– Je crois le connaître.
– Je n’en dirai pas autant, moi, reprit Bazin, car il était si bien enveloppé dans son manteau, que, quelque persistance que j’y aie mise, je n’ai pas pu voir le plus petit coin de son visage. Mais je vais entrer pour annoncer, et cette fois peut-être serai-je plus heureux.
– Inutile, dit Aramis, nous renonçons à voir M. le coadjuteur pour ce soir, n’est-ce pas, Athos?
– Comme vous voudrez, dit le comte.
– Oui, il a de trop grandes affaires à traiter avec ce M. de Bruy.
– Et lui annoncerai-je que ces messieurs étaient venus à l’archevêché?
– Non, ce n’est pas la peine, dit Aramis; venez, Athos.
Et les deux amis, fendant la foule des laquais, sortirent de l’archevêché suivis de Bazin, qui témoignait de leur importance en leur prodiguant les salutations.
– Eh bien! demanda Athos lorsque Aramis et lui furent dans la barque, commencez-vous à croire, mon ami, que nous aurions joué un bien mauvais tour à tous ces gens-là en arrêtant M. de Mazarin?
– Vous êtes la sagesse incarnée, Athos, répondit Aramis.
Ce qui avait surtout frappé les deux amis, c’était le peu d’importance qu’avaient pris à la cour de France les événements terribles qui s’étaient passés en Angleterre et qui leur semblaient, à eux, devoir occuper l’attention de toute l’Europe.
En effet, à part une pauvre veuve et une orpheline royale qui pleuraient dans un coin du Louvre, personne ne paraissait savoir qu’il eût existé un roi Charles I eret que ce roi venait de mourir sur un échafaud.
Les deux amis s’étaient donné rendez-vous pour le lendemain matin à dix heures, car, quoique la nuit fût fort avancée lorsqu’ils étaient arrivés à la porte de l’hôtel, Aramis avait prétendu qu’il avait encore quelques visites d’importance à faire et avait laissé Athos entrer seul.
Le lendemain à dix heures sonnantes ils étaient réunis. Depuis six heures du matin Athos était sorti de son côté.
– Eh bien! avez-vous eu quelques nouvelles? demanda Athos.
– Aucune; on n’a vu d’Artagnan nulle part, et Porthos n’a pas encore paru. Et chez vous?
– Rien.
– Diable! fit Aramis.
– En effet, dit Athos, ce retard n’est point naturel; ils ont pris la route la plus directe, et par conséquent ils auraient dû arriver avant nous.
– Ajoutez à cela, dit Aramis, que nous connaissons d’Artagnan pour la rapidité de ses manœuvres, et qu’il n’est pas homme à avoir perdu une heure, sachant que nous l’attendons…
– Il comptait, si vous vous rappelez, être ici le cinq.
– Et nous voilà au neuf. C’est ce soir qu’expire le délai.
– Que comptez-vous faire, demanda Athos, si ce soir nous n’avons pas de nouvelles?
– Pardieu! nous mettre à sa recherche.
– Bien, dit Athos.
– Mais Raoul? demanda Aramis.
Un léger nuage passa sur le front du comte.
– Raoul me donne beaucoup d’inquiétude, dit-il, il a reçu hier un message du prince de Condé, il est allé le rejoindre à Saint-Cloud et n’est pas revenu.
– N’avez-vous point vu madame de Chevreuse?
– Elle n’était point chez elle. Et vous, Aramis, vous deviez passer, je crois, chez madame de Longueville?
– J’y ai passé en effet.
– Eh bien?
– Elle n’était point chez elle non plus, mais au moins elle avait laissé l’adresse de son nouveau logement.
– Où était-elle?
– Devinez, je vous le donne en mille.
– Comment voulez-vous que je devine où est à minuit, car je présume que c’est en me quittant que vous vous êtes présenté chez elle, comment, dis-je, voulez-vous que je devine où est à minuit la plus belle et la plus active de toutes les frondeuses?
– À l’Hôtel de Ville! mon cher!
– Comment, à l’Hôtel de Ville! Est-elle donc nommée prévôt des marchands?
