Bagheri appuya la mèche d’une perceuse électrique contre la combinaison du coffre, mit celle-ci en marche et fit un trou minuscule ; il y enfila des fils reliés à l’appareil pourvu d’un écran et établit d’autres branchements avec l’ordinateur. Il tapa des lettres et des chiffres sur un petit clavier et testa diverses solutions, jusqu’à ce qu’au bout de quelques minutes, un voyant rouge s’éteigne sur l’écran plasma, remplacé par un voyant vert. La combinaison du coffre se mit en mouvement comme par enchantement, avec un bruit dentelé de rotation métallique. Suivi d’un claquement sec.
La porte du coffre céda.
Sans dire un mot, Bagheri ouvrit la porte et pointa sa lampe pour en éclairer l’intérieur. Tomás épia par-dessus l’épaule de l’Iranien et reconnut la boîte à l’aspect usé, défraîchie par le temps, qui était posée au centre du coffre-fort.
— C’est ça, dit-il.
— Cette boîte ?
— Oui.
Bagheri tendit les bras vers l’intérieur du coffre et en retira la boîte. Il la prit comme si elle renfermait une relique divine, un trésor qui pouvait se déliter au moindre geste brusque, et la posa doucement sur le sol.
— Et maintenant ? demanda l’Iranien, hésitant, les mains sur les hanches.
— Il faut vérifier, dit Tomás, en se penchant sur la boîte.
Il retira le couvercle avec précaution et fit signe à Bagheri d’approcher sa lampe. Le faisceau de lumière inonda l’intérieur de la boîte, révélant les feuilles jaunies du vieux manuscrit. Tomás se baissa et parcourut du regard le titre et le poème qui figuraient sur le papier à carreaux de la première page. Les mots estompés lui apparurent étrangement familiers, mais aussi singulièrement mystérieux ; voilà, se dit-il avec une émotion mal contenue, le texte original, les pages dactylographiées par Einstein en personne, le témoignage perdu d’une époque oubliée. Couvert d’un voile de poussière, les feuilles piquées par les années exhalaient une odeur d’autrefois, le parfum secret d’un temps révolu.
— C’est ça ? demanda Bagheri.
— Oui, c’est ça.
— Vous en êtes sûr ?
— Absolument, répondit Tomás. C’est exactement celui…
Ils restèrent tous deux figés, la respiration en suspens, les yeux écarquillés, l’attention aux aguets. Leur première réaction fut la surprise, ils cherchèrent fébrilement à comprendre ce qui se passait, d’où venait le bruit.
C’était la ceinture.
Le bourdonnement provenait de la ceinture de Bagheri. Plus exactement, il provenait du récepteur accroché à la ceinture de Bagheri. Le même récepteur qui était réglé sur le signal de l’émetteur de Babak. Le même récepteur qui leur apportait des nouvelles du monde extérieur. Le même récepteur qui ne devait bourdonner qu’en cas de grave danger.
Ils écarquillèrent les yeux encore davantage ; cette fois ce n’était plus de la surprise, mais quelque chose de bien plus effrayant, de bien plus épouvantable, d’infiniment terrifiant. Cette fois, ils venaient de comprendre.
— C’est l’alarme !
Une incroyable farandole de lumières emplissait la cour du ministère, on aurait dit une fête foraine ; aux faisceaux blancs des phares des voitures et des projecteurs, s’ajoutaient les gyrophares orange des voitures de police. Des gens couraient dans tous les sens, criaient des ordres. Ces hommes venaient d’arriver en hâte et prenaient position, les uns armés de revolvers, les autres de carabines, d’autres encore de mitraillettes. Deux camions recouverts de bâches kaki débouchèrent dans la rue au même instant et des soldats en tenue de camouflage en sortirent, sans même attendre l’arrêt complet des véhicules.
