Mathias Énard - Zone
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- Название:Zone
- Автор:
- Издательство:Éditions Actes Sud
- Жанр:
- Год:2008
- Город:Paris
- ISBN:978-2-7427-7705-1
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Par une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d’un précieux viatique qu’il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d’activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d’abord l’Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l’ombre (agitateurs et terroristes, marchands d’armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l’a jeté dans le cycle enivrant de la violence.
Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l’espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l’imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…
S’il fallait d’une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d’armes, de troupes, d’hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après
de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre “chants” conduits d’un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une
de notre temps.
Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l’arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud :
(2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et
(2005). Ainsi que, chez Verticales,
(2007).
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XVI
un tunnel me compresse les tympans, je vais retourner à la cafétéria roulante, tiens, c’est ce qu’il y a de mieux à faire, j’abandonne le livre de Rafaël Kahla sur ma tablette et me dirige vers Antonio le barman, le roulis me fait chanceler au milieu de la voiture je manque de m’affaler sur une nonne offusquée, elle a dû monter à Florence je ne l’avais pas remarquée auparavant, il faut toujours une nonne dans un train italien, une nonne des scouts des musiciens bohèmes un lecteur de Pronto un espion une jolie blonde et un immigrant clandestin, voilà tout le personnel requis pour une pièce de théâtre ou un film de genre, voire une toile du Caravage, au bar il y a plus de monde maintenant, les voyageurs commencent à avoir faim et soif, il ne doit pas être loin de huit heures : Antonio me reconnaît, il me dit ironiquement un gin ? non, pas un gin, une bière, les bulles me feront du bien, l’Esprit saint de la fermentation, les grandes baies vitrées du wagon-restaurant sont baignées de lune, entre Arezzo et Montepulciano, partout des collines et des vignes, la bière est fraîche, l’étiquette est belle, bleu et blanc, avec pour illustration un grand voilier au nom sympathique de Sans Souci , voilà un heureux présage — à Thessalonique la byzantine il y avait un bateau semblable amarré à l’extérieur du port, du côté de la place Aristote, un magnifique trois-mâts à la coque rayée noir et blanc, élégant, bas sur l’eau, ce n’était pas le Sans Souci mais l’ Amerigo Vespucci bateau-école de la marine italienne, en 1997 Salonique était la capitale culturelle de l’Europe, il fallait fêter dignement cet événement exceptionnel, j’y passai par hasard de retour de mes premières vacances grecques de nouvel espion, adieu les égorgeurs algériens, place au soleil à l’ouzo et aux brochettes, j’avais emporté Cités à la dérive de Tsirkas, qui parlaient de tout sauf de Grèce, plutôt de Jérusalem d’Alexandrie du Caire j’avais acquis ce roman en bon touriste pour lire la littérature autochtone, comme aurait fait Marianne qui dévorait Yasar Kemal près des rivages de Troie la bien gardée, j’en fus pour mes frais, les îles grecques étaient décevantes, qu’est-ce que j’y cherchais, je n’en sais rien, le Dodécanèse n’était qu’un embouteillage de voitures embarquant dans des ferries rouillés, des îles balayées par le vent, pelées, la mer était tourmentée et terriblement bleue, les grappes de vacanciers venus de l’Europe entière y tournaient en rond de crique en crique de plage en plage de taverne en taverne, et bien sûr la solitude n’y était qu’une pure illusion, vu la taille du réduit et le nombre de Français qui fréquentent ces parages — à Patmos, au pied de la grotte de saint Jean l’évangéliste, toutes les maisons traditionnelles étaient si souvent repeintes que le blanc n’avait pas le temps de sécher, les pèlerins et les dévots s’ajoutaient aux touristes venus pour la plongée sous-marine et la planche à voile, dans une île d’une beauté