Pendant de longues heures, le chevalier demeura éveillé, doutant parfois de ses sons, se demandant s’il n’avait pas eu quelque hallucination… Mais non!…
Comme pour répondre par avance à cette question, la statue noire avait laissé dans la chambre un pénétrant parfum de verveine…
Et d’Assas finissait par se demander même comment ce parfum pouvait persister aussi longtemps lorsque, s’étant à demi soulevé sur le coude, il aperçut tout près de lui, sur les couvertures, un mouchoir de fine batiste richement brodé que l’inconnue, en s’appuyant des deux mains, avait dû oublier là…
C’était ce mouchoir qui était imprégné de verveine. Il portait comme chiffre un J et un B entrelacés, surmontés d’une couronne comtale…
– Ne jamais pénétrer dans le pavillon d’en face! murmura le chevalier. Pourquoi?… Que s’y passe-t-il donc?… Et que m’arriverait-il si jamais j’y pénétrais?…
Il finit à la longue par s’assoupir…
À son réveil, il faisait grand jour.
Il allait sauter à bas de son lit, lorsque, sur la table de nuit, il aperçut un petit papier plié en quatre.
Il l’ouvrit aussitôt et lut ces lignes:
«On vous recommande la patience. Vous avez commis hier de grandes imprudences. Lorsqu’il en sera temps, vous serez prévenu. Tenez-vous prêt. Dès que l’heure en sera venue, vous n’aurez qu’à vous rendre à l’heure qu’on vous indiquera à la petite maison où se trouve celle que vous aimez. Vous vous présenterez à la petite porte bâtarde du jardin. Celle que vous aimez sortira par là. Vous serez prévenu du jour et de l’heure par un billet semblable à celui-ci… D’ici là, prenez patience. Ne sortez pas ou peu. N’allez plus rôder là-bas…»
– Cela se complique et se simplifie en même temps! murmura d’Assas.
Il eut dès lors la sensation très nette qu’il était engrené dans quelque chose de formidable.
Mais le chevalier aimait. Il était ardemment et sincèrement épris. Il n’hésita pas. Il résolut de se fier au terrible organisateur de toute cette pièce où il jouait un rôle sans savoir si la pièce tournerait au drame ou à la tragédie…
Les jours suivants se passèrent sans incidents.
Lubin était aux petits soins et lui servait des dîners fins, lui tenait compagnie, l’étourdissait de son babil…
Cependant, le matin du quatrième jour, d’Assas, rouge d’impatience, était résolu à faire une nouvelle tentative du côté de la petite maison.
Or, ce matin-là, par la même voie, lui parvint un nouvel avertissement; c’est-à-dire qu’en se réveillant, il trouva sur la table de nuit un billet ainsi libellé:
«Ce soir, à dix heures, rendez-vous à la porte bâtarde du jardin de la petite maison. Celle que vous aimez sortira. Le reste vous regarde…»
Le cœur de d’Assas battit à rompre et il eut la tentation de baiser ce billet!… Mais soudain il pâlit…
Il y avait un post-scriptum au billet!…
Et le post-scriptum disait:
«Si vous voulez continuer à accepter l’hospitalité qui vous est offerte dans cette maison, et si vous décidez celle que vous aimez à vous accompagner, vous entrerez dans le pavillon d’en face qui est mieux aménagé pour recevoir une femme.»
– Le pavillon d’en face! murmura d’Assas en frissonnant Oh! que médite-t-on ici? Qu’y prépare-t-on?… Et qui veut-on y tuer?…
XXXII LA NOUVELLE FEMME DE CHAMBRE
Le soir de ce jour, dans ce pavillon d’en face qui inspirait au chevalier de si terribles réflexions, dans ce charmant petit salon où nous avons déjà introduit nos lecteurs, trois personnages étaient réunis.
C’étaient M. Jacques, Juliette et le comte du Barry.
Juliette, debout, évoluait devant M. Jacques, assis, qui la regardait gravement.
Il était quatre heures.
