Жорж Санд - Consuelo
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de votre courroux? Et qu'ai-je fait, malheureux que je suis, pour vous
déplaire? Hélas! j'ai fait un rêve délicieux et funeste! je me suis
imaginé tout un soir que vous preniez quelque intérêt à moi, et que je
grandirais sous votre protection. Et voilà que je suis l'objet de votre
mépris et de votre haine, moi qui vous ai aimée et respectée au point de
vous fuir! Eh bien, madame, contentez votre aversion. Faites-moi tomber,
perdez-moi, fermez-moi la carrière. Pourvu qu'ici en secret vous me
disiez que je ne vous suis point odieux, j'accepterai les marques
publiques de votre courroux.
--Serpent que tu es, s'écria la Corilla, où as-tu sucé le poison de la
flatterie que ta langue et tes yeux distillent? Je donnerais beaucoup
pour te connaître et te comprendre; mais je te crains, car tu es le plus
aimable des amants ou le plus dangereux des ennemis.
--Moi, votre ennemi! Et comment oserais-je jamais me poser ainsi, quand
même je ne serais pas subjugué par vos charmes? Est-ce que vous avez des
ennemis, divine Corilla? Est-ce que vous pouvez en avoir à Venise, où
l'on vous connaît et où vous avez toujours régné sans partage? Une
querelle d'amour jette le comte dans un dépit douloureux. Il veut vous
éloigner, il veut cesser de souffrir. Il rencontre sur son chemin une
petite fille qui semble montrer quelques moyens et qui ne demande pas
mieux que de débuter. Est-ce un crime de la part d'une pauvre enfant qui
n'entend prononcer votre nom illustre qu'avec terreur, et qui ne le
prononce elle-même qu'avec respect? Vous attribuez à cette pauvrette des
prétentions insolentes qu'elle ne saurait avoir. Les efforts du comte
pour la faire goûter à ses amis, l'obligeance de ces mêmes amis qui vont
exagérant son mérite, l'amertume des vôtres qui répandent des calomnies
pour vous aigrir et vous affliger, tandis qu'ils devraient rendre le
calme à votre belle âme en vous montrant votre gloire inattaquable et
votre rivale tremblante; voilà les causes de ces préventions que je
découvre en vous, et dont je suis si étonné, si stupéfait, que je sais à
peine comment m'y prendre pour les combattre.
--Tu ne le sais que trop bien, langue maudite, dit la Corilla en le
regardant avec un attendrissement voluptueux, encore mêlé de défiance;
j'écoute tes douces paroles, mais ma raison me dit encore de te
redouter. Je gage que cette Consuelo est divinement belle, quoiqu'on
m'ait dit le contraire, et qu'elle a du mérite dans un certain genre
opposé au mien, puisque le Porpora, que je connais si sévère, le
proclame hautement.
--Vous connaissez le Porpora? donc vous savez ses bizarreries, ses
manies, on peut dire. Ennemi de toute originalité chez les autres et de
toute innovation dans l'art du chant, qu'une petite élève soit bien
attentive à ses radotages, bien soumise à ses pédantesques leçons, le
voilà qui, pour une gamme vocalisée proprement, déclare que cela est
préférable à toutes les merveilles que le public idolâtre. Depuis quand
vous tourmentez-vous des lubies de ce vieux fou?
--Elle est donc sans talent?
--Elle a une belle voix, et chante honnêtement à l'église; mais elle ne
doit rien savoir du théâtre, et quant à la puissance qu'il y faudrait
déployer, elle est tellement paralysée par la peur, qu'il est fort à
craindre qu'elle y perde le peu de moyens que le ciel lui a donnés.
--Elle a peur! On m'a dit qu'elle était au contraire d'une rare
impudence.
--Oh! la pauvre fille! hélas, on lui en veut donc bien? Vous
l'entendrez, divine Corilla, et vous serez émue d'une noble pitié, et
vous l'encouragerez au lieu de la faire siffler, comme vous le disiez en
raillant tout à l'heure.