troublante, montagneuse, rocheuse, sèche, parfaite si elle avait été déserte, ce qui n’était pas le cas, loin s’en faut, on se marchait dessus, de jour les paquebots déversaient les promeneurs comme une cargaison de blé, des milliers de grains ronds envahissaient les petites rues en direction du monastère Saint-Jean, dans un grand ronflement, un roulement de voix sourdes et de flashs crépitant malgré l’aveuglante lumière d’été, une heure ou deux, grand maximum, puis la marée refluait vers l’embarcation aussitôt suivie par un autre chargement, et ainsi de suite de neuf heures du matin à sept heures du soir, impossible d’imaginer qu’il y avait autant de bateaux de croisière en mer Egée, un nombre incalculable, et seulement quand venait l’obscurité, quand les étoiles remplaçaient les hommes et parsemaient la mer d’éclairs tout aussi innombrables pouvait-on, par un effort d’imagination, dans le bruit du clapot contre les rocailles, dans l’ombre de la montagne noire, imaginer la présence hallucinée du saint chantre de l’Apocalypse et de la fin du monde, l’Aigle de Patmos déporté par les Romains sur ce caillou inhospitalier, en provenance d’Ephèse la dorée, je l’imagine la nuit, hanté par le froid et les visions de la fin des temps, les yeux grands ouverts sur le néant de la plaine marine, certain que cette caverne sera sa dernière demeure, peuplée de cris de bêtes de hennissements de chevaux de soupirs d’agonisants de têtes sans corps de malades aux abcès terrifiants d’anges abattus de démons fornicateurs, dans les pâles rayons du royaume des cieux que la lune amicale projette sur la mer, Jean l’évangéliste survivra à l’épreuve de l’île, un César magnanime le renverra à Ephèse, il mourra de sa belle mort, après avoir lui-même creusé une fosse où s’étendre, au chœur circulaire de sa chapelle primitive — à Patmos dans mon auberge très rustique j’eus des cauchemars dans lesquels un inconnu me confiait des boîtes cylindriques façon carton à chapeau et me recommandait de les rapporter avec moi à Paris en contrebande, elles pesaient lourd, je finissais par en ouvrir une, elle contenait une tête humaine desséchée et boueuse aux yeux pendant hors de leurs orbites, la tête d’un des moines de Tibhirine et je m’éveillais en sursaut, impossible de me débarrasser des images de l’Algérie poisseuse, alors j’allais m’immerger dans l’eau glacée au bas des rochers, je restais jusqu’à l’aube enroulé dans ma serviette sur une roche plate, jusqu’à ce que l’aurore transforme en phosphore la demeure de Poséidon à la crinière d’azur, je remontais alors au village prendre un café et manger une brioche lourde dense fourrée d’olives ou un gâteau aux amandes en observant l’appontage des premiers envahisseurs de la journée, et puis je me suis lassé des cauchemars l’évangéliste n’avait pas de miracle pour moi, j’ai embarqué à mon tour dans un ferry à destination de Rhodes, île du colosse des chevaliers et des mosquées oubliées, qui fut ottomane depuis le début du XVI esiècle jusqu’en 1912, jusqu’à ce que les Italiens décidassent qu’ils voulaient des miettes de l’Empire mourant, ils avaient conquis un morceau de désert en Afrique du Nord et un chapelet de cailloux en Egée, dont Rhodes était la perle montagneuse aux pentes ardues, les paysages ressemblaient à ceux de Troie, des pinèdes s’élevant haut au-dessus de la mer, une vingtaine de villages s’égaillaient tout autour de l’île en forme de larme, dont le littoral était rongé par les hôtels et les complexes balnéaires — j’ai vite abandonné ma voiture pour me réfugier dans la vieille ville du chef-lieu, dans les ruelles derrière les épaisses murailles des chevaliers de Jérusalem, à l’ombre, à la Juderia, l’ancien quartier juif, dans une bâtisse médiévale appelée hôtel Cava-d’Oro : la Juderia sentait l’absence, il ne restait plus qu’une poignée de juifs à Rhodes, à une dizaine de milles des côtes de Turquie, il ne restait rien d’une communauté de deux mille membres, les seuls croyants dans la synagogue de Kahal Shalom étaient des touristes israéliens, et dans la jolie cour intérieure de l’hôtel, au moment du petit-déjeuner, je les entendais parler hébreu alors que les juifs de Rhodes parlaient ladino, judéo-espagnol souvenir du royaume d’Espagne qui les avait expulsés, l’île avait été pour eux un refuge, quelques siècles, avant que la vindicte européenne ne les rattrape et les envoie habiter