Madame d’Aulnay échangea quelques paroles avec le comte de Montgiroux, qui, en plongeant ses regards dans le coupé, put voir que Fernande tenait à la main un des bouquets qu’il avait envoyés.
À cette vue, la figure du comte s’épanouit, et ce fut avec une voix triomphante qu’en quittant ces dames, il cria à son cocher:
– À l’hôtel.
– Il s’en va ravi, dit madame d’Aulnay.
– Et de quoi? demanda Fernande.
– Il a vu que vous teniez son bouquet à la main.
– Vous croyez qu’il l’a remarqué?
– Coquette! vous l’avez bien vu aussi. Maintenant, il ne tient qu’à vous qu’il y ait sous peu une vacance à la pairie.
– Comment cela?
– Tenez rigueur au comte, et j’engage ma parole qu’avant huit jours, il se brûle la cervelle.
– Vous êtes folle!
– Non pas. Vous êtes non-seulement aimée, mais adorée. Ne méprisez point cela, allez: c’est très-bon, d’être adorée.
– Hélas! dit Fernande avec un profond soupir.
Puis, tout à coup, reprenant cette feinte gaieté que, depuis un instant, elle avait appelée à son secours:
– Mais je me rappelle, continua Fernande, nous dînons avec le comte, n’est ce pas?
– Oui, et il est allé chez lui changer de toilette.
– C’est justement ce à quoi je pensais. Ne serait-il pas bon que vous me jetassiez chez moi pour que j’en fasse autant?
– Allons donc! votre négligé est charmant. N’allez point altérer ce beau désordre, cher ange… Vous auriez l’air d’avoir fait des frais pour lui. Si c’était un jeune homme de vingt-cinq ans, à la bonne heure; mais il ne faut pas nous gâter nos vieux, il n’y a plus que ceux-là d’aimables.
– Comme vous voudrez, dit Fernande, qui tremblait au fond du cœur, en rentrant chez elle, d’y retrouver Maurice.
La promenade continua pendant une heure encore; mais la conversation se termina-là, ou, si elle reprit quelque activité, M. de Montgiroux avait cessé d’en être l’objet.
En rentrant chez elle, madame d’Aulnay trouva la table dressée. Il était évident qu’ainsi qu’il avait demandé la permission de le faire, le comte avait passé par là.
À six heures juste, on annonça le comte de Montgiroux.
Il entra, et, saluant la maîtresse de la maison:
– Affirmez à madame, dit-il, que, pour venir à six heures, je ne suis pas tout à fait un provincial; seulement, le désir de vous voir m’a poussé en avant, voilà tout.
Puis, avec une aisance parfaite, le comte s’assit, parla avec un charme extrême de toutes les choses dont on parle aux femmes: de la pièce nouvelle à l’Opéra, du prochain départ du Théâtre-Italien pour Londres, des projets de campagne; demandant aux femmes ce qu’elles comptaient faire, n’ayant, lui, rien de bien arrêté, et déclarant que, si la Chambre lui en laissait la liberté, il était prêt à se mettre à la disposition du premier caprice venu.
Et, en prononçant ces mots, il regardait Fernande, comme pour lui dire: «Faites un signe, madame, et ce signe sera un ordre; énoncez un désir, et ce désir sera accompli.»
Fernande répondit, comme le comte, qu’elle ne savait pas ce qu’elle ferait, mais, en tous cas, qu’ayant passé un hiver fort retiré, elle comptait, au retour de la belle saison, prendre sa revanche.
Madame d’Aulnay avait une comédie à mettre en scène; occupation qui devait la retenir à Paris.
On se mit à table. M. de Montgiroux, placé entre les deux femmes, fut également galant pour toutes deux, sans que sa galanterie eût rien de ridicule. C’était même bien plutôt la douce bienveillance d’un vieillard, l’urbanité d’un homme distingué, que de la galanterie dans le sens qu’on attache à ce mot.
Fernande, dont le goût était si fin, dont le tact était si parfait, ne put s’empêcher de reconnaître en elle-même que M. de Montgiroux était digne de la réputation que madame d’Aulnay lui avait faite; et, quoique son sourire fût profondément triste, deux ou trois fois elle se surprit à sourire.
