Octave Mirbeau - Le journal d’une femme de chambre

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Le journal d’une femme de chambre: краткое содержание, описание и аннотация

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Célestine entre dans sa nouvelle place de femme de chambre, en province, au service de M. et Mme Lanlaire et aux côtés de la cuisinière Marianne et du palefrenier Joseph. Elle se souvient de ses anciens maîtres, comme ce vieillard fasciné par les bottines, ou cette vieille femme qui va s'encanailler, ou encore cette épouse qui attend chaque nuit d'être honorée par son mari. Célestine est mise au courant de tous les ragots de la ville par les autres servantes: Madame est une femme acariâtre et Monsieur, coureur de jupons, se laisse dominer par elle. Leurs voisins – un vieux capitaine et sa servante, Rose, qui lui sert de maîtresse – les détestent. À la nouvelle de la mort de sa mère, Célestine se remémore son enfance et sa première expérience amoureuse. Monsieur entreprend Célestine, qui le repousse…

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S’approchant de moi, il me saisit les mains:

– J’ai la tête dure, Célestine… ça, oui!… Mais ce qui est dedans, y est bien… On ne peut plus l’en retirer, après… Je rêve de vous, Célestine… de vous… dans le petit café…

Les manches de sa chemise sont retroussées, en bourrelets, jusqu’à la saignée: les muscles de ses bras, énormes, souples, huilés comme des bielles, faits pour toutes les étreintes, fonctionnent puissamment, allègrement, sous la peau blanche… Sur les avant-bras et de chaque côté des biceps, je vois des tatouages, cœurs enflammés, poignards croisés, au dessus d’un pot de fleurs… Une odeur forte de mâle, presque de fauve, monte de sa poitrine large et bombée comme une cuirasse… Alors, grisée par cette force et par cette odeur, je m’accote au chevalet où tout à l’heure, quand je suis venue, il frottait les cuivres des harnais… Ni M. Xavier, ni M. Jean, ni tous les autres, qui étaient, pourtant, jolis et parfumés, ne m’ont produit jamais une impression aussi violente que celle qui me vient de ce presque vieillard, à crâne étroit, à face de bête cruelle… Et, l’étreignant à mon tour, tâchant de faire fléchir, sous ma main, ses muscles durs et bandés comme de l’acier:

– Joseph… lui dis-je d’une voix défaillante… il faut se mettre ensemble, tout de suite… mon petit Joseph… Moi aussi, je rêve de vous… moi aussi, j’ai les sangs tournés de vous…

Mais Joseph, grave, paternel, répond:

– Ça ne se peut pas, maintenant, Célestine…

– Ah! tout de suite, Joseph, mon cher petit Joseph!…

Il se dégage de mon étreinte avec des mouvements doux.

– Si c’était seulement pour s’amuser, Célestine… bien sûr… Oui mais… c’est sérieux… c’est pour toujours… Il faut être sage… On ne peut pas faire ça… avant que le prêtre y passe…

Et nous restons, l’un devant l’autre, lui, les yeux brillants, la respiration courte… moi, les bras rompus, la tête bourdonnante… le feu au corps…

XV

20 novembre.

Joseph, ainsi qu’il était convenu, est parti hier matin pour Cherbourg. Quand je suis descendue, il n’est déjà plus là. Marianne, mal réveillée, les yeux bouffis, la gorge graillonnante, tire de l’eau à la pompe. Il y a encore, sur la table de la cuisine, l’assiette où Joseph vient de manger sa soupe, et le pichet de cidre vide… Je suis inquiète et, en même temps, je suis contente, car je sens bien que c’est seulement d’aujourd’hui que se prépare, enfin, pour moi, une vie nouvelle. Le jour se lève à peine, l’air est froid. Au delà du jardin, la campagne dort encore sous d’épais rideaux de brume. Et j’entends, au loin, venant de la vallée invisible, le bruit très faible d’un sifflet de locomotive. C’est le train qui emporte Joseph et ma destinée… Je renonce à déjeuner… il me semble que j’ai quelque chose de trop gros, de trop lourd, qui m’emplit l’estomac… Je n’entends plus le sifflet… La brume s’épaissit, gagne le jardin…

Et si Joseph n’allait plus jamais revenir?…

Toute la journée, j’ai été distraite, nerveuse, extrêmement agitée. Jamais la maison ne m’a été plus pesante, jamais les longs corridors ne m’ont paru plus mornes, d’un silence plus glacé; jamais je n’ai autant détesté le visage hargneux et la voix glapissante de Madame. Impossible de travailler… J’ai eu avec Madame une scène très violente, à la suite de laquelle j’ai bien cru que je serais obligée de partir… Et je me demande ce que je vais faire durant ces six jours, sans Joseph… Je redoute l’ennui d’être seule, aux repas, avec Marianne. J’aurais vraiment besoin d’avoir quelqu’un avec qui parler…

