Жорж Санд - Consuelo

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Stefanini pour achever le rôle, un cahier à la main. La toile se releva,

et tout fut oublié lorsqu'on vit revenir Consuelo aussi calme et aussi

sublime qu'au commencement. Quoique son rôle ne fût pas extrêmement

tragique, elle le rendit tel par la puissance de son jeu et l'expression

de son chant. Elle fit verser des larmes; et quand le ténor reparut, sa

mince égratignure n'excita qu'un sourire. Mais cet incident ridicule

empêcha cependant son succès d'être aussi brillant qu'il eût pu l'être;

et tous les honneurs de la soirée demeurèrent à Consuelo, qui fut encore

rappelée et applaudie à la fin avec frénésie.

Après le spectacle on alla souper au palais Zustiniani, et Anzoleto

oublia la Corilla qu'il avait enfermée dans sa loge, et qui fut forcée

d'en sortir avec effraction. Dans le tumulte qui suit dans l'intérieur

du théâtre une représentation aussi brillante, on ne s'aperçut guère de

sa retraite. Mais le lendemain cette porte brisée vint coïncider avec le

coup de griffe reçu par Anzoleto, et c'est ainsi qu'on fut sur la voie

de l'intrigue qu'il avait jusque là cachée si soigneusement.

A peine était-il assis au somptueux banquet que donnait le comte en

l'honneur de Consuelo, et tandis que tous les abbés de la littérature

vénitienne débitaient à la triomphatrice les sonnets et madrigaux

improvisés de la veille, un valet glissa sous l'assiette d'Anzoleto un

petit billet de la Corilla, qu'il lut à la dérobée, et qui était ainsi

conçu:

«Si tu ne viens me trouver à l'instant même, je vais te chercher et

faire un éclat, fusses-tu au bout du monde, fusses-tu dans les bras de

ta Consuelo, trois fois maudite.»

Anzoleto feignit d'être pris d'une quinte de toux, et sortit pour écrire

cette réponse au crayon sur un bout de papier réglé arraché dans

l'antichambre à un cahier de musique:

«Viens si tu veux; mon couteau est toujours prêt, et avec lui mon mépris

et ma haine.»

Le despote savait bien qu'avec une nature comme celle à qui il avait

affaire, la peur était le seul frein, la menace le seul expédient du

moment. Mais, malgré lui, il fut sombre et distrait durant la fête; et

lorsqu'on se leva de table, il s'esquiva pour courir chez la Corilla.

Il trouva cette malheureuse fille dans un état digne de pitié. Aux

convulsions avaient succédé des torrents de larmes; elle était assise à

sa fenêtre, échevelée, les yeux meurtris de sanglots; et sa robe,

qu'elle avait déchirée de rage, tombait en lambeaux sur sa poitrine

haletante. Elle renvoya sa soeur et sa femme de chambre; et, malgré

elle, un éclair de joie ranima ses traits en se trouvant auprès de celui

qu'elle avait craint de ne plus revoir. Mais Anzoleto la connaissait

trop pour chercher à la consoler. Il savait bien qu'au premier

témoignage de pitié ou de repentir, il verrait sa fureur se réveiller et

abuser de la vengeance. Il prit le parti de persévérer dans son rôle de

dureté inflexible; et bien qu'il fût touché de son désespoir, il

l'accabla des plus cruels reproches, et lui déclara qu'il venait lui

faire d'éternels adieux. Il l'amena à se jeter à ses pieds, à se traîner

sur ses genoux jusqu'à la porte et à implorer son pardon dans l'angoisse

d'une mortelle douleur. Quand il l'eut ainsi brisée et anéantie, il

feignit de se laisser attendrir; et tout éperdu d'orgueil et de je ne

sais quelle émotion fougueuse, en voyant cette femme si belle et si

fière se rouler devant lui dans la poussière comme une Madeleine

pénitente, il céda à ses transports et la plongea dans de nouvelles

ivresses. Mais en se familiarisant avec cette lionne domptée, il

n'oublia pas un instant que c'était une bête féroce, et garda jusqu'au

bout l'attitude d'un maître offensé qui pardonne.