--Ou tu me trompes, ou mes amis m'ont bien trompée sur son compte.
--Vos amis se sont laissé tromper eux-mêmes. Dans leur zèle indiscret,
ils se sont effrayés de vous voir une rivale: effrayés d'un enfant!
effrayés pour vous! Ah! que ces gens-là vous aiment mal, puisqu'ils vous
connaissent si peu! Oh! si j'avais le bonheur d'être votre ami, je
saurais mieux ce que vous êtes, et je ne vous ferais pas l'injure de
m'effrayer pour vous d'une rivalité quelconque, fût-ce celle d'une
Faustina ou d'une Molteni.
--Ne crois pas que j'aie été effrayée. Je ne suis ni jalouse ni
méchante; et les succès d'autrui n'ayant jamais fait de tort aux miens,
je ne m'en suis jamais affligée. Mais quand je crois qu'on veut me
braver et me faire souffrir....
--Voulez-vous que j'amène la petite Consuelo à vos pieds? Si elle l'eût
osé, elle serait venue déjà vous demander votre appui et vos conseils.
Mais c'est un enfant si timide! Et puis, on vous a calomniée aussi
auprès d'elle. A elle aussi on est venu dire que vous étiez cruelle,
vindicative, et que vous comptiez la faire tomber.
--On lui a dit cela? En ce cas je comprends pourquoi tu es ici.
--Non, madame, vous ne le comprenez pas; car je ne l'ai pas cru un
instant, je ne le croirai jamais. Oh! non, madame! vous ne me comprenez
pas!»
En parlant ainsi, Anzoleto fit scintiller ses yeux noirs, et fléchit le
genou devant la Corilla avec une expression de langueur et d'amour
incomparable.
La Corilla n'était pas dépourvue de malice et de pénétration; mais,
comme il arrive aux femmes excessivement éprises d'elles-mêmes, la
vanité lui mettait souvent un épais bandeau sur les yeux, et la faisait
tomber dans des pièges fort grossiers. D'ailleurs elle était d'humeur
galante. Anzoleto était le plus beau garçon qu'elle eût jamais vu. Elle
ne put résister à ses mielleuses paroles, et peu à peu, après avoir
goûté avec lui le plaisir de la vengeance, elle s'attacha à lui par les
plaisirs de la possession. Huit jours après cette première entrevue,
elle en était folle, et menaçait à tout moment de trahir le secret de
leur intimité par des jalousies et des emportements terribles. Anzoleto,
épris d'elle aussi d'une certaine façon (sans que son coeur pût réussir
à être infidèle à Consuelo), était fort effrayé du trop rapide et trop
complet succès de son entreprise. Cependant il se flattait de la dominer
assez longtemps pour en venir à ses fins, c'est-à-dire pour l'empêcher
de nuire à ses débuts et au succès de Consuelo. Il déployait avec elle
une grande habileté, et possédait l'art d'exprimer le mensonge avec un
air de vérité diabolique. Il sut l'enchaîner, la persuader, et la
réduire; il vint à bout de lui faire croire que ce qu'il aimait
par-dessus tout dans une femme c'était la générosité, la douceur et la
droiture; et il lui traça finement le rôle qu'elle avait à jouer devant
le public avec Consuelo, si elle ne voulait être haïe et méprisée par
lui-même. Il sut être sévère avec tendresse; et, masquant la menace sous
la louange, il feignit de la prendre pour un ange de bonté. La pauvre
Corilla avait joué tous les rôles dans son boudoir, excepté celui-là; et
celui-là, elle l'avait toujours mal joué sur la scène. Elle s'y soumit
pourtant, dans la crainte de perdre des voluptés dont elle n'était pas
encore rassasiée, et que, sous divers prétextes, Anzoleto sut lui
ménager et lui rendre désirables. Il lui fit croire que le comte était
toujours épris d'elle, malgré son dépit, et secrètement jaloux en se
vantant du contraire.
«S'il venait à découvrir le bonheur que je goûte près de toi, lui
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