«Mais qu’est-ce que tu fabriquais?», m’a-t-elle demandé lorsque nous avons surgi coude à coude à l’air libre, dans la nuit sombre. J’ai haussé les épaules.
Elle a appelé un taxi. Je me suis tourné vers la vitre arrière et pendant qu’on s’éloignait, j’ai vu mon père qui arrivait seulement à la grande porte en traînant sa jambe derrière lui. Je me mettais à sa place.
Ma mère était encore survoltée. Elle se mordillait un ongle. Le taxi filait silencieusement sur l’autoroute presque déserte, bordée de ciel noir. Elle a rangé le sac à ses pieds. Puis au bout d’un moment, elle a posé la tête sur mon épaule.
Et elle m’a fait: «J’ai besoin que tu me dises quelque chose. J’en ai vraiment besoin.»
Je voyais le genre.
Je lui ai dit: «Je te quitterai jamais.» C’est sorti tout seul.
Elle s’est serrée contre moi.
«Je le sais bien, a-t-elle murmuré. Je sais très bien que tu ne feras jamais ça.»
Né le 3 juin 1949 à Paris, Philippe Djian passe l’été de ses seize ans comme magasinier chez Gallimard sans avoir vraiment envie de ressembler aux écrivains qu’il a l’occasion de croiser. A 18 ans, il lit L ’ Attrape-c œ ur de Salinger, dévore la littérature américaine, avant d’entreprendre un séjour de quatre mois aux Etats-Unis et en Colombie. C’est en 1981, alors qu’il est employé dans une cabine de péage d’autoroute à La Ferté-Bernard, qu’il commence à écrire les nouvelles qui formeront son premier livre, Cinquante contre un . Le recueil est refusé par Gallimard malgré l’enthousiasme de Christiane Baroche, qui parvient à le faire publier dans la toute jeune maison d’édition Bernard Barrault.
Bleu comme l ’ enfer et Zone é rog è ne touchent un public relativement confidentiel. En 1985, 37˚2 le matin , porté à l’écran par Jean-Jacques Beineix, est un succès retentissant. Depuis, Philippe Djian suit sa voie singulière, loin des milieux littéraires, au gré de ses déplacements (Biarritz, les Etats-Unis, Bordeaux, la Suisse, Paris). Il vient de publier un roman, Ç a c ’ est un baiser , chez Gallimard, et chez Julliard, Ardoise, un exercice d’admiration pour les écrivains – la plupart américains – qui l’ont le plus marqué.