Mais déjà les lampes étaient allumées, soit que la nuit commençât à tomber, soit que les rideaux épais eussent été soigneusement tirés.
– Eh bien! dit M. Jacques. Ce costume de nuit vous sied à ravir. Il est d’ailleurs identiquement copié sur celui que porte votre rivale. Maintenant, mon enfant, je voudrais bien vous voir dans l’autre costume… Il vaut mieux ne rien laisser au hasard… et souvent un détail, insignifiant en apparence, a renversé de grands desseins…
Juliette, comme l’avait dit M. Jacques, portait un costume de nuit, c’est-à-dire un peignoir de soie d’une richesse et d’un goût merveilleux.
Sur les derniers mots de M. Jacques, elle fit un signe d’assentiment et se retira dans sa chambre.
Elle reparut dix minutes plus tard, vêtue en soubrette, exactement le même costume que Suzon…
M. Jacques l’examina soigneusement, en vérifiant l’identité des détails sur un papier qu’il tenait à la main…
– Très bien, dit-il enfin. Voulez-vous, mon enfant, me répéter ce que vous avez à dire?
Juliette prononça quelques mots rapides qui résumaient sans doute la leçon qu’on lui avait apprise.
M. Jacques compulsa ses notes et demanda:
– Comment s’appelle la cuisinière?…
– Dame Catherine, quarante ans, vaniteuse; il y a une pièce de soie pour elle…
– Les deux filles de service?…
– Pierrette et Nicole, vingt ans, toutes deux intelligentes et intéressées, ont été choisies par Suzon; cinq mille livres à chacune…
– Et vous êtes, vous?…
– La sœur aînée de Suzon…
M. Jacques parut très satisfait de cette sorte de répétition générale.
Il se leva, prit dans ses mains les deux mains de Juliette, et d’une voix qui semblait fort émue:
– Mon enfant, lui dit il, songez que de votre habileté… de votre hardiesse, surtout, dépendent de graves intérêts… mon enfant, j’ai confiance en vous…
Il y eut alors un long silence.
Vers cinq heures et demie, la nuit était tout à fait venue.
M. Jacques, qui se promenait de long en large, s’arrêta tout à coup, et dit:
– Allons… il est temps!…
Ils sortirent tous les trois, M. Jacques impassible, du Barry sombre, et Juliette violemment émue.
Devant la maison, une voiture attendait. C’était une de ces solides berlines de voyage qui couraient les routes de porte en porte. Elle était attelée de deux vigoureux chevaux sur l’un desquels un postillon, déjà en selle, était prêt à fouetter ses bêtes.
Juliette monta dans la voiture. Du Barry se plaça près d’elle. M. Jacques s’approcha du postillon.
– Les soixante mille livres? demanda-t-il.
– Dans le coffre, Monseigneur, répondit le postillon.
– Vous avez toutes vos instructions?…
– Oui, Monseigneur: une jeune fille doit monter dans cette voiture et je dois la conduire hors Paris. Mais je n’ai pas encore l’endroit…
– Villers-Cotterêts, dit M. Jacques.
– Villers-Cotterêts, bien…
– Si la jeune fille vous demande de la conduire jusqu’à un village voisin qui s’appelle Morienval, vous la conduirez. Mais en cours de route elle ne doit communiquer avec personne… À votre retour, vous me rendrez compte des incidents, s’il y en a eu…
Cela dit, M. Jacques monta dans la voiture qui s’ébranla aussitôt et qui, dix minutes plus tard, s’arrêta à deux cents pas de la petite maison du roi.
Tous les trois descendirent, Juliette enveloppée d’un grand manteau noir qui cachait entièrement son costume de soubrette.
Ils firent le tour de la maison.
Devant la porte bâtarde du jardin, un homme attendait. Il s’avança vivement à la rencontre de M. Jacques…
C’était Bernis.
Au loin, six heures sonnèrent…
– Êtes-vous prêt? demanda M. Jacques.
– Oui, Monseigneur, répondit Bernis en dissimulant son émotion.
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