Paralysés devant la fenêtre de la salle de réunion, où ils s’étaient précipités après avoir entendu l’alarme déclenchée par Babak, Tomás et Bagheri observaient la scène avec stupéfaction, d’abord incrédules, presque hypnotisés, puis terrifiés, le pire des scénarios se déroulait sous leurs yeux.
Leur présence avait été détectée.
— Et maintenant ? murmura Tomás, en sentant la panique le prendre aux tripes.
— Il faut fuir, dit Bagheri.
Sans perdre plus de temps, l’énorme Iranien fit demi-tour et quitta la salle, en traînant l’historien derrière lui. Ils avancèrent dans l’obscurité, sans oser allumer leur lampe, tâtonnant le long des murs, heurtant des meubles, butant sur des obstacles. Tomás tenait la boîte du manuscrit serrée entre ses mains, Bagheri portait sa sacoche à outils en bandoulière.
— Mossa, appela le Portugais. Par où allons-nous fuir ?
— Il y a une sortie de secours au rez-de-chaussée qui donne accès à la rue. Allons-y.
— Comment le savez-vous ?
— Je l’ai vue sur le plan.
Ils arrivèrent à l’escalier principal et le dévalèrent à toute allure, manquant de tomber à chaque marche ; il n’y avait plus un instant à perdre, il fallait atteindre cette issue de secours avant que le bâtiment ne soit complètement cerné. Arrivés sur le palier du premier étage, ils entendirent du bruit et s’arrêtèrent. Des voix venaient du rez-de-chaussée.
Les Iraniens venaient d’entrer dans le bâtiment et commençaient la fouille. Les deux hommes comprirent tout de suite que le chemin du rez-de-chaussée était coupé.
Coupé.
Il n’y avait plus d’échappatoire. Leur terreur était indescriptible. Le cercle s’était refermé plus vite qu’ils l’espéraient, les Iraniens se rapprochaient rapidement.
Toutes les lumières du bâtiment s’allumèrent à cet instant et leur terreur se transforma en panique absolue. Toujours figés sur le palier, ils regardèrent fébrilement autour d’eux, cherchant une autre sortie, une porte, un trou, quelque chose. Ils écoutèrent les bruits et les voix qui venaient du rez-de-chaussée, les Iraniens resserraient le cercle et commençaient à monter les marches quatre à quatre.
Déterminé, Bagheri attrapa Tomás par le bras et ils remontèrent jusqu’au deuxième étage, à présent parfaitement éclairé. Ils s’engagèrent dans un couloir, tentant désespérément de trouver l’escalier de service, leur ultime recours.
— Ist !
Le cri qui les sommait de s’arrêter retentit derrière eux, quelque part au fond du couloir, c’était une voix rauque, gutturale, mais suffisamment claire pour qu’ils comprennent, à cet instant précis, que l’inévitable venait de se produire.
On les avait localisés.
— Ist !
Ils coururent jusqu’au bout du couloir et ouvrirent une porte coupe-feu. Il s’agissait bien de l’escalier de secours, une structure métallique en colimaçon. Bagheri attrapa la rampe et dévala les premières marches, suivi de Tomás dont les jambes flageolaient, mais ils s’arrêtèrent net, tétanisés par de nouveaux bruits. Des soldats montaient précipitamment l’escalier.
Cette issue était également coupée.
Ils firent demi-tour et remontèrent jusqu’au deuxième étage, mais sans reprendre le couloir où ils avaient été repérés. Ils choisirent de remonter jusqu’au troisième étage et de suivre le couloir qui menait à la pièce du coffre-fort. Des gardes en surgirent aussi.
— Ist ! hurlèrent les hommes armés, les sommant une nouvelle fois de s’arrêter.
Bagheri atteignit la porte de la salle de réunion et s’y engouffra, suivi par Tomás. L’historien, brisé par l’effort, jeta la boîte contenant le manuscrit sur la longue table et se laissa tomber sur une chaise, abattu par la fatigue et le désespoir.
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