Marc Levy - Prochaine Fois
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Les yeux de Jonathan s’emplirent de larmes. Dans un ultime effort, Clara leva la main pour caresser sa joue.
– Serre-moi un peu plus fort mon Jonathan, j’ai si froid.
Ce furent ses derniers mots. Les yeux de Clara se fermèrent doucement et son visage s’apaisa peu à peu. Son cœur battait faiblement. Jonathan la veilla sans relâche tout au long de la nuit. Il la tenait contre lui et la berçait de tendresse. Sa propre respiration se calait aux mouvements de Clara. L’aube se levait et son état n’avait cessé d’empirer d’heure en heure. Jonathan posa un long baiser sur sa bouche, puis il se leva. Avant de quitter la chambre, il se retourna et murmura.
– Je ne te laisserai pas partir, Clara.
Quand la porte se referma, le sang qui fuyait la peau de Clara teinta le drap qui la couvrait d’un pigment rouge. Ses longs cheveux encadraient son visage paisible. La lumière du jour qui entra par la fenêtre acheva de recomposer dans la pièce le tableau de La Jeune Femme à la robe rouge.
Peter arrivait au bout du couloir, il prit Jonathan par l’épaule et l’entraîna vers le distributeur de boissons chaudes. Il inséra une pièce dans la fente et appuya sur la touche café court.
– Tu vas en avoir besoin et moi aussi, dit-il en tendant la tasse à Jonathan.
– J’ai l’impression de vivre un cauchemar éveillé, dit Jonathan.
– J’espère que tu me vois dedans parce que moi aussi, soupira Peter. J’ai téléphoné à mon ami de la criminelle. Je lui enverrai par Fédéral Express l’échantillon de sang que j’ai emprunté à l’infirmière. Il va mettre les meilleurs techniciens de la police scientifique sur le coup, je te jure qu’on lui fera la peau, à cette ordure.
– Qu’est-ce que tu as raconté exactement à ton copain flic ? demanda Jonathan.
– Toute l’histoire, je lui ai même promis de lui adresser nos notes et une copie du cahier de Vladimir.
– Et il n’a pas voulu t’enfermer dans un asile de fous ?
– Ne t’inquiète pas, Pilguez est un spécialiste des dossiers bizarres. Il y a quelques années, il m’a raconté l’une de ses enquêtes à San Francisco à côté de laquelle notre cas fait figure de routine.
Jonathan haussa les épaules et se dirigea vers la sortie. Alors qu’il s’éloignait, Peter l’appela.
– Tout à l’heure, je serai à tes côtés, ne l’oublie pas, et même si votre histoire me fera passer pour un fou, quand nous aurons sauvé Clara, je témoignerai aussi.
*
Tous les bancs de l’église Saint Stephen étaient occupés. La haute société bostonienne semblait s’être donné rendez-vous de part et d’autre de l’allée centrale. Deux voitures de police bloquaient les accès de Clark street pendant le temps de la cérémonie. Peter avait pris place, la mine sombre, à la droite de Jonathan. Les orgues résonnèrent et l’assemblée silencieuse se retourna. Anna étirait sa longue traîne vers la nef au bras de sa mère qui serait son témoin. La cérémonie du mariage commença à 11 heures. En s’asseyant à la gauche de sa fille, Alice adressa un sourire à Peter. Elle jubilait.
*
Le professeur Moore entra dans la chambre de Clara. Il s’approcha du lit et posa sa main sur son front. La fièvre ne cessait de monter. Il s’assit au bord du lit et soupira tristement. Il prit un mouchoir en papier sur la table de nuit et essuya le trait de sang qui s’écoulait d’une narine. Il se leva et ajusta le débit du liquide de perfusion. Les épaules lourdes, il ressortit de la pièce, refermant doucement la porte derrière lui. Clara ouvrit les yeux, elle gémit et se rendormit aussitôt.
*
La cérémonie durait depuis une demi-heure et le prêtre s’apprêtait à faire prononcer aux mariés leurs vœux. Il se pencha vers Anna et lui fit un sourire bienveillant. Mais elle ne le regardait pas. Les yeux emplis de larmes, elle fixait le visage de sa mère.
