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Albert Сamus: L’etranger

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Albert Сamus L’etranger

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Etranger sur la terre, etranger a lui-meme, Meursault le bien nomme pose les questions qui deviendront un leitmotiv dans l'oeuvre de Camus. De La Peste a La Chute, mais aussi dans ses pieces et dans ses essais, celui qui allait devenir Prix Nobel de litterature en 1957 ne cessera de s'interroger sur le sens de l'existence. Sa mort violente en 1960 contribua quelque peu a rendre mythique ce maitre a penser de toute une generation. --Karla Manuele

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Il disait qu'il s'etait penche sur elle et qu'il n'avait rien trouve, messieurs les Jures. Il disait qu'a la verite, je n'en avais point, d'ame, et que rien d'humain, et pas un des principes moraux qui gardent le c?ur des hommes ne m'etait accessible. «Sans doute, ajoutait-il, nous ne saurions le lui reprocher. Ce qu'il ne saurait acquerir, nous ne pouvons nous plaindre qu'il en manque. Mais quand il s'agit de cette cour, la vertu toute negative de la tolerance doit se muer en celle, moins facile, mais plus elevee, de la justice. Surtout lorsque le vide du c?ur tel qu'on le decouvre chez cet homme devient un gouffre ou la societe peut succomber.» C'est alors qu'il a parle de mon attitude envers maman. Il a repete ce qu'il avait dit pendant les debats. Mais il a ete beaucoup plus long que lorsqu'il parlait de mon crime, si long meme que, finalement, je n'ai plus senti que la chaleur de cette matinee. Jusqu'au moment, du moins, ou l'avocat general s'est arrete et apres un moment de silence, a repris d'une voix tres basse et tres penetree: «Cette meme cour, messieurs, va juger demain le plus abominable des forfaits: le meurtre d'un pere.» Selon lui, l'imagination reculait devant cet atroce attentat. Il osait esperer que la justice des hommes punirait sans faiblesse. Mais il ne craignait pas de le dire, l'horreur que lui inspirait ce crime le cedait presque a celle qu'il ressentait devant mon insensibilite. Toujours selon lui, un homme qui tuait moralement sa mere se retranchait de la societe des hommes au meme titre que celui qui portait une main meurtriere sur l'auteur de ses jours. Dans tous les cas, le premier preparait les actes du second, il les annoncait en quelque sorte et il les legitimait. «J'en suis persuade, messieurs, a-t-il ajoute en elevant la voix, vous ne trouverez pas ma pensee trop audacieuse, si je dis que l'homme qui est assis sur ce banc est coupable aussi du meurtre que cette cour devra juger demain. Il doit etre puni en consequence.» Ici, le procureur a essuye son visage brillant de sueur. Il a dit enfin que son devoir etait douloureux, mais qu'il l'accomplirait fermement. Il a declare que je n'avais rien a faire avec une societe dont je meconnaissais les regles les plus essentielles et que je ne pouvais pas en appeler a ce c?ur humain dont j'ignorais les reactions elementaires. «Je vous demande la tete de cet homme, a-t-il dit, et c'est le c?ur leger que je vous la demande. Car s'il m'est arrive au cours de ma deja longue carriere de reclamer des peines capitales, jamais autant qu'aujourd'hui, je n'ai senti ce penible devoir compense, balance, eclaire par la conscience d'un commandement imperieux et sacre et par l'horreur que je ressens devant un visage d'homme ou je ne lis rien que de monstrueux.»

Quand le procureur s'est rassis, il y a eu un moment de silence assez long. Moi, j'etais etourdi de chaleur et d'etonnement. Le president a tousse un peu et sur un ton tres bas, il m'a demande si je n'avais rien a ajouter. Je me suis leve et comme j'avais envie de parler, j'ai dit, un peu au hasard d'ailleurs, que je n'avais pas eu l'intention de tuer l'Arabe. Le president a repondu que c'etait une affirmation, que jusqu'ici il saisissait mal mon systeme de defense et qu'il serait heureux, avant d'entendre mon avocat, de me faire preciser les motifs qui avaient inspire mon acte. J'ai dit rapidement, en melant un peu les mots et en me rendant compte de mon ridicule, que c'etait a cause du soleil. Il y a eu des rires dans la salle. Mon avocat a hausse les epaules et tout de suite apres, on lui a donne la parole. Mais il a declare qu'il etait tard, qu'il en avait pour plusieurs heures et qu'il demandait le renvoi a l'apres-midi. La cour y a consenti.

