Octave Mirbeau - Le journal d’une femme de chambre

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Le journal d’une femme de chambre: краткое содержание, описание и аннотация

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Célestine entre dans sa nouvelle place de femme de chambre, en province, au service de M. et Mme Lanlaire et aux côtés de la cuisinière Marianne et du palefrenier Joseph. Elle se souvient de ses anciens maîtres, comme ce vieillard fasciné par les bottines, ou cette vieille femme qui va s'encanailler, ou encore cette épouse qui attend chaque nuit d'être honorée par son mari. Célestine est mise au courant de tous les ragots de la ville par les autres servantes: Madame est une femme acariâtre et Monsieur, coureur de jupons, se laisse dominer par elle. Leurs voisins – un vieux capitaine et sa servante, Rose, qui lui sert de maîtresse – les détestent. À la nouvelle de la mort de sa mère, Célestine se remémore son enfance et sa première expérience amoureuse. Monsieur entreprend Célestine, qui le repousse…

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Cette joie, désobligeante pour la mémoire de Rose, me paraît maintenant très comique. J’excite le capitaine aux confidences… Et je lui dis, sur un ton de reproche:

– Capitaine… je crois que vous n’êtes pas juste pour Rose.

– Tiens… parbleu!… riposte-t-il vivement… Vous ne savez pas, vous… vous ne savez rien… Elle n’allait pas vous raconter toutes les scènes qu’elle me faisait… sa tyrannie… sa jalousie… son égoïsme. Rien ne m’appartenait plus ici… tout était à elle, chez moi… Ainsi, vous ne le croiriez pas?… Mon fauteuil Voltaire… je ne l’avais plus… plus jamais. C’est elle qui le prenait tout le temps… Elle prenait tout, du reste… c’est bien simple… Quand je pense que je ne pouvais plus manger d’asperges à l’huile… parce qu’elle ne les aimait pas!… Ah! elle a bien fait de mourir… C’est ce qui pouvait lui arriver de mieux… car, d’une manière comme de l’autre… je ne l’aurais pas gardée… non, non, foutre!… je ne l’aurais pas gardée. Elle m’excédait, là!… J’en avais plein le dos… Et je vais vous dire… si j’étais mort avant elle, Rose eût été joliment attrapée, allez!… Je lui en réservais une qu’elle eût trouvée amère… Je vous en réponds!…

Sa lèvre se plisse dans un sourire qui finit en atroce grimace… Il continue, en coupant chacun de ses mots de petits pouffements humides:

– Vous savez que j’avais rédigé un testament où je lui donnais tout… maison… argent… rentes… tout? Elle a dû vous le dire… elle le disait à tout le monde… Oui, mais ce qu’elle ne vous a pas dit, parce qu’elle l’ignorait, c’est que, deux mois après, j’avais fait un second testament qui annulait le premier… et où je ne lui donnais plus rien… foutre!… pas ça…

N’y tenant plus, il éclate de rire… d’un rire strident qui s’éparpille dans le jardin, comme un vol de moineaux piaillants… Et il s’écrie:

– Ça, c’est une idée, hein?… Oh! sa tête – la voyez-vous d’ici – en apprenant que ma petite fortune… pan… je la léguais à l’Académie française… Car, ma chère demoiselle Célestine… c’est vrai… ma fortune, je la léguais à l’Académie française… Ça, c’est une idée…

Je laisse son rire se calmer, et, gravement, je lui demande:

– Et maintenant, capitaine, qu’allez-vous faire?

Le capitaine me regarde longuement, me regarde malicieusement, me regarde amoureusement… et il dit:

– Eh bien, voilà?… Ça dépend de vous…

– De moi?…

– Oui, de vous, de vous seule.

– Et comment ça?…

Un petit silence encore, durant lequel, le mollet tendu, la taille redressée, la barbiche tordue et pointante, il cherche à m’envelopper d’un fluide séducteur.

– Allons… fait-il, tout d’un coup… allons droit au but… Parlons carrément… en soldat… Voulez-vous prendre la place de Rose?… Elle est à vous…

J’attendais l’attaque. Je l’avais vue venir du plus lointain de ses yeux… Elle ne me surprend pas… Je lui oppose un visage sérieux, impassible.

– Et les testaments, capitaine?

– Je les déchire, nom de Dieu!

J’objecte:

– Mais, je ne sais pas faire la cuisine…

– Je la ferai, moi… je ferai mon lit… le vôtre, foutre!… je ferai tout…

Il devient galant, égrillard; son œil s’émerillonne… Il est heureux pour ma vertu que la haie me sépare de lui; sans quoi, je suis sûre qu’il se jetterait sur moi…

– Il y a cuisine et cuisine… crie-t-il d’une voix rauque et pétaradante à la fois… Celle que je vous demande… ah! Célestine, je parie que vous savez la faire… que vous savez y mettre des épices, foutre!… Ah! nom d’un chien…

Je souris ironiquement et, le menaçant du doigt, comme on fait d’un enfant:

– Capitaine… capitaine… vous êtes un petit cochon!

– Non pas un petit!… réclame-t-il orgueilleusement… un gros… un très gros… foutre!… Et puis… il y a autre chose… Il faut que je vous le dise…

Il se penche vers la haie, tend le col… Ses yeux s’injectent de sang. Et d’une voix plus basse il dit:

– Si vous veniez chez moi, Célestine… eh bien…

– Eh bien, quoi?…

– Eh bien, les Lanlaire crèveraient de fureur, ah!… Ça, c’est une idée!