– Pardonne-moi, murmura-t-elle.
Elle détourna son regard vers Jonathan et prit sa main.
– Tu ne peux plus rien pour elle, Jonathan, mais tu peux encore quelque chose pour vous deux !
– Qu’est-ce que tu dis ?
– Tu as très bien compris, pars d’ici avant qu’il ne soit trop tard. Tu ne peux plus la sauver, mais tu peux encore la retrouver, file.
L’église entière résonna du hurlement de colère que poussa Alice Walton quand Peter et Jonathan se ruèrent dans l’allée. Le prêtre resta les bras ballants, et toute la salle se leva quand ils franchirent les grandes portes. Du haut du parvis désert, Peter interpella le policier adossé à son véhicule.
– Je travaille en couverture secrète pour le commissaire Pilguez de la criminelle de San Francisco, vous pourrez vérifier tout ça en route, c’est une question de vie ou de mort, emmenez-nous immédiatement au Boston Mémorial Hospital.
Les deux amis n’échangèrent aucun mot dans la voiture. La sirène de police ouvrait la route devant eux. Jonathan avait appuyé sa tête contre la vitre, les yeux embués, il regardait défiler au loin les grues du vieux port. Peter le prit sous son épaule et le serra contre lui.
Quand ils arrivèrent devant la chambre de Clara, Jonathan se retourna vers son meilleur ami et le regarda longuement.
– Est-ce que tu peux me promettre quelque chose, Peter ?
– Tout ce que tu voudras !
– Quel que soit le temps que cela te prendra, il faudra que tu rendes justice à Vladimir. Jure-moi que, quoi qu’il arrive, tu iras jusqu’au bout. C’est ce que Clara aurait voulu.
– Je te le jure, nous le ferons ensemble, je n’abandonnerai pas.
– Il faudra que tu le fasses tout seul, mon vieux, moi je ne pourrai plus.
Jonathan ouvrit doucement la porte de la chambre. Dans la pénombre, Clara respirait faiblement.
– Tu veux quitter Boston ? demanda Peter.
– En quelque sorte, oui.
– Où comptes-tu aller ?
Jonathan prit son ami dans ses bras.
– Moi aussi, j’ai fait une promesse, tu sais. Je vais emmener Clara marcher le long des quais… la prochaine fois.
Il entra dans la pièce et referma la porte. Peter entendit le bruit de la clé qui tournait dans la serrure.
– Jonathan, qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il inquiet.
Il tambourina contre le montant, mais son ami ne lui répondit pas.
Jonathan s’assit sur le lit auprès de Clara. Il enleva sa veste et remonta la manche de sa chemise. Il retira l’aiguille de la poche de perfusion et la fit pénétrer dans son propre bras, reliant leurs deux corps. Quand il s’allongea près d’elle, le sang de Clara coulait déjà lentement dans ses veines. Il caressa sa joue pâle et approcha sa bouche de son oreille.
– Je t’aime, sans savoir m’arrêter de t’aimer, sans savoir comment ni pourquoi. Je t’aime ainsi car je ne connais pas d’autre façon. Où tu n’existes pas, je n’existe pas non plus.
Jonathan posa ses lèvres sur la bouche de Clara et pour la dernière fois de sa vie, tout se mit à tourner autour de lui.
*
L’automne naissait à peine. Peter marchait seul sur les pavés du marché à ciel ouvert. Son téléphone portable sonna.
– C’est moi, dit la voix au bout du téléphone. On l’a coincée. Je t’avais promis les meilleurs experts du pays, et j’ai tenu parole, nous avons identifié la toxine. J’ai le témoignage du barman qui a formellement reconnu M me Walton. Et puis je t’ai gardé le meilleur pour la fin, sa fille est prête à témoigner. La vieille ne sortira plus jamais de prison. Tu viendras à San Francisco un de ces jours ? Natalia serait contente de te voir, ajouta Pilguez.
– Promis, avant Noël.
– Que comptes-tu faire avec les tableaux ?
– Je vais tenir une promesse, moi aussi.
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