Et quand cet interminable office prit fin, les moines se retirèrent comme ils étaient venus: en procession lente et solennelle. Les desservants éteignirent les cierges de l’autel. Tout retomba dans le silence et la pénombre. Enfin, autour du catafalque, faiblement éclairé par quelques lampes d’argent qui tombaient de la voûte, il n’y eut plus que les quatre moines porteurs… Tout n’était pas fini encore…
Pardaillan sentit ses cheveux se hérisser et un frisson d’horreur le parcourut de la nuque aux talons quand il entendit un de ces moines demander, avec une indifférence placide:
– La fosse de ce malheureux est-elle creusée?
– Il y a plus d’une heure qu’elle est prête.
– Alors dépêchons-nous de le porter en terre, car voici qu’il est l’heure de souper.
Et Pardaillan sentit qu’on le soulevait, qu’on l’emportait.
Alors, rassemblant toutes ses forces, la bouche collée contre le judas, il cria:
– Mais je suis vivant!… Sacripants, vous n’allez pas m’enterrer vivant!…
Comme s’ils eussent été sourds, les quatre sinistres porteurs continuèrent imperturbablement leur route, le cahotant abominablement, n’apportant aucune précaution dans l’accomplissement de leur funèbre et abominable besogne, uniquement préoccupés qu’ils étaient de se rendre au plus vite au réfectoire.
Si le chevalier pu tirer sa dague, nul doute qu’il ne se fût poignardé à ce moment pour s’épargner l’horrible supplice d’être enterré vif. Mais il n’était pas muré dans un cercueil ordinaire. Celui-ci était beaucoup plus bas et plus étroit que tout ce qui se faisait habituellement. Il était, là-dedans, littéralement tassé et pressé. Et malgré tous ses efforts, il ne put parvenir à saisir l’arme libératrice.
Bientôt il sentit un air plus frais caresser son visage qu’il tenait obstinément collé contre le judas. Il se vit au grand air, dans un jardin, et il frissonna:
– Le cimetière!…
Si l’office des morts lui avait paru d’une lenteur mortelle, la marche vers le trou suprême lui parut s’accomplir avec une rapidité fantastique. C’est qu’il espérait encore qu’un miracle s’accomplirait en sa faveur et il comprenait que lorsqu’il serait dans le trou, que la terre pèserait sur lui lourde et glaciale, tout espoir de délivrance serait à jamais perdu.
Déjà les porteurs s’arrêtaient.
Il sentit qu’on le posait assez rudement sur un sol meuble.
Il perçut distinctement le glissement des cordes sous le cercueil qui soulevé, glissa doucement et tomba mollement au fond de la fosse.
Une voix de basse tonitrua:
– Requiescat in pace!
Et, les autres, en chœur, répondirent:
– Amen!
Et la terre s’abattit lourdement sur lui avec un bruit sourd qui résonnait jusqu’au plus profond de son être.
Alors Pardaillan s’abandonna. Et avec une résignation où perçait encore et malgré tout une pointe de raillerie, il murmura:
– Cette fois-ci, me voici mort et enterré!
Cet accès de désespoir ne dura pas longtemps. Presque aussitôt il se ressaisit et recommença à crier furieusement, à talonner le couvercle à grands coups, à se meurtrir les coudes et les épaules en s’efforçant de faire éclater les parois.
Combien de temps s’écoula ainsi?
Des minutes ou des heures?
Il n’en eut pas conscience.
Et comme pour la centième fois peut-être, s’arc-boutant de toutes ses forces décuplées par le désespoir et la rage, il essayait de faire sauter le couvercle, tout à coup, au moment où il râlait, à bout de forces et de courage, sur une faible poussée de l’épaule, le couvercle s’ouvrit comme de lui-même, eût-on dit.
– Mort de tous les diables! Tripes de tous les saints! Par le pied fourchu de Satan! Par le ventre de ma mère! se soulagea Pardaillan, coup sur coup.
