Octave Mirbeau - Le journal d’une femme de chambre

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Le journal d’une femme de chambre: краткое содержание, описание и аннотация

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Célestine entre dans sa nouvelle place de femme de chambre, en province, au service de M. et Mme Lanlaire et aux côtés de la cuisinière Marianne et du palefrenier Joseph. Elle se souvient de ses anciens maîtres, comme ce vieillard fasciné par les bottines, ou cette vieille femme qui va s'encanailler, ou encore cette épouse qui attend chaque nuit d'être honorée par son mari. Célestine est mise au courant de tous les ragots de la ville par les autres servantes: Madame est une femme acariâtre et Monsieur, coureur de jupons, se laisse dominer par elle. Leurs voisins – un vieux capitaine et sa servante, Rose, qui lui sert de maîtresse – les détestent. À la nouvelle de la mort de sa mère, Célestine se remémore son enfance et sa première expérience amoureuse. Monsieur entreprend Célestine, qui le repousse…

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– Puisque je ne le connais pas.

– Tu m’épates!… Tout le monde le connaît, voyons… Le biscuit Fumeau, ah?… Celui qui a eu son conseil judiciaire, il y a deux mois?… Y es-tu?

– Pas du tout, je vous jure, monsieur Xavier.

– N’importe, petite dinde!… Eh bien, j’en ai fait une bonne avec Fumeau, l’année dernière… une très bonne… Devine quoi?… Tu ne devines pas?

– Comment voulez-vous que je devine, puisque je ne le connais pas?…

– Eh bien, voilà, mon petit bébé… Fumeau, je l’ai mis avec ma mère… Parole!… C’était trouvé, hein?… Et le plus drôle, c’est que maman, en deux mois, a fait casquer Fumeau de trois cent mille balles… Et papa donc, pour ses œuvres!… Ah! ils ont le truc!… Ils la connaissent!… Sans ça, la maison sautait. On était à bout de dettes… Les curés eux-mêmes ne voulaient plus rien savoir… Qu’est-ce que tu dis de ça, toi?

– Je dis, monsieur Xavier, que vous avez une drôle de façon de traiter la famille.

– Que veux-tu? mon chou… je suis anarchiste, moi… La famille, j’en ai soupé…

Pendant ce temps-là, il avait dégrafé mon corsage, un ancien corsage de Madame qui me seyait à ravir…

– Oh! monsieur Xavier… monsieur Xavier… vous êtes une petite canaille… C’est très mal.

J’essayais, pour la forme, de me défendre. Tout à coup, il mit, doucement, sa main sur ma bouche:

– Tais-toi! fit-il.

Et me renversant sur le lit:

– Oh! comme tu sens bon! chuchota-t-il… Petite putain, tu sens maman…

Ce matin-là, Madame fut particulièrement gentille avec moi…

– Je suis très contente de votre service, me dit-elle… Mary, je vous augmente de dix francs.

– Si, chaque fois, elle m’augmente de dix francs?… songeai-je… Alors, ça va bien… C’est plus convenable…

Ah! quand je pense à tout cela… Moi aussi, j’en ai soupé…

La passion ou plutôt la toquade de M. Xavier ne dura pas longtemps. Il eut vite «soupé de moi». Pas une minute, du reste, je n’avais eu le pouvoir de le retenir à la maison. Plusieurs fois, en entrant dans sa chambre, le matin, je trouvai la couverture intacte et le lit vide. M. Xavier n’était pas rentré de la nuit. La cuisinière le connaissait bien et elle avait dit vrai: «Il aime mieux les cocottes, cet enfant…» Il allait à ses habitudes, à ses plaisirs coutumiers, à ses noces, comme auparavant… Ces matins-là, j’éprouvais au cœur un serrement douloureux, et, toute la journée, j’étais triste, triste!…

Le malheur, en tout cela, est que M. Xavier n’avait point de sentiment… Il n’était pas poétique comme M. Georges. En dehors de «la chose», je n’existais pas pour lui, et «la chose» faite… va te promener… il ne m’accordait plus la moindre attention. Jamais il ne m’adressa une parole émue, gentille, comme en ont les amoureux dans les livres et dans les drames. D’ailleurs il n’aimait rien de ce que j’aimais… il n’aimait pas les fleurs, à l’exception des gros œillets dont il parait la boutonnière de son habit… C’est si bon, pourtant, de ne pas toujours penser à la bagatelle, de se murmurer des choses qui caressent le cœur, d’échanger des baisers désintéressés, de se regarder, durant des éternités, dans les yeux… Mais les hommes sont des êtres trop grossiers… ils ne sentent pas ces joies-là… ces joies si pures et si bleues… Et c’est grand dommage… M. Xavier, lui, ne connaissait que le vice, ne trouvait de plaisir que dans la débauche… En amour, tout ce qui n’était pas vice et débauche le rasait.

