Octave Mirbeau - Le journal d’une femme de chambre

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Le journal d’une femme de chambre: краткое содержание, описание и аннотация

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Célestine entre dans sa nouvelle place de femme de chambre, en province, au service de M. et Mme Lanlaire et aux côtés de la cuisinière Marianne et du palefrenier Joseph. Elle se souvient de ses anciens maîtres, comme ce vieillard fasciné par les bottines, ou cette vieille femme qui va s'encanailler, ou encore cette épouse qui attend chaque nuit d'être honorée par son mari. Célestine est mise au courant de tous les ragots de la ville par les autres servantes: Madame est une femme acariâtre et Monsieur, coureur de jupons, se laisse dominer par elle. Leurs voisins – un vieux capitaine et sa servante, Rose, qui lui sert de maîtresse – les détestent. À la nouvelle de la mort de sa mère, Célestine se remémore son enfance et sa première expérience amoureuse. Monsieur entreprend Célestine, qui le repousse…

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Ou bien on ne s’était pas entendu sur le prix des gages:

– Ah!… non… des chipies!… Un sale bastringue… rien à gratter… Elle fait son marché elle-même… Oh! là! là!… quatre enfants dans la maison… Plus souvent!

Tout cela ponctué par des gestes furieux ou obscènes.

Nous y passions toutes, à tour de rôle, dans le bureau, appelées par la voix de plus en plus glapissante de M mePaulhat-Durand, dont les chairs cireuses, à la fin, verdissaient de colère… Moi, je voyais tout de suite à qui j’avais à faire et que la place ne pourrait pas me convenir… Alors, pour m’amuser, au lieu de subir leurs stupides interrogatoires, c’est moi qui les interrogeais les belles dames… Je me payais leur tête…

– Madame est mariée?

– Sans doute…

– Ah!… Et madame a des enfants?

– Certainement…

– Des chiens?

– Oui…

– Madame fait veiller la femme de chambre?

– Quand je sors le soir… évidemment…

– Et madame sort souvent le soir?

Ses lèvres se pinçaient… Elle allait répondre. Alors, la dévisageant avec un regard qui méprisait son chapeau, son costume, toute sa personne, je disais d’un ton bref et dédaigneux:

– Je le regrette… mais la place de Madame ne me plaît pas… Je ne vais pas dans des maisons, comme chez Madame…

Et je sortais triomphalement…

Un jour, une petite femme, les cheveux outrageusement teints, les lèvres passées au minium, les joues émaillées, insolente comme une pintade et parfumée comme un bidet, me demanda après trente six questions:

– Avez-vous de la conduite?… Recevez-vous des amants?

– Et Madame? répondis-je, sans m’étonner et très calme.

Quelques-unes, moins difficiles, ou plus lasses, ou plus timides, acceptaient des places infectes. On les huait.

– Bon voyage… Et à bientôt!…

À nous voir ainsi affalés sur les banquettes, veules, le corps tassé, les jambes écartées, songeuses, stupides ou bavardes… à entendre les successifs appels de la patronne. «Mademoiselle Victoire!… Mademoiselle Irène!… Mademoiselle Zulma!…» il me semblait, parfois, que nous étions en maison et que nous attendions le miché. Cela me parut drôle, ou triste, je ne sais pas bien, et j’en fis, un jour, la remarque tout haut… Ce fut un éclat de rire général. Chacune, immédiatement, conta ce qu’elle savait de précis et de merveilleux sur ces sortes d’établissements… Une grosse bouffie, qui épluchait une orange, exprima:

– Bien sûr que cela vaudrait mieux… On boulotte tout le temps, là dedans… Et du champagne, vous savez, Mesdemoiselles… et des chemises avec des étoiles d’argent… et pas de corset!

Une grande sèche, très noire de cheveux, les lèvres velues, et qui semblait très sale, dit:

– Et puis… ça doit être moins fatigant… Parce que, moi, dans la même journée, quand j’ai couché avec Monsieur, avec le fils de Monsieur… avec le concierge… avec le valet de chambre du premier… avec le garçon boucher… avec le garçon épicier… avec le facteur du chemin de fer… avec le gaz… avec l’électricité… et puis avec d’autres encore… eh bien, vous savez… j’en ai mon lot!…

– Oh! la sale! s’écria-t-on, de toutes parts.

– Avec ça!… Et vous autres, mes petits anges… Ah! malheur!… répliqua la grande noire, en haussant ses épaules pointues.