L'aube commençait à poindre lorsque cette femme, enivrée et avilie,

appuyant son bras de marbre sur le balcon humide du froid matinal et

ensevelissant sa face pâle sous ses longs cheveux noirs, se mit à se

plaindre d'une voix douce et caressante des tortures que son amour lui

faisait éprouver.

«Eh bien, oui, lui dit-elle, je suis jalouse, et si tu le veux

absolument, je suis pis que cela, je suis envieuse. Je ne puis voir ma

gloire de dix années éclipsée en un instant par une puissance nouvelle

qui s'élève et devant laquelle une foule oublieuse et cruelle m'immole

sans ménagement et sans regret. Quand tu auras connu les transports du

triomphe et les humiliations de la décadence, tu ne seras plus si

exigeant et si austère envers toi-même que tu l'es aujourd'hui envers

moi. Je suis encore puissante, dis-tu; comblée de vanités, de succès, de

richesses, et d'espérances superbes, je vais voir de nouvelles contrées,

subjuguer de nouveaux amants, charmer un peuple nouveau. Quand tout cela

serait vrai, crois-tu que quelque chose au monde puisse me consoler

d'avoir été abandonnée de tous mes amis, chassée de mon trône, et d'y

voir monter devant moi une autre idole? Et cette honte, la première de

ma vie, la seule dans toute ma carrière, elle m'est infligée sous tes

yeux; que dis-je! elle m'est infligée par toi; elle est l'ouvrage de mon

amant, du premier homme que j'aie aimé lâchement, éperdument! Tu dis

encore que je suis fausse et méchante, que j'ai affecté devant toi une

grandeur hypocrite, une générosité menteuse; c'est toi qui l'as voulu

ainsi, Anzoleto. J'étais offensée, tu m'as prescrit de paraître

tranquille, et je me suis tenue tranquille; j'étais méfiante, tu m'as

commandé de te croire sincère, et j'ai cru en toi; j'avais la rage et la

mort dans l'âme, tu m'as dit de sourire, et j'ai souri; j'étais furieuse

et désespérée, tu m'as ordonné de garder le silence, et je me suis tue.

Que pouvais-je faire de plus que de m'imposer un caractère qui n'était

pas le mien, et de me parer d'un courage qui m'est impossible? Et quand

ce courage m'abandonne, quand ce supplice devient intolérable, quand je

deviens folle et que mes tortures devraient briser ton coeur, tu me

foules aux pieds, et tu veux m'abandonner mourante dans la fange où tu

m'as plongée! Anzoleto, vous avez un coeur de bronze, et moi je suis

aussi peu de chose que le sable des grèves qui se laisse tourmenter et

emporter par le flot rongeur. Ah! gronde-moi, frappe-moi, outrage-moi,

puisque c'est le besoin de ta force; mais plains-moi du moins au fond de

ton âme; et à la mauvaise opinion que tu as de moi, juge de l'immensité

de mon amour, puisque je souffre tout cela et demande à le souffrir

encore.

«Mais écoute, mon ami, lui dit-elle avec plus de douceur et en

l'enlaçant dans ses bras: ce que tu m'as fait souffrir n'est rien auprès

de ce que j'éprouve en songeant à ton avenir et à ton propre bonheur. Tu

es perdu, Anzoleto, cher Anzoleto! perdu sans retour. Tu ne le sais pas,

tu ne t'en doutes pas, et moi je le vois, et je me dis: «Si du moins

j'avais été sacrifiée à son ambition si ma chute servait à édifier son

triomphe! Mais non! elle n'a servi qu'à sa perte, et je suis

l'instrument d'une rivale qui met son pied sur nos deux têtes.»

--Que veux-tu dire, insensée? reprit Anzoleto; je ne te comprends pas.

--Tu devrais me comprendre pourtant! tu devrais comprendre du moins ce

qui s'est passé ce soir. Tu n'as donc pas vu la froideur du public

succéder à l'enthousiasme que ton premier air avait excité, après

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