— Nerveux ? demanda Bagheri, rompant le silence.
Tomás hocha la tête.
— Oui.
— C’est normal, dit l’Iranien en souriant. Mais soyez tranquille, tout va bien se passer.
— Comment pouvez-vous en être si sûr ?
Bagheri prit son portefeuille et en sortit un billet vert de cent dollars, qu’il montra à l’historien.
— Ce morceau de papier a beaucoup de pouvoir.
La voiture tourna à gauche et, après deux virages, se mit à ralentir. Babak épia de nouveau son rétroviseur, se rabattit vers le trottoir et se gara entre deux camionnettes. Le moteur fut coupé et les phares éteints.
— On est arrivé ?
— Oui.
Tomás regarda autour de lui, cherchant à reconnaître l’endroit.
— Mais ce n’est pas ici le ministère.
— Si, c’est là, dit Bagheri, en désignant le coin de la rue suivante. Il nous faut y aller à pied, c’est la prochaine à droite.
Ils descendirent de voiture et sentirent la brise glacée traverser leurs vêtements. Tomás rajusta sa veste, enfila son turban gris, et les trois hommes marchèrent le long du trottoir jusqu’au croisement. Une fois là, l’historien reconnut enfin la rue et le bâtiment en face, c’était bien le ministère de la Science. Bagheri fit signe à Tomás d’attendre avec lui, tandis que Babak s’éloigna en traversant tranquillement la rue pour se diriger vers le ministère. Le chauffeur s’engouffra dans l’ombre, près du poste de garde, et demeura invisible quelques minutes. Sa silhouette mince et élancée finit par ressortir de la pénombre et fit un geste pour que les deux autres le rejoignent.
— Allons-y, ordonna Bagheri à voix basse. Surtout ne parlez pas, vous entendez ? Il ne faut pas qu’ils remarquent que vous êtes étranger.
Ils traversèrent la rue et s’approchèrent des grilles du portail de l’entrée. Tomás avait les jambes en coton et l’estomac noué, son cœur battait à toute vitesse, ses mains tremblaient et une sueur froide perlait sur son front ; mais il se répéta que les hommes qui l’accompagnaient étaient des professionnels, qu’ils savaient ce qu’ils faisaient, et il se raccrocha à cette idée qui lui procurait un certain réconfort.
Le portail restait fermé, mais Bagheri s’engagea par une porte latérale, juste à côté du poste de garde, et pénétra dans le périmètre du ministère. L’historien lui emboîta le pas. Babak les attendait près d’un soldat iranien, sans doute la sentinelle, qui adressa à Bagheri un salut militaire. L’homme de la CIA le lui rendit, puis échangea à voix basse quelques paroles avec Babak et le chauffeur ressortit dans la rue.
Tomás et Bagheri restèrent avec le soldat qui les conduisit vers une porte dérobée, probablement une entrée de service. Le soldat ouvrit la porte, fit un nouveau salut, laissa les deux étrangers entrer dans le bâtiment et referma la porte. C’est à cet instant que Tomás eut conscience qu’il venait de franchir la terrifiante frontière invisible.
Le point de non retour.
— Et maintenant ? chuchota-t-il d’une voix tremblante qui résonna dans l’obscurité.
— Maintenant nous montons au troisième étage, dit Bagheri. C’est bien là que se trouve le manuscrit ?
— Oui, c’est du moins ce que j’ai vu.
— Alors, allons-y.
L’Iranien alluma une lampe torche, mais l’historien hésita.
— Et le chauffeur ?
— Babak est resté dans la rue pour surveiller.
— Ah oui ? Et que se passera-t-il si quelqu’un arrive ?
— Au moindre mouvement suspect, il appuiera sur le bouton d’un émetteur. J’ai sur moi un récepteur qui vibrera aussitôt. Il pointa sa lampe torche sur sa hanche et désigna un petit appareil métallique glissé sous sa ceinture. Vous voyez ?
— Ah. C’est une alarme ?
— Oui.
— Et s’il la déclenche ?
Bagheri sourit.
— Nous devrons nous enfuir, évidemment.
