Octave Mirbeau - Le journal d’une femme de chambre

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Le journal d’une femme de chambre: краткое содержание, описание и аннотация

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Célestine entre dans sa nouvelle place de femme de chambre, en province, au service de M. et Mme Lanlaire et aux côtés de la cuisinière Marianne et du palefrenier Joseph. Elle se souvient de ses anciens maîtres, comme ce vieillard fasciné par les bottines, ou cette vieille femme qui va s'encanailler, ou encore cette épouse qui attend chaque nuit d'être honorée par son mari. Célestine est mise au courant de tous les ragots de la ville par les autres servantes: Madame est une femme acariâtre et Monsieur, coureur de jupons, se laisse dominer par elle. Leurs voisins – un vieux capitaine et sa servante, Rose, qui lui sert de maîtresse – les détestent. À la nouvelle de la mort de sa mère, Célestine se remémore son enfance et sa première expérience amoureuse. Monsieur entreprend Célestine, qui le repousse…

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Je demandai à réfléchir…

– Eh bien, c’est ça!… réfléchissez… conseilla cette marchande de viande humaine. Je vais toujours vous laisser mon adresse… Quand le cœur vous dira… eh bien, vous n’aurez qu’à venir… Ah! je suis bien tranquille!… Et, dès demain, je vais vous annoncer au Président de la République…

Nous avions fini de boire. La vieille régla les deux verres, tira d’un petit portefeuille noir une carte qu’elle me remit, en cachette, dans la main. Lorsqu’elle fut partie, je regardai la carte et je lus:

MADAME REBECCA RANVET

Modes.

J’assistai chez M mePaulhat-Durand à des scènes extraordinaires. Ne pouvant malheureusement les conter toutes, j’en choisis une qui peut passer pour un exemple de ce qui arrive, tous les jours, dans cette maison.

J’ai dit que le haut de la cloison, séparant l’antichambre du bureau, s’éclaire en toute sa longueur d’un vitrage garni de transparents rideaux. Au milieu du vitrage s’intercale un vasistas, ordinairement fermé. Une fois je remarquai que, par suite d’une négligence, que je résolus de mettre à profit, il était entr’ouvert… J’escaladai la banquette et, me haussant sur un escabeau de renfort, je parvins à toucher du menton le cadre du vasistas que je poussai tout doucement… Mon regard plongea dans la pièce, et voici ce que je vis.

Une dame était assise dans un fauteuil; une femme de chambre était debout, devant elle; dans un coin, M mePaulhat-Durand rangeait des fiches, entre les compartiments d’un tiroir… La dame venait de Fontainebleau pour chercher une bonne… Elle pouvait avoir cinquante ans. Apparence de bourgeoise riche et rêche. Toilette sérieuse, austérité provinciale… Malingre et souffreteuse, le teint plombé par les nourritures de hasard et les jeûnes, la bonne avait pourtant une physionomie sympathique qui eût pu être jolie, avec du bonheur. Elle était très propre et svelte dans une jupe noire. Un jersey noir moulait sa taille maigre; un bonnet de linge la coiffait gentiment, en arrière, découvrant le front où des cheveux blonds frisottaient.

Après un examen détaillé, appuyé, froissant, agressif, la dame se décida enfin à parler.

– Alors, dit-elle, vous vous présentez comme… quoi?… comme femme de chambre?

– Oui, Madame.

– Vous n’en avez pas l’air… Comment vous appelez-vous?

– Jeanne Le Godec…

– Qu’est-ce que vous dites?…

– Jeanne Le Godec, Madame…

La dame haussa les épaules.

– Jeanne… fit-elle… Ça n’est pas un nom de domestique… c’est un nom de jeune fille. Si vous entrez à mon service, vous n’avez pas la prétention, j’imagine, de garder ce nom de Jeanne?…

– Comme Madame voudra.

Jeanne avait baissé la tête… Elle appuya davantage ses deux mains sur le manche de son parapluie.

– Levez la tête… ordonna la dame… tenez-vous droite… Vous voyez bien que vous allez percer le tapis avec la pointe de votre parapluie… D’où êtes-vous?

– De Saint-Brieuc…

– De Saint-Brieuc!…

Et elle eut une moue de dédain, qui devint bien vite une affreuse grimace… Les coins de sa bouche, l’angle de ses yeux se plissèrent comme si elle eût avalé un verre de vinaigre.

– De Saint-Brieuc!… répéta-t-elle… Alors vous êtes bretonne?… Oh! je n’aime pas les bretonnes… Elles sont entêtées et malpropres…

– Moi, je suis très propre, Madame, protesta la pauvre Jeanne.