En général, dès que le soir arrive, Marianne, sous l’influence de la boisson, tombe dans un complet abrutissement… Son cerveau s’engourdit, sa langue s’empâte, ses lèvres pendent et luisent comme la margelle usée d’un vieux puits… et elle est triste, triste à pleurer… Je ne puis tirer d’elle que de petites plaintes, de petits cris, de petits vagissements d’enfant… Cependant, hier soir, moins ivre qu’à l’ordinaire, elle me confie, au milieu de gémissements qui n’en finissent pas, qu’elle a peur d’être enceinte… Marianne enceinte!… Ça, par exemple, c’est le comble… Mon premier mouvement est de rire… Mais j’éprouve, bientôt, une douleur vive, quelque chose comme un coup de fouet au creux de l’estomac… Si c’était de Joseph que Marianne fût enceinte?… Je me rappelle que, le jour de mon entrée ici, j’ai tout de suite soupçonné qu’ils pussent coucher ensemble… Mais ce soupçon stupide, rien depuis ne l’a justifié; au contraire… Non, non, c’est impossible… Si Joseph avait eu des relations d’amour avec Marianne, je l’aurais su… je l’aurais flairé… Non, cela n’est pas… cela ne peut pas être… Et puis, Joseph est bien trop artiste dans son genre… Je demande:

– Vous êtes sûre d’être enceinte, Marianne?

Marianne se tâte le ventre… ses gros doigts s’enfoncent, disparaissent dans les plis du ventre, comme dans un coussin de caoutchouc mal gonflé:

– Sûre?… Non… fait-elle… J’ai peur seulement.

– Et de qui pourriez-vous être enceinte, Marianne?

Elle hésite à répondre… puis, brusquement, avec une sorte de fierté, elle proclame:

– De Monsieur, donc!

Cette fois, j’ai failli étouffer de rire. Il ne manquait plus que ça à Monsieur… Ah! il est complet, Monsieur!… Marianne, qui croit que mon rire est de l’admiration, se met à rire, elle aussi…

– Oui… oui, de Monsieur!… répète-t-elle…

Mais comment se fait-il que je ne me sois aperçue de rien?… Comment!… Une telle chose, si comique, s’est passée, pour ainsi dire, sous mes yeux, et je n’en ai rien vu… rien soupçonné?… J’interroge Marianne, je la presse de questions… Et Marianne raconte avec complaisance, en se rengorgeant un peu:

– Il y a deux mois, Monsieur est entré dans la laverie où j’étais en train de laver la vaisselle du déjeuner. Il n’y avait pas longtemps que vous étiez arrivée ici… Et tenez, justement, Monsieur venait de causer avec vous, sur l’escalier. Quand il est entré dans la laverie, Monsieur faisait de grands gestes… soufflait très fort… avait les yeux rouges et hors la tête. J’ai cru qu’il allait tomber d’un coup de sang… Sans rien me dire, il s’est jeté sur moi, et j’ai bien vu de quoi il s’agissait… Monsieur, vous comprenez… je n’ai pas osé me défendre… Et puis, on a si peu d’occasions ici!… Ça m’a étonnée… mais ça m’a fait plaisir… Alors il est revenu, souvent… C’est un homme bien mignon… bien caressant…

– Bien cochon, hein, Marianne?

– Oh oui!… soupire-t-elle, les yeux pleins d’extase… Et bel homme!… Et tout!…

Sa grosse face molle continue de sourire bestialement… Et sous la camisole bleue débraillée, tachée de graisse et de charbon, ses deux seins se soulèvent, énormes, et roulent. Je lui demande encore:

– Êtes-vous contente au moins?

– Oui… je suis bien contente… réplique-t-elle. C’est-à-dire… je serais bien contente… si j’étais certaine de ne pas être enceinte… À mon âge… ce serait trop triste!

Je la rassure de mon mieux… et elle accompagne chacune de mes paroles d’un hochement de tête… Puis elle ajoute:

– C’est égal… pour être plus tranquille… j’irai voir madame Gouin, demain…

J’éprouve une vraie pitié pour cette pauvre femme dont le cerveau est si noir, dont les idées sont si obscures… Ah! qu’elle est mélancolique et lamentable!… Et que va-t-il lui arriver aussi, à celle-là?… Chose extraordinaire, l’amour ne lui a pas donné un rayonnement… une grâce… Elle n’a pas ce halo de lumière que la volupté met autour des visages les plus laids… Elle est restée la même… lourde, molle et tassée… Et pourtant je suis presque heureuse que ce bonheur, qui a dû ranimer un peu sa grosse chair depuis si longtemps privée des caresses d’un homme, lui vienne de moi… Car, c’est après avoir excité ses désirs sur moi, que Monsieur est allé les assouvir, salement, sur cette triste créature… Je lui dis affectueusement:

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