Il était livide, hagard, tremblant de fureur et d’horreur. Il respira à grands coups comme s’il n’eût pu rassasier ses poumons et passa machinalement sa main sur son front d’où coulaient de grosses gouttes de sueur. Il était à genoux au milieu de son cercueil et regardait autour de lui sans voir, avec des yeux de fou, ne pensant qu’à fuir.
Il ne remarqua pas qu’il était dans un jardin et non dans un cimetière comme il l’avait cru. Il ne remarqua même pas que sa fosse n’avait presque pas de profondeur et que toute la terre qu’on avait jetée sur lui, à pleines pelletées, s’était, par suite de quelque agencement spécial, éparpillée à droite et à gauche, laissant le cercueil bien dégagé.
Il ne remarqua rien, il ne vit rien… qu’une chose:
C’est qu’il était vivant et libre, qu’il avait de l’air et de l’espace devant lui, et que maintenant, enragé de vengeance, il était résolu à tordre le cou de ce scélérat d’Espinosa qui avait combiné le supplice sans nom qu’on venait de lui infliger, et que, sa bonne rapière au poing, bravant la mousquetade, il se sentait enfin de force à tenir tête à tous les sbires de l’inquisiteur, fussent-ils légion.
Enfin, sa tête en feu un peu rafraîchie par l’air frais du soir – la nuit commençait à tomber – ayant retrouvé un peu de sang-froid, il escalada lestement la fosse et à pas rudes et allongés, avec cette foudroyante rapidité de décision qu’il avait dans l’action, il se dirigea droit vers une porte dérobée située juste en face de lui.
Arrivé devant la porte, il tira sa rapière, la fit siffler d’un air terrible, et brusquement il ouvrit.
La porte donnait sur une cour occupée militairement par une compagnie d’hommes d’armes.
Pardaillan fit résolument deux pas en avant. Tout de suite il se heurta à l’officier de garde commandant la troupe, lequel, en le voyant, s’écria d’un air étonné:
– Monsieur de Pardaillan! D’où sortez-vous donc?
Pardaillan entendit-il ou n’entendit-il pas? Il ne comprit qu’une chose: c’est que l’officier ne cherchait pas à lui barrer le passage.
Il répondit froidement par une autre question:
– Par où sort-on?
Il crut du moins avoir répondu froidement. En réalité, il hurla sa question d’un air terrible et menaçant, à peu près comme il eût crié:
– Place, ou je vous tue!
Au reste, sans attendre la réponse, il tourna à droite, au hasard, sans savoir, et s’éloigna à grands pas.
L’officier cria à son tour:
– Eh! monsieur de Pardaillan!… pas par là!
Et comme le chevalier continuait son chemin sans se tourner, sans se détourner d’un pouce, l’officier courut après lui, le saisit par le bras et dit, très poliment:
– Vous vous trompez, monsieur de Pardaillan, ce n’est pas par là qu’on sort… c’est par ici.
Et, du doigt, il désignait la direction opposée.
– Vous dites, monsieur? hoqueta Pardaillan stupide d’effarement, ne sachant s’il rêvait ou s’il était éveillé.
L’officier répondit paisiblement:
– Vous m’avez fait l’honneur de me demander où était la sortie. Je vous fais remarquer que vous vous trompez… La sortie est à gauche et non à droite.
– Ah çà! monsieur, gronda Pardaillan qui se sentait devenir fou, vous n’êtes donc pas là pour m’arrêter? Vous n’avez donc pas ordre de me meurtrir?
– Quelle plaisanterie, monsieur, fit l’officier en souriant. J’ai, il est vrai, reçu l’ordre d’arrêter quiconque se présentera devant moi. Mais cet ordre ne concerne pas M. de Pardaillan, pour lequel, au contraire, on nous a ordonné d’avoir tous les égards dus au représentant de S. M. le roi de Navarre.
Le chevalier regarda l’officier jusqu’au fond des yeux. Il vit qu’il était de bonne foi. Il rengaina aussitôt et, saluant à son tour l’homme qui lui parlait la tête découverte:
Читать дальше