des nuages dans le ciel d’Auschwitz, de tous les juifs déportés mi-1944 seuls reviendront une centaine, ils s’établiront ailleurs, à Rome, en France, aux Etats-Unis, délaissant leur île natale touchée par l’absence et le néant, au Musée juif de Rhodes j’observai l’obstination nazie affréter trois vieilles barges rouillées pour transporter les Juden du Dodécanèse au camp de transit de Haydari près d’Athènes, puis leur faire traverser les Balkans en train, par Salonique Skopje Belgrade et Budapest, pour raccrocher les wagons aux interminables charrois qui envoyaient les juifs hongrois à la mort, les fonctionnaires teutons connaissaient leur office, malgré les bombardements alliés, les attaques des partisans, les mouvements des troupes qu’il fallait rapatrier de l’Est, les renforts et les munitions à acheminer vers le front ils trouvaient le moyen de mettre sur pied, alors que l’Armée rouge était déjà en Pologne, des convois allant d’Asie Mineure en Galicie, pour envoyer à la mort quelques milliers de juifs d’autant plus dociles qu’ils ignoraient tout de l’antisémitisme, des ghettos et de l’extermination en cours, loin, très loin, sur une île aux remparts si imposants qu’elle semble imprenable, protégés, croyaient-ils, par le souvenir des hospitaliers de Jérusalem et de Soliman le Magnifique, Rhodes ressemblait plus au Moyen-Orient ou à Chypre que Patmos, il y avait des mosquées, des fontaines, des églises latines datant des croisades, et l’imposant palais du Grand Maître qui rappelait vaguement les citadelles croisées de Syrie et de Palestine — autant de choses mortes me plongeaient irrémédiablement dans la nostalgie, mes cauchemars avaient cessé, remplacés par l’insomnie, que je soignais à grandes lampées d’ouzo pur jusqu’à m’abîmer dans une noirceur sans rêves, au prix de ronflements assourdissants qui me valurent les remontrances peu amènes de mes voisins israéliens, malgré les murs médiévaux qui nous séparaient, les juifs de Rhodes que je sache sont les plus éloignés sur la toile de l’araignée Auschwitz, les seuls avec ceux de Corfou à commencer leur dernier voyage en bateau, la solitude si agréable au départ me pesait, la Juderia de Rhodes puait l’absence la déportation et l’huile solaire j’ai remis la voiture sur un ferry à destination du Pirée, je me disais que les vacances étaient une chose bien ennuyeuse, et même si les chevaliers de Jérusalem m’étaient plutôt sympathiques, futurs maîtres de Malte l’arabe et employeurs du Caravage, j’avais envie de retrouver une grande ville, une capitale, un mouvement et pas seulement des touristes oisifs comme moi qui tournaient au milieu des spectres de croisés et de juifs morts : le bar du train est rempli d’Américains, ils vont à Rome, un groupe de touristes, une bande d’amis, âgés de soixante ans plus ou moins, femmes blondes, hommes grands, dents refaites, des gens bien, la bière Sans Souci à la main je les écoute commenter leur hôtel de Florence, il n’était pas mal, d’après ce qu’ils disent, for European standards , j’ignore si cette remarque se veut positive ou négative, selon des critères européens , peut-être nous retrouverons-nous au Plazza, le plus américain, le plus décadent des palaces de Rome, pourquoi Yvan Deroy n’a-t-il pas plutôt choisi l’hôtel de la Minerve devant l’éléphant du Bernin, l’éléphant à la longue trompe, ou le Grand Hôtel de la piazza Repubblica, celui d’Alphonse XIII d’Espagne le collectionneur de pantoufles, si proche de la gare, ou un autre des cent mille palaces de Rome, chacun hanté par ses visiteurs illustres ses cadavres ses fantômes, Yvan Deroy sera un fantôme parmi d’autres, la dernière bière de Francis Servain l’agent secret, la dernière bière de Francis Servain rejeton d’Hadès, il fallait qu’elle s’appelle Sans Souci et soit un navire — après deux jours à suer à Athènes dans une ville poussiéreuse et déserte, après m’être recueilli dans le temple de Zeus, après avoir révéré la déesse aux yeux verts et sa beauté sans pareille j’avais tant sué j’étais tellement couvert de poussière que je rêvais de Grand Nord et de froid glacial, je repensais à Lebihan et à son mépris de tout ce qui pouvait se trouver au sud de Clermont-Ferrand, il avait bien raison le bougre, Athènes était éventrée, on y construisait une ligne de métro les dieux n’étaient pas très contents qu’on fore ainsi leur cave et se vengeaient en envoyant