On se leva de table, et l’on passa au salon pour prendre le café. Comme on reposait les tasses sur le plateau, on annonça à madame d’Aulnay que le directeur du théâtre auquel elle allait donner sa pièce avait à lui dire deux mots de la plus haute importance.
– Mon cher comte, vous le savez, dit madame d’Aulnay, les directeurs de théâtre sont, avec l’empereur de Russie et le Grand Turc, les seuls monarques absolus qui restent en Europe, et, à ce titre, on leur doit bien quelque considération: permettez donc que je vous quitte un instant pour recevoir mon autocrate; d’ailleurs, vous n’avez pas à vous plaindre, je l’espère, je vous laisse en bonne compagnie.
À ces mots, elle se leva, baisa Fernande au front, fit une révérence au comte et sortit.
Fernande sentit son cœur se serrer. Ce tête-à-tête était-il arrangé entre madame d’Aulnay et le comte? était-elle véritablement traitée avec cette légèreté?
Puis, avant que madame d’Aulnay eût refermé la porte, elle fit un retour amer sur elle-même.
– Au fait, se dit-elle répondant à sa pensée, que suis-je au bout du compte? Une courtisane. Allons, pas d’hypocrisie, Fernande, et ne fais pas semblant de rougir de ton état.
Et alors elle releva la tête, qu’elle avait tenue un instant baissée, et força son regard de s’arrêter sur le comte.
– Madame, dit celui-ci, encouragé par la manière dont, depuis le matin, Fernande s’était conduite vis-à-vis de lui, et rapprochant son fauteuil du canapé où elle était à demi couchée; madame, je ne vous avais jamais vue, mais j’avais bien souvent entendu répéter votre éloge. Je m’étais fait de vous une haute idée; vous l’avez surpassée par un charme inexprimable et par un goût exquis; je m’attendais à voir briller la beauté dans tout l’éclat qui l’entoure d’ordinaire, et je trouve tant de modestie et de douceur dans votre regard et votre langage, que c’est tout au plus maintenant si j’ose vous dire ce que vous savez bien du reste, c’est-à-dire qu’il est impossible de vous voir sans vous aimer.
– Dites, monsieur, répondit Fernande en souriant avec une profonde tristesse, que vous savez bien que je suis une de ces femmes à qui l’on peut tout dire.
– Eh bien, non, madame, reprit le comte. Peut-être étais-je venu ici avec cette idée; mais je vous ai vue, non point telle que vous a faite l’impertinent bavardage de nos jeunes gens à la mode, mais telle que vous êtes réellement. Et maintenant je tremble et j’hésite en essayant de vous faire comprendre que je serais véritablement trop heureux si vous me permettiez de vous consacrer quelques-uns des instants que me laissent mes devoirs d’homme d’État.
Fernande reçut cette déclaration prévue avec un sourire doux et mélancolique. Il eût fallu connaître ce qui agitait son âme, pour comprendre tout ce que ce sourire contenait d’amertume. Mais M. de Montgiroux n’était ni d’un rang ni d’un âge à s’effrayer de cette restriction muette et, d’ailleurs, presque imperceptible; il désirait trop pour oser approfondir.
Alors, sans aller plus loin dans l’expression directe de ses sentiments, avec ce tact infini, avec cet art merveilleux que les gens de qualité mettent à dire les choses les plus difficiles, il aborda les conditions du traité en termes si délicats, qu’on pouvait se méprendre, à la rigueur, sur le motif de cette honteuse proposition, sur le but de ce trafic infâme. En effet, quiconque, sans les connaître, voyant ce vieillard et cette jeune femme, eût entendu leur conversation, eût pu supposer qu’elle était dictée par le sentiment le plus saint et le plus respectable, eût pu croire qu’un père s’adressait à sa fille, ou qu’un mari, sachant qu’il lui fallait racheter son âge par la bonté, cherchait à plaire à sa femme. Il parla du bonheur d’avoir une grande fortune avec la reconnaissance d’un homme qu’on oblige en l’aidant à la dépenser. Il exalta la générosité de l’amie qui donnerait du prix à sa richesse en la dissipant.
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