous partirons pour toujours.
Woody savait que tous les soirs, Luke partait traîner dans un bar de la rue principale.
Le lendemain, ainsi qu'il l'avait dit à Colleen, ils se garèrent dans la rue, suffisamment loin pour ne pas être repérés, et ils attendirent de le voir s'en aller.
Vers vingt et une heures, ils virent Luke sortir de la maison, monter dans son pick-up et partir. Une fois qu'il eut disparu au bout de la rue, Woody sortit de la voiture. « Dépêche-toi ! » ordonna-t-il à Colleen. Elle essaya d'ouvrir la porte avec la clé, mais elle n'y parvint pas : il avait changé les serrures.
Woody lui prit la main et l'entraîna derrière la maison. Il trouva une fenêtre ouverte, s'introduisit dans la maison et ouvrit la porte arrière à Colleen.
— Où sont tes affaires ?
— À la cave.
— Vas-y rapidement, ordonna Woody. As-tu des affaires ailleurs ?
— Regarde dans le placard de la chambre.
Woody se dépêcha d'y aller et prit quelques robes.
Le frère de Luke passa dans la rue et ralentit devant la maison. Par la fenêtre de la chambre qui donnait sur la rue, il aperçut Woody. Il accéléra aussitôt en direction du bar.
Woody mit les robes dans un sac et appela Colleen. « Tu as fini ? » Elle ne répondit pas. Il descendit au sous-sol. Elle avait sorti toutes ses affaires.
— Tu ne peux pas tout emporter, dit Woody. Ne prends que le minimum.
Colleen acquiesça. Elle se mit à plier ses vêtements. « Fous-les tous dans un sac ! lui ordonna Woody. On ne doit pas traîner ici. »
Le frère de Luke entra dans le bar et trouva son frère au comptoir. Il lui murmura à l'oreille : « Ce petit connard de Woodrow Finn est chez toi en ce moment. Je pense qu'il récupère les affaires de Colleen. Je me suis dit que tu aurais aimé t'en occuper toi-même. » Luke eut soudain un regard furieux. Il posa une main sur l'épaule de son frère en guise de remerciement et quitta aussitôt le bar.
« Allez, on s'en va, maintenant ! » intima Woody à Colleen qui finissait de remplir un deuxième sac de vêtements. Elle se releva et empoigna les sacs. L'un d'eux se déchira et se vida sur le sol.
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