L'apres-midi, les grands ventilateurs brassaient toujours l'air epais de la salle et les petits eventails multicolores des jures s'agitaient tous dans le meme sens. La plaidoirie de mon avocat me semblait ne devoir jamais finir. A un moment donne, cependant, je l'ai ecoute parce qu'il disait: «Il est vrai que j'ai tue.» Puis il a continue sur ce ton, disant «je» chaque fois qu'il parlait de moi. J'etais tres etonne. Je me suis penche vers un gendarme et je lui ai demande pourquoi. Il m'a dit de me taire et, apres un moment, il a ajoute: «Tous les avocats font ca.» Moi, j'ai pense que c'etait m'ecarter encore de l'affaire, me reduire a zero et, en un certain sens, se substituer a moi. Mais je crois que j'etais deja tres loin de cette salle d'audience. D'ailleurs, mon avocat m'a semble ridicule. Il a plaide la provocation tres rapidement et puis lui aussi a parle de mon ame. Mais il m'a paru qu'il avait beaucoup moins de talent que le procureur. «Moi aussi, a-t-il dit, je me suis penche sur cette ame, mais, contrairement a l'eminent representant du ministere public, j'ai trouve quelque chose et je puis dire que j'y ai lu a livre ouvert.» II y avait lu que j'etais un honnete homme, un travailleur regulier, infatigable, fidele a la maison qui l'employait, aime de tous et compatissant aux miseres d'autrui. Pour lui, j'etais un fils modele qui avait soutenu sa mere aussi longtemps qu'il l'avait pu. Finalement j'avais espere qu'une maison de retraite donnerait a la vieille femme le confort que mes moyens ne me permettaient pas de lui procurer. «Je m'etonne, messieurs, a-t-il ajoute, qu'on ait mene si grand bruit autour de cet asile. Car enfin, s'il fallait donner une preuve de l'utilite et de la grandeur de ces institutions, il faudrait bien dire que c'est l'Etat lui-meme qui les subventionne.» Seulement, il n'a pas parle de l'enterrement et j'ai senti que cela manquait dans sa plaidoirie. Mais a cause de toutes ces longues phrases, de toutes ces journees et ces heures interminables pendant lesquelles on avait parle de mon ame, j'ai eu l'impression que tout devenait comme une eau incolore ou je trouvais le vertige.

A la fin, je me souviens seulement que, de la rue et a travers tout l'espace des salles et des pretoires, pendant que mon avocat continuait a parler, la trompette d'un marchand de glace a resonne jusqu'a moi. J'ai ete assailli des souvenirs d'une vie qui ne m'appartenait plus, mais ou j'avais trouve les plus pauvres et les plus tenaces de mes joies: des odeurs d'ete, le quartier que j'aimais, un certain ciel du soir, le rire et les robes de Marie. Tout ce que je faisais d'inutile en ce lieu m'est alors remonte a la gorge et je n'ai eu qu'une hate, c'est qu'on en finisse et que je retrouve ma cellule avec le sommeil. C'est a peine si j'ai entendu mon avocat s'ecrier, pour finir, que les jures ne voudraient pas envoyer a la mort un travailleur honnete perdu par une minute d'egarement, et demander les circonstances attenuantes pour un crime dont je trainais deja, comme le plus sur de mes chatiments, le remords eternel. La cour a suspendu l'audience et l'avocat s'est assis d'un air epuise. Mais ses collegues sont venus vers lui pour lui serrer la main. J'ai entendu: «Magnifique, mon cher.» L'un d'eux m'a meme pris a temoin: « Hein? » m'a-t-il dit. J'ai acquiesce, mais mon compliment n'etait pas sincere, parce que j'etais trop fatigue.

Pourtant, l'heure declinait au-dehors et la chaleur etait moins forte. Aux quelques bruits de rue que j'entendais, je devinais la douceur du soir. Nous etions la, tous, a attendre. Et ce qu'ensemble nous attendions ne concernait que moi. J'ai encore regarde la salle. Tout etait dans le meme etat que le premier jour. J'ai rencontre le regard du journaliste a la veste grise et de la femme automate. Cela m'a donne a penser que je n'avais pas cherche Marie du regard pendant tout le proces. Je ne l'avais pas oubliee, mais j'avais trop a faire. Je l'ai vue entre Celeste et Raymond. Elle m'a fait un petit signe comme si elle disait: «Enfin», et j'ai vu son visage un peu anxieux qui souriait. Mais je sentais mon c?ur ferme et je n'ai meme pas pu repondre a son sourire.

La cour est revenue. Tres vite, on a lu aux jures une serie de questions. J'ai entendu «coupable de meurtre». . . «premeditation». . . «circonstances attenuantes». Les jures sont sortis et l'on m'a emmene dans la petite piece ou j'avais deja attendu. Mon avocat est venu me rejoindre: il etait tres volubile et m'a parle avec plus de confiance et de cordialite qu'il ne l'avait jamais fait. Il pensait que tout irait bien et que je m'en tirerais avec quelques annees de prison ou de bagne. Je lui ai demande s'il y avait des chances de cassation en cas de jugement defavorable. Il m'a dit que non. Sa tactique avait ete de ne pas deposer de conclusions pour ne pas indisposer le jury. Il m'a explique qu'on ne cassait pas un jugement, comme cela, pour rien. Cela m'a paru evident et je me suis rendu a ses raisons. A considerer froidement la chose, c'etait tout a fait naturel. Dans le cas contraire, il y aurait trop de paperasses inutiles. «De toute facon, m'a dit mon avocat, il y a le pourvoi. Mais je suis persuade que l'issue sera favorable.»

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