Je me tais et fais semblant de rêver à des choses profondes… Le capitaine s’impatiente… s’énerve… Il creuse le sable de l’allée, sous le talon de ses chaussures:

– Voyons, Célestine… Trente-cinq francs par mois… la table du maître… la chambre du maître, foutre!… un testament… Ça vous va-t-il?… Répondez-moi…

– Nous verrons plus tard… Mais prenez en une autre, en attendant, foutre!…

Et je me sauve pour ne pas lui souffler dans la figure la tempête de rires qui gronde en ma gorge.

Je n’ai donc que l’embarras du choix… Le capitaine ou Joseph?… Vivre à l’état de servante maîtresse avec tous les aléas qu’un tel état comporte, c’est-à-dire rester encore à la merci d’un homme stupide, grossier, changeant, et sous la dépendance de mille circonstances fâcheuses et de mille préjugés?… Ou bien me marier et acquérir ainsi une sorte de liberté régulière et respectée, dans une situation exempte du contrôle des autres, libérée du caprice des événements?… Voilà enfin une partie de mon rêve qui se réalise…

Il est bien évident que cette réalisation, j’aurais pu la souhaiter plus grandiose… Mais, à voir combien peu de chances s’offrent, en général, dans l’existence d’une femme comme moi, je dois me féliciter qu’il m’arrive enfin quelque chose d’autre que cet éternel et monotone ballottement d’une maison à une autre, d’un lit à un autre, d’un visage à un autre visage…

Naturellement, j’écarte tout de suite la combinaison du capitaine… Je n’avais d’ailleurs pas besoin de cette dernière conversation avec lui, pour savoir quelle espèce de grotesque et sinistre fantoche, quel exemplaire d’humanité baroque il représente… Outre que sa laideur physique est totale, car rien ne la relève et ne la corrige, il ne donne aucune prise sur son âme… Rose croyait fermement sa domination assurée sur cet homme, et cet homme la roulait!… On ne domine pas le néant, on n’a pas d’action sur le vide… Je ne puis non plus, sans suffoquer de rire, songer un seul instant à l’idée que ce personnage ridicule me tienne dans ses bras, et que je le caresse… Ce n’est même pas du dégoût que j’éprouve, car le dégoût suppose la possibilité d’un accomplissement. Or, j’ai la certitude que cet accomplissement ne peut pas être… Si par un prodige, par un miracle, il se trouvait que je tombasse dans son lit, je suis sûre que ma bouche serait toujours séparée de la sienne par un inextinguible rire. Amour ou plaisir, veulerie ou pitié, vanité ou intérêt, j’ai couché avec bien des hommes… Cela me paraît, du reste, un acte normal, naturel, nécessaire… Je n’en ai nul remords, et il est bien rare que je n’y aie pas goûté une joie quelconque… Mais un homme d’un ridicule aussi incomparable que le capitaine, je suis sûre que cela ne peut pas arriver, ne peut pas physiquement arriver… Il me semble que ce serait quelque chose contre nature… quelque chose de pire que le chien de Cléclé… Eh bien, malgré cela, je suis contente… et j’en éprouve presque de l’orgueil… De si bas qu’il vienne, c’est tout de même un hommage, et cet hommage me donne davantage confiance en moi-même et en ma beauté…

À l’égard de Joseph, mes sentiments sont tout autres. Joseph a pris possession de ma pensée. Il la retient, il la captive, il l’obsède… Il me trouble, m’enchante et me fait peur, tour à tour. Certes, il est laid, brutalement, horriblement laid, mais, quand on décompose cette laideur, elle a quelque chose de formidable qui est presque de la beauté, qui est plus que la beauté, qui est au-dessus de la beauté, comme un élément. Je ne me dissimule pas la difficulté, le danger de vivre, mariée ou non, avec un tel homme dont il m’est permis de tout soupçonner et dont, en réalité, je ne connais rien… Et c’est ce qui m’attire vers lui avec la violence d’un vertige… Au moins, celui-là est capable de beaucoup de choses dans le crime, peut-être, et peut-être aussi dans le bien… Je ne sais pas… Que veut-il de moi?… que fera-t-il de moi?… Serais-je l’instrument inconscient de combinaisons que j’ignore… le jouet de ses passions féroces?… M’aime-t-il seulement… et pourquoi m’aime-t-il?… Pour ma gentillesse… pour mes vices… pour mon intelligence… pour ma haine des préjugés, lui qui les affiche tous?… Je ne sais pas… Outre cet attrait de l’inconnu et du mystère, il exerce sur moi ce charme âpre, puissant, dominateur, de la force. Et ce charme – oui ce charme – agit de plus en plus sur mes nerfs, conquiert ma chair passive et soumise. Près de Joseph, mes sens bouillonnent, s’exaltent, comme ils ne se sont jamais exaltés au contact d’un autre mâle. C’est en moi un désir plus violent, plus sombre, plus terrible même que le désir qui, pourtant, m’emporta jusqu’au meurtre, dans mes baisers avec M. Georges… C’est autre chose que je ne puis définir exactement, qui me prend tout entière, par l’esprit et par le sexe, qui me révèle des instincts que je ne me connaissais pas, instincts qui dormaient en moi, à mon insu, et qu’aucun amour, aucun ébranlement de volupté n’avait encore réveillés… Et je frémis de la tête aux pieds quand je me rappelle les paroles de Joseph, me disant:

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