dans l’abîme des kiosques à journaux des parkings souterrains et des étrangers distraits, Héphaïstos le boiteux et Poséidon l’ébranleur du sol donnaient bien du fil à retordre aux ingénieurs pressés, sans compter les archéologues chichiteux de la direction des Antiquités qui souhaitaient analyser chaque caillou sorti des excavatrices, ce qui faisait dire aux Athéniens que leur métro ne serait pas prêt avant la fin des temps, les Hellènes étaient un peuple fier mais point dépourvu d’ironie, en août bien évidemment ils étaient tous en vacances, et autour de la place Omonia ne tournaient que de sombres Albanais et des voyageurs fauchés, dans la poussière et le bruit d’apocalypse des marteaux-piqueurs, sous le regard maternel de la déesse au haut de son Acropole, je pensais à Albert Speer l’architecte du Führer inventeur de la théorie des décombres, concepteur de bâtiments prévus pour devenir de belles ruines mille ans plus tard, des ruines comme en possédaient les Grecs et les Romains et dont l’Allemagne était tristement dépourvue, Adolf le têtu ne reculait devant rien pour le bien de son peuple, aussi Speer dessina-t-il des temples doriques aux proportions inouïes qui une fois rongés par le temps auraient constitué un magnifique Forum, un sublime Parthénon au milieu de Nuremberg et de Berlin, Speer était un étrange architecte, le penseur des vestiges du futur, grand bâtisseur d’usines d’armement — au procès de Nuremberg Francesc Boix le reconnaît formellement, il le désigne du doigt, il l’a vu sur les photographies lors de sa visite à Mauthausen, en compagnie de Kaltenbrunner, chef de la sécurité du Reich, dans les escaliers de la carrière de la mort, que pense Speer l’artiste à ce moment-là, sur le banc des accusés, montré du doigt par un photographe communiste espagnol, lui qui niait avoir jamais rien su, jamais rien vu, rien entendu, l’ami du Führer assis au milieu des gravats, où les bombes américaines avaient accéléré le travail du temps : à Athènes des esclaves construisirent l’Acropole, des esclaves construiraient les monuments du Reich, beaucoup mourraient, certes, mais beaucoup avaient crevé en édifiant les pyramides et personne aujourd’hui ne songeait à les démolir, ni à maudire leur architecte, voilà ce que devait penser Speer le petit gros sur son banc entre un SS et un officier de la Wehrmacht, il sortit de la prison de Spandau en 1966 et je l’imagine quelques mois plus tard, à l’âge de soixante et un ans, parcourir la Grèce en compagnie de son fils Albert junior, qui planifie à ce moment-là l’urbanisation de la région de Tripoli en Libye, et qui construira jusqu’en Iran et en Arabie Saoudite, Albert Speer senior se souvient-il de l’escalier de Mauthausen en montant les marches de l’Acropole, et du jeune Espagnol qui le montrait du doigt à Nuremberg, c’est bien improbable — en 1947 Boix passe lui aussi en Grèce, au début de la guerre civile, en reportage pour L’Humanité et Regards , il photographie Zachariadis le secrétaire général du parti communiste, et passe quelque temps dans les montagnes avec les partisans de la DSE, avant de rentrer à Paris et d’y mourir, entre-temps il était allé aussi en Algérie, où le même fils Speer aménagerait bien plus tard un faubourg pour, sans le savoir, loger mes égorgeurs du GIA, et suivre le Tour de France, qui l’enchantait, je n’ai pas vu ses photos de Grèce mais je suppose qu’il savait parler aux combattants communistes, après tout il en avait été un lui aussi : je suis parti vers le nord, au lieu de reprendre le ferry à Igoumenitsa j’avais encore du temps devant moi alors je suis remonté vers la Thessalie, peut-être faisait-il plus frais, je suais à grosses gouttes dans la bagnole toutes fenêtres ouvertes, en Bosnie en 1993 il y avait une brigade de volontaires grecs qui luttaient aux côtés des Serbes, une poignée d’hommes assez fanatiques qui se distinguèrent surtout autour de Sarajevo, je n’en avais rencontré aucun, fort heureusement, les moudjahidin arabes et les auxiliaires russes suffisaient bien, étaient-ils en jupe et en sabots avec des pompons comme les Dupont Dupond, la grande solidarité orthodoxe d’un côté, la fraternité musulmane et l’entente catholique de l’autre, au bar ferroviaire les Américains parlent fort, ils rient, ils sont contents, ils semblent avoir joué toute leur vie au golf du côté de Seattle, tellement ils sont blancs, ils