Les deux hommes explorèrent les lieux attentivement. Bagheri, avec sa lampe torche braquée devant lui, projetait un cône de clarté dans la profondeur du bâtiment, jetant des ombres effrayantes sur les murs et le sol en marbre poli. Ils s’engagèrent dans un couloir qui les conduisit jusqu’au hall d’accueil, dominé par un imposant escalier. À côté se trouvaient des ascenseurs, mais Bagheri préféra monter les marches, ne voulant pas faire de bruit ni allumer de lumières qu’il ne pourrait pas contrôler.
Ils arrivèrent au troisième étage et l’Iranien désigna le couloir de gauche.
— C’est bien par là ? demanda-t-il.
— Oui.
Bagheri fit signe à Tomás de passer devant et l’historien suivit le commandement. Les choses dans le noir étaient bien différentes que sous la lumière du jour, mais, malgré l’étrangeté des circonstances, le Portugais parvint à reconnaître l’endroit. Sur la gauche se trouvait la salle de réunion, où on lui avait montré le manuscrit. Il ouvrit la porte et vérifia que c’était bien le cas, il avisa la longue table, les chaises, les pots de plantes et les murs recouverts d’armoires, locataires silencieux de cette salle calme et sombre. Il regarda alors vers la droite et repéra la pièce d’où Ariana était sortie en tenant dans ses mains la vieille boîte contenant le document.
— C’est là, dit-il, en pointant la porte de cette pièce.
Bagheri s’approcha de la porte et fit tambouriner ses doigts dessus.
— Ici ?
— Oui.
L’Iranien tourna la poignée, mais la porte résista. Comme c’était à prévoir, elle était verrouillée. En outre, cette porte n’était pas en bois, comme les autres, mais en métal, ce qui indiquait la présence d’un dispositif de sûreté spécial.
— Et maintenant ? demanda Tomás.
Bagheri ne répondit pas immédiatement. Il se pencha et examina la serrure de près, à la lumière de sa lampe. Puis il s’accroupit et ouvrit la sacoche noire où étaient rangés ses outils.
— Il n’y a aucun problème, se borna-t-il à dire.
Il prit un instrument métallique et pointu qu’il inséra lentement dans la serrure. Puis il introduisit dans ses oreilles une sorte de stéthoscope dont les fils étaient reliés à un récepteur très sensible. Il plaqua celui-ci contre la serrure et se mit à écouter les clics émis par l’instrument pointu, la langue pendue au coin des lèvres et les yeux plissés en une expression de grande concentration. L’opération se prolongea durant d’interminables minutes. Au bout d’un moment, Bagheri sortit l’instrument de la serrure et en chercha un autre dans sa sacoche. Il en tira une sorte de fil métallique, très flexible, et le glissa dans le trou de la serrure, en répétant la manœuvre précédente.
— Alors ? chuchota Tomás, pressé de quitter les lieux. Vous n’y arrivez pas ?
— Un moment.
L’Iranien plaqua de nouveau son récepteur contre la serrure, en suivant avec une extrême attention le parcours du fil métallique. On entendit encore quelques clics, peut-être trois, puis un clac final.
La porte en métal s’ouvrit.
— Sésame, ouvre-toi, plaisanta Tomás.
Bagheri lui lança un clin d’œil.
— Je suis Ali Baba.
Ils entrèrent dans la pièce et l’Iranien y promena le faisceau de sa lampe. C’était un petit bureau, aux murs et au plafond richement décorés de boiseries exotiques. Une niche ménagée dans le mur du fond, au-dessus d’une plante verte, était occupée par un coffre gris, avec une serrure protégée par un système de combinaison.
— Le manuscrit doit être là, observa Tomás. Vous pensez pouvoir ouvrir le coffre ?
Bagheri s’approcha et examina le dispositif de fermeture avec attention.
— Il n’y a aucun problème, répondit-il.
De nouveau, il enfila son stéthoscope dans les oreilles et se mit à ausculter la serrure du coffre, mais en utilisant cette fois des petits appareils très complexes, de haute technologie ; l’un était équipé d’un ordinateur intégré, l’autre présentait des cadrans sur un petit écran plasma où brillaient des chiffres.
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