– Non, mais elle s’est faite reine de Paris par intérim, et comme elle n’a pas osé de prime abord aller s’établir au Palais-Royal ou aux Tuileries, elle s’est installée à l’Hôtel de Ville, où elle va donner incessamment un héritier ou une héritière à ce cher duc.
– Vous ne m’aviez pas fait part de cette circonstance, Aramis, dit Athos.
– Bah! vraiment! C’est un oubli alors, excusez-moi.
– Maintenant, demanda Athos, qu’allons-nous faire d’ici à ce soir? Nous voici fort désœuvrés, ce me semble.
– Vous oubliez, mon ami, que nous avons de la besogne toute taillée.
– Où cela?
– Du côté de Charenton, morbleu! J’ai l’espérance, d’après sa promesse, de rencontrer là un certain M. de Châtillon que je déteste depuis longtemps.
– Et pourquoi cela?
– Parce qu’il est frère d’un certain M. de Coligny.
– Ah! c’est vrai, j’oubliais… lequel a prétendu à l’honneur d’être votre rival. Il a été bien cruellement puni de cette audace, mon cher, et, en vérité, cela devrait vous suffire.
– Oui; mais que voulez-vous! cela ne me suffit point. Je suis rancunier; c’est le seul point par lequel je tienne à l’Église Après cela, vous comprenez, Athos, vous n’êtes aucunement forcé de me suivre.
– Allons donc, dit Athos, vous plaisantez!
– En ce cas, mon cher, si vous êtes décidé à m’accompagner, il n’y a point de temps à perdre. Le tambour a battu, j’ai rencontré les canons qui partaient, j’ai vu les bourgeois qui se rangeaient en bataille sur la place de l’Hôtel-de-Ville; on va bien certainement se battre vers Charenton, comme l’a dit hier le duc de Châtillon.
– J’aurais cru, dit Athos, que les conférences de cette nuit avaient changé quelque chose à ces dispositions belliqueuses.
– Oui sans doute, mais on ne s’en battra pas moins, ne fût-ce que pour mieux masquer ces conférences.
– Pauvres gens! dit Athos, qui vont se faire tuer pour qu’on rende Sedan à M. de Bouillon, pour qu’on donne la survivance de l’amirauté à M. de Beaufort, et pour que le coadjuteur soit cardinal!
– Allons! allons! mon cher, dit Aramis, convenez que vous ne seriez pas si philosophe si votre Raoul ne se devait point trouver à toute cette bagarre.
– Peut-être dites-vous vrai, Aramis.
– Eh bien! allons donc où l’on se bat, c’est un moyen sûr de retrouver d’Artagnan, Porthos, et peut-être même Raoul.
– Hélas! dit Athos.
– Mon bon ami, dit Aramis, maintenant que nous sommes à Paris, il vous faut, croyez-moi, perdre cette habitude de soupirer sans cesse. À la, guerre, morbleu! comme à la guerre, Athos! N’êtes-vous plus homme d’épée, et vous êtes-vous fait d’Église, voyons! Tenez, voilà de beaux bourgeois qui passent; c’est engageant, tudieu! Et ce capitaine, voyez donc, ça vous a presque une tournure militaire!
– Ils sortent de la rue du Mouton.
– Tambour en tête, comme de vrais soldats! Mais voyez donc ce gaillard-là, comme il se balance, comme il se cambre!
– Heu! fit Grimaud.
– Quoi? demanda Athos.
– Planchet, monsieur.
– Lieutenant hier, dit Aramis, capitaine aujourd’hui, colonel sans doute demain; dans huit jours le gaillard sera maréchal de France.
– Demandons-lui quelques renseignements, dit Athos.
Et les deux amis s’approchèrent de Planchet, qui, plus fier que jamais d’être vu en fonctions, daigna expliquer aux deux gentilshommes qu’il avait ordre de prendre position sur la place Royale avec deux cents hommes formant l’arrière-garde de l’armée parisienne, et de se diriger de là vers Charenton quand besoin serait.
Comme Athos et Aramis allaient du même côté, ils escortèrent Planchet jusque sur son terrain.
Planchet fit assez adroitement manœuvrer ses hommes sur la place Royale, et les échelonna derrière une longue file de bourgeois placée rue et faubourg Saint-Antoine, en attendant le signal du combat.
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