– Ah! non… tu sais… c’est rasant… J’en ai soupé de la poésie… La petite fleur bleue… faut laisser ça à papa…

Quand il s’était assouvi, je redevenais instantanément la créature impersonnelle, la domestique à qui il donnait des ordres et qu’il rudoyait de son autorité de maître, de sa blague cynique de gamin. Je passais sans transition de l’état de bête d’amour à l’état de bête de servage… Et il me disait souvent, avec un rire du coin de la bouche, un affreux rire en scie qui me froissait, m’humiliait:

– Et papa?… Vrai?… tu n’as pas encore couché avec papa?… Tu m’étonnes…

Une fois, je n’eus pas la force de dissimuler mes larmes… elles m’étouffaient. M. Xavier se fâcha:

– Ah! non… tu sais… Ça, c’est le comble du rasoir… Des larmes, des scènes?… Faut rentrer ça, mon chou… ou sinon, bonsoir… J’en ai soupé de ces bêtises-là…

Moi, quand je suis encore sous le frisson du bonheur, j’aime à retenir dans mes bras longtemps, longtemps, le petit homme qui me l’a donné… Après les secousses de la volupté, j’ai besoin – un besoin immense, impérieux – de cette détente chaste, de cette pure étreinte, de ce baiser qui n’est plus la morsure sauvage de la chair, mais la caresse idéale de l’âme… J’ai besoin de monter de l’enfer de l’amour, de la frénésie du spasme, dans le paradis de l’extase… dans la plénitude, dans le silence délicieux et candide de l’extase… M. Xavier, lui, avait soupé de l’extase… Tout de suite, il s’arrachait à mes bras, à cette étreinte, à ce baiser qui lui devenait physiquement intolérable. Il semblait vraiment que nous n’eussions rien mêlé de nous en nous… que nos sexes, que nos bouches, que nos âmes n’eussent pas été un instant confondus dans le même cri, dans le même oubli, dans la même mort merveilleuse. Et, voulant le retenir sur ma poitrine, entre mes jambes nerveusement nouées aux siennes, il se dégageait, me repoussait brutalement, sautait du lit:

– Ah! non… tu sais… Elle est mauvaise…

Et il allumait une cigarette…

Rien ne m’était pénible comme de voir que je n’eusse pas laissé la moindre trace d’affection, pas la plus petite tendresse dans son cœur, bien que je me pliasse à tous les caprices de sa luxure, que j’acceptasse à l’avance, que je devançasse même toutes ses fantaisies… Et Dieu sait, s’il en avait d’extraordinaires, Dieu sait s’il en avait d’effrayantes!… Ce qu’il était corrompu, ce morveux!… Pire qu’un vieux… plus inventif et plus féroce dans la débauche qu’un sénile impuissant ou un prêtre satanique.

Cependant, je crois que je l’aurais aimé, la petite canaille, que je me serais dévouée à lui, malgré tout, comme une bête… Aujourd’hui, encore, je songe avec des regrets à sa frimousse effrontée, cruelle et jolie… à sa peau parfumée… à tout ce que sa luxure avait d’atroce et d’exaltant, tour à tour… Et j’ai souvent sur mes lèvres, où tant de lèvres depuis auraient dû l’effacer, le goût acide, la brûlure de son baiser… Ah! monsieur Xavier… monsieur Xavier!

Un soir, avant le dîner, comme il rentrait pour s’habiller – Dieu qu’il était gentil en habit! – et que je disposais avec soin ses affaires dans le cabinet de toilette, il me demanda sans un embarras, sans une hésitation, presque sur un ton impératif, de même qu’il m’eût demandé de l’eau chaude:

– Est-ce que tu as cinq louis?… J’ai absolument besoin de cinq louis, ce soir. Je te les rendrai demain…

Précisément, Madame m’avait payé mes gages le matin… Le savait-il?

– Je n’ai que quatre-vingt-dix francs, répondis-je, un peu honteuse, honteuse de sa demande, peut-être… honteuse surtout, je crois, de ne pas posséder toute la somme qu’il me demandait:

– Ça ne fait rien… dit-il… va me chercher ces quatre-vingt-dix francs… Je te les rendrai demain…

Il prit l’argent, me remercia par un: «C’est bon!» sec et bref, qui me glaça le cœur. Puis, me tendant son pied, d’un mouvement brutal…

– Noue les cordons de mes souliers… ordonna-t-il, insolemment… Vite, je suis pressé…

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