boivent de l’eau gazeuse et du chianti, peut-être leurs parents ont-ils été soldats dans les parages, en compagnie des goumiers et des tirailleurs algériens du Corps expéditionnaire français, en juin 1944, autour du lac Trasimène, entre Montepulciano et Pérouse, après la victoire de Cassino, cette fameuse victoire que les Marocains et les Algériens avaient fêtée en détroussant assassinant pillant et violant tout ce qui leur tombait sous la main, bétail compris d’après les plaintes déposées auprès du commissariat allié, les grands soldats étaient aussi d’excellents bandits, ils s’étaient acquis une belle réputation depuis le débarquement, leurs officiers fermaient les yeux ou préféraient faire justice eux-mêmes, après tout c’était la guerre, en Sicile les choses n’avaient pas été faciles, les civils se cachaient dans la montagne et on raconte que plus d’un soldat “qui s’était mal conduit” avait été retrouvé découpé en morceaux par un père ou un mari offensé, aux alentours de Naples les coloniaux français avaient déclenché une avalanche de plaintes pour vol, viol et meurtre, sans compter les perversions diverses relatées par les prostituées napolitaines, qu’à cela ne tienne les troupes marocaines de montagne et les tirailleurs algériens étaient de grands soldats, ils l’avaient prouvé à maintes reprises, et ils le prouveraient encore une fois à Cassino, leur héroïsme n’avait d’égal que leur belle sauvagerie, ils montaient sur les pentes pierreuses sous le feu des Allemands retranchés dans les hauteurs, ils mouraient en braves, envoyés au casse-pipe avec leurs mulets, leurs ânes, et quand ils étaient victorieux avaient bien saigné étaient bien morts hachés découpés broyés par les obus et les cailloux les survivants s’égaillaient dans la campagne pour prendre leur part d’honneur, de belles filles brunes vierges hâlées par les travaux des champs, des moutons, des chèvres dont ils faisaient des hécatombes fumantes, les dieux s’en léchaient les babines, les coloniaux emportaient tout sur leurs mules, même les matelas, et quand le fermier essayait de résister, se refusait à livrer sa femme sa fille sa mère sa sœur ses brebis et son horloge murale on l’égorgeait avec plaisir, n’étaient-ils pas vainqueurs, ils appliquaient le droit de la guerre, ils pouvaient prendre jusqu’à la dernière pierre s’ils le désiraient, magnanimes ils consommaient les femmes généralement sur place et ne les emmenaient que rarement, ils n’étaient pas plus mauvais que les bombes qui avaient rasé l’abbaye de saint Benoît à Cassino, sans qu’il y ait un seul Allemand à l’intérieur, des tonnes d’explosif lâchées en vain depuis les beaux B-17 ces anges de la destruction, les mêmes anges qui rayaient de la carte les villes allemandes, la première abbaye bénédictine était en miettes, le pape Pie XII à Rome était furieux et silencieux, il savait faire la part des choses, des paysannes troussées et quelques chèvres atrocement violées n’étaient rien par rapport à un bâtiment de cette valeur, on passa par profits et pertes les civils italiens et les murs de saint Benoît l’ascète jardinier, Rome tomba, Pie XII se précipita dans les bras de ses libérateurs mit brennender Sorge , avec une vive inquiétude, le pape parlait mieux allemand qu’anglais, après dix ans passés en Bavière, Pie XII l’astucieux avait réussi à maintenir le Vatican intact dans la tourmente, face à Mussolini puis au Reich, avec une immense lâcheté et un grand courage, selon les versions, il est à craindre que Pie XII ne fût ni exceptionnellement veule ni particulièrement brave, qu’il craignît les rouges plus que tous les autres, il négocia les accords du Latran avec Mussolini, félicita le général Franco d’avoir si bien rendu l’Espagne à l’Eglise, osa morigéner le Führer pour ses attaques contre le catholicisme, demanda aux croyants polonais martyrisés de patienter un peu, cacha quelques juifs dans ses jardins, le pape préféra baisser quelque temps sa tiare au niveau des yeux pour ne pas être aveuglé par ce qu’il aurait pu voir, il serait toujours temps de pardonner aux bourreaux et de béatifier les martyrs, et la liste était longue, la liste était terriblement longue, à l’image des Américains qui ensevelissaient les corps à la pelleteuse lors de la libération des camps, de Dachau, de Bergen-Belsen, de Mauthausen, des centaines de femmes et d’hommes s’en allaient dans la terre, des