– C’est vous qui le dites… Enfin, nous n’en sommes pas là… Quel âge avez-vous?

– Vingt-six ans.

– Vingt-six ans?… Sans compter les mois de nourrice, sans doute?… Vous paraissez bien plus vieille… Ce n’est pas la peine de me tromper…

– Je ne trompe pas Madame… J’assure bien à Madame que je n’ai que vingt-six ans… Si je parais plus vieille, c’est que j’ai été longtemps malade…

– Ah! vous avez été malade?… répliqua la bourgeoise avec une dureté railleuse… ah! vous avez été longtemps malade?… Je vous préviens, ma fille, que sans être pénible la maison est assez importante, et qu’il me faut une femme de très forte santé…

Jeanne voulut réparer ses imprudentes paroles. Elle déclara:

– Oh! mais, je suis guérie… tout à fait guérie…

– C’est votre affaire… D’ailleurs, nous n’en sommes pas là… Vous êtes fille… mariée?… Quoi?… Qu’est-ce que vous êtes?

– Je suis veuve, Madame.

– Ah!… Vous n’avez pas d’enfant, je suppose?

Et comme Jeanne ne répondait pas tout de suite, la dame, plus vivement, insista:

– Enfin… Avez-vous des enfants, oui ou non?…

– J’ai une petite fille, avoua-t-elle timidement…

Alors, faisant des grimaces et des gestes comme si elle eût chassé loin d’elle un vol de mouches:

– Oh! pas d’enfant dans la maison… cria-t-elle… pas d’enfant dans la maison… Je n’en veux à aucun prix… Où est-elle, votre fille?

– Elle est chez une tante de mon mari…

– Et qu’est-ce que c’est que cette tante?

– Elle tient un débit de boissons, à Rouen…

– C’est un triste métier… L’ivrognerie, la débauche, en voilà un joli exemple, pour une petite fille!… Enfin, cela vous regarde… c’est votre affaire… Quel âge a votre fille?

– Dix-huit mois, Madame.

Madame sauta, se retourna violemment dans son fauteuil. Elle était outrée, scandalisée… Une sorte de grognement sortit de ses lèvres:

– Des enfants!… Je vous demande un peu!… Des enfants quand on ne peut pas les élever, les avoir chez soi!… Ces gens-là sont incorrigibles, ils ont le diable au corps!…

De plus en plus agressive, féroce même, elle s’adressa à Jeanne toute tremblante devant son regard.

– Je vous avertis, dit-elle, détachant nettement chaque mot… je vous avertis que, si vous entrez à mon service, je ne tolérerai pas qu’on vous amène, chez moi, dans ma maison, votre fille… Pas d’allées et venues dans la maison… je ne veux pas d’allées et venues dans la maison… Non, non… Pas d’étrangers… pas de vagabonds… pas de gens qu’on ne connaît point… On est bien assez exposée avec le courant… Ah! non… merci!

Malgré cette déclaration peu engageante, la petite bonne osa pourtant demander:

– En ce cas, Madame me permettra bien d’aller voir ma fille, une fois… une seule fois… par an?

– Non…

Telle fut la réponse de l’implacable bourgeoise. Et elle ajouta:

– Chez moi, on ne sort jamais… C’est un principe de la maison… un principe sur lequel je ne saurais transiger… Je ne paie pas des domestiques pour que, sous prétexte de voir leurs filles, ils s’en aillent courir le guilledou. Ce serait trop commode, vraiment. Non… non… Vous avez des certificats?

– Oui, Madame.

Elle tira de sa poche un papier dans lequel étaient enveloppés des certificats jaunis, froissés, salis, et elle les tendit à Madame, silencieusement… d’une pauvre main frissonnante… Celle-ci, du bout des doigts, comme pour ne pas se salir, et avec des grimaces de dégoût, en déplia un qu’elle se mit à lire, à haute voix:

– «Je certifie que la fille J…

S’interrompant brusquement, elle dirigea d’atroces regards vers Jeanne, anxieuse et de plus en plus troublée:

– La fille?… Il y a bien la fille… Ah ça!… vous n’êtes donc pas mariée?… Vous avez un enfant… et vous n’êtes pas mariée?… Qu’est-ce que cela signifie?

La bonne expliqua:

– Je demande bien pardon à Madame… Je suis mariée depuis trois ans. Et ce certificat date de six ans… Madame peut voir…

– Enfin… c’est votre affaire…

Et elle reprit la lecture du certificat:

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