Et elle s’administra, sur la cuisse, une claque…

Je me rappelle que, ce jour-là, je pensai à ma sœur Louise enfermée sans doute dans une de ces maisons. J’évoquai sa vie heureuse peut-être, tranquille au moins, en tout cas sauvée de la misère et de la faim. Et, dégoûtée plus que jamais de ma jeunesse morne et battue, de mon existence errante, de ma terreur des lendemains, moi aussi, je songeai:

– Oui, peut-être que cela vaudrait mieux!…

Et le soir arrivait… puis la nuit… une nuit, à peine plus noire que le jour… Nous nous taisions, fatiguées d’avoir trop parlé, trop attendu… Un bec de gaz s’allumait dans le couloir… et, régulièrement, à cinq heures, par la vitre de la porte, on apercevait la silhouette un peu voûtée de M. Louis qui passait, très vite, en s’effaçant… C’était le signal du départ.

Souvent de vieilles racoleuses de maisons de passe, des maquerelles à l’air respectable et toutes pareilles, en douceur mielleuse, à des bonnes sœurs, nous attendaient à la sortie, sur le trottoir… Elles nous suivaient discrètement, et dans un coin plus sombre de la rue, derrière les obscurs massifs des Champs-Elysées, loin de la surveillance des sergents de ville, elles nous abordaient:

– Venez donc chez moi, au lieu de traîner votre pauvre vie d’embêtement en embêtement et de misère en misère. Chez moi, c’est le plaisir, le luxe, l’argent… c’est la liberté…

Éblouies par les promesses merveilleuses, plusieurs de mes petites camarades écoutèrent ces brocanteuses d’amour… Je les vis partir avec tristesse… Où sont-elles maintenant?…

Un soir, une de ces rôdeuses, grasse et molle, que j’avais déjà brutalement éconduite, parvint à m’entraîner dans un café du Rond-Point où elle m’offrit un verre de chartreuse. Je vois encore ses bandeaux grisonnants, sa sévère toilette de bourgeoise veuve, ses mains grassouillettes, visqueuses, chargées de bagues… Avec plus d’entrain, plus de conviction que les autres jours, elle me récita son boniment… Et comme je demeurais indifférente à toutes ses blagues:

– Ah! si vous vouliez, ma petite! s’écria-t-elle… Je n’ai pas besoin de vous regarder à deux fois pour voir combien vous êtes belle, de partout!… Et c’est un vrai crime de laisser en friche et de gaspiller avec des gens de maison une telle beauté!… Belle… et je suis sûre… polissonne comme vous êtes, votre fortune serait vite faite, allez! Ah! vous en auriez un sac, au bout de peu de temps!… C’est que, voyez-vous, j’ai une clientèle admirable… de vieux messieurs… très influents et très… très généreux… Le travail est quelquefois un peu dur… ça, je ne dis pas… Mais on gagne tant, tant d’argent!… Tout ce qu’il y a de mieux à Paris défile chez moi… des généraux illustres, des magistrats puissants… des ambassadeurs étrangers.

Elle se rapprocha de moi, baissant la voix…

– Et si je vous disais que le Président de la République lui-même… Mais oui, ma petite!… Ça vous donne une idée de ce qu’est ma maison… Il n’y en a pas une pareille dans le monde… La Rabineau, ça n’est rien à côté de ma maison… Et tenez, hier, à cinq heures, le Président était si content qu’il m’a promis les palmes académiques… pour mon fils, qui est chef du contentieux dans une maison d’éducation religieuse, à Auteuil. Ainsi…

Elle me regarda longtemps, me fouillant l’âme et la chair, et elle répéta:

– Ah! si vous vouliez!… Quel succès!…

Puis, sur un ton confidentiel:

– Il vient aussi chez moi, souvent, mystérieusement, des dames du plus grand monde… quelquefois seules, quelquefois avec leurs maris ou leurs amants. Ah! dame, vous comprenez, chez moi, il faut se mettre un peu à tout…

J’objectai un tas de choses, l’insuffisance de mon instruction amoureuse, le manque de lingerie de luxe, de toilettes… de bijoux… La vieille me rassura:

– Si ce n’est que ça!… dit-elle, il ne faut pas vous tourmenter… parce que, chez moi, la toilette, vous comprenez, c’est surtout la beauté naturelle… une bonne paire de bas, sans plus!…

– Oui… oui… je sais bien… mais encore…

– Je vous assure qu’il ne faut pas vous tourmenter… insista-t-elle avec bienveillance… Ainsi, j’ai des clients très chic, principalement les ambassadeurs… qui ont des manies… Dame! à leur âge et avec leur argent, n’est-ce pas?… Ce qu’ils préfèrent, ce qu’ils me demandent le plus, c’est des femmes de chambre, des soubrettes… une robe noire très collante… un tablier blanc… un petit bonnet de linge fin… Par exemple, des dessous riches… ça oui… Mais écoutez bien… Signez-moi un engagement de trois mois… et je vous donne un trousseau d’amour, tout ce qu’il y a de mieux, et comme les soubrettes du Théâtre-Français n’en ont jamais eu… ça, je vous en réponds…

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