millions s’en étaient déjà allés, dans le feu et dans les airs, comme les soixante mille juifs qui manquaient à Salonique quand j’y parvins, très sûrement en 1945 personne ne reconnaissait plus la cité, presque la moitié des habitants avaient disparu, je trouvai un hôtel tout près de la mer à deux pas de la place Aristote et de la Tour blanche, dans la ville nouvelle qui rappelle tellement Alexandrie d’Egypte, les bâtiments blanchis et élégants brûlaient dans le soleil du soir descendu du mont Hortiatis pour ramener un peu de fraîcheur sur les avenues écrasées par l’été, on se promenait sur le front de mer, la bouche ouverte comme des poissons asphyxiés, la douceur montait petit à petit du golfe étincelant, le gréement de l’ Amerigo Vespucci commençait à tinter au gré de la brise de chaleur, la lumière baissait et projetait des ombres bleutées dans les verres aux terrasses sur la place, il était logique que Salonique rappelle Alexandrie fondée par Alexandre le conquérant de l’Asie, celui qui avait profité des leçons d’Aristote tout près d’ici, avant de répandre la furie de ses armées jusqu’au bout du monde, je me sentis immédiatement reposé à Salonique, le dernier chapitre de Cités à la dérive , récit des survivants de l’épopée communiste, s’y déroulait, par un étrange hasard le livre m’avait rattrapé dans mon périple, les héros buvaient du vin de Macédoine dans une taverne au haut des remparts, en se rappelant leurs morts, une libation, le beau Manos tué par une grenade son cadavre attaché à la queue d’une mule et tiré sur les rochers, Pandelis et Thanassis fusillés, les femmes osseuses et rhumatisantes prendraient soin de leur mémoire, était-ce le vent qui venait du nord, des Balkans si proches, de Serbie peut-être, était-ce le roman de Tsirkas ou le vin de Macédoine mais une fois la dernière page achevée j’étais tout tremblant comme si j’allais m’effondrer, où étaient-ils, Andrija le Slavon, Vlaho le Dalmate, perdus dans la mort ou dans leurs montagnes, chante, déesse, leurs noms mémorables , les noms de ceux qui m’ont quitté, que j’ai quittés, j’eus pour la première fois l’impression d’être enfermé dans la Zone, dans un entre-deux flou mouvant et bleu où s’élevait un long thrène chanté par un chœur antique, et tout tournait autour de moi parce que j’étais un fantôme enfermé au royaume des Morts, condamné à errer sans jamais imprimer une pellicule photographique ou me refléter dans un miroir jusqu’à ce que je brise le sort, mais comment, comment m’extirper de cette coquille vide qu’était mon corps, j’arpentais Salonique de haut en bas et de bas en haut, les icônes les saints les églises les remparts et jusqu’à la prison de l’Heptapyrghion au haut de l’Acropole, Constantin le Philosophe, Cyrille l’apôtre des Slaves parti de Salonique pour un long voyage finit sa vie à Rome, on peut voir sa tombe, sous le narthex de la basilique de San Clemente, sur les pentes du Latran, peut-être en arrivant à Rome irai-je m’étendre moi aussi dans un sous-sol humide, dans une cave, une catacombe, et laisserai-je partir Yvan Deroy le bienheureux, qu’il marche vers son destin en m’abandonnant à la décomposition, j’ai presque terminé ma bière, ma Sans Souci au fier navire, les touristes du Nouveau Monde ne semblent pas pressés de regagner leur wagon, moi non plus, au-dessus de mon siège se trouve la petite valise enchaînée au porte-bagages, qu’est-ce qu’elle contient vraiment, pourquoi ai-je voulu documenter la Zone depuis Harmen Gerbens l’ivrogne du Caire, toutes ces images, ces noms, jusqu’au mien, jusqu’à la terrible photo de Bosnie, en passant par les souvenirs de Jasenovac, les foules de massacrés de Mauthausen, les documents de Globocnik et Stangl à Trieste, les clichés de torture de mon père, les télégrammes ottomans chiffrés adressés à Talaat Pacha, les listes espagnoles des fosses communes de Valence, les massacrés de Chatila, les rires d’Aloïs Brunner le sénile à Damas, qu’ils reposent, que je repose, puisque tout va finir bientôt, que l’apocalypse approche le réchauffement ou la glaciation le désert ou le déluge je vais confier mon arche personnelle aux spécialistes de l’éternité et adieu, le fou du quai de la gare de Milan avait raison, une dernière poignée de main avant la fin du monde, un dernier contact un dernier échange de données et adieu
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