Les couples tressaillirent, se détirèrent, parurent se réveiller… Un grand rire fusa, un rire où il y avait de l’hésitation, de la honte, comme s’ils eussent hésité maintenant à se découvrir!…
– Tant pis! cria soudain une voix de femme, cristalline et balbutiante. Nous avons gagé de nous montrer!… Moi, je commence!…
Et brusquement, elle laissa tomber son masque, et arracha celui de l’homme au cou duquel elle était comme suspendue.
– La reine Margot! murmura Guise, dont la fureur un instant, se nuança de stupéfaction.
– Puisque c’est convenu! continua une autre femme au milieu des éclats de rire.
Et d’un geste plus hardi encore, elle imita Margot.
– Claudine de Beauvilliers! gronda en lui-même Guise qui se sentait entraîné au vertige des étonnements prodigieux.
L’homme qui accompagnait Claudine lui était inconnu. Mais déjà la troisième femme venait de retirer son masque. Et celle-là riait d’un rire gamin plus frais, plus sonore… plus inconsciente et plus amusée que les autres, peut-être. Et cette fois, Guise fut secoué d’un frémissement de rage. Dans cette femme, il venait de reconnaître sa propre sœur!… La duchesse de Montpensier!…
Toute rieuse et s’efforçant de rougir, elle essayait de dénouer le masque de son compagnon: mais l’homme résistait, son ivresse dissipée soudain… tout à coup, elle y parvint… le visage de l’amant de la duchesse apparut… Et les rires qui avaient salué chaque visage qui se découvrait se figèrent… Car c’était une sombre et fatale figure qui venait de se montrer… l’amant de la duchesse de Montpensier s’était relevé soudain, les yeux hagards, le front empourpré…
C’était un jeune homme livide, au teint bilieux, aux traits convulsés, comme s’il eût porté la marque de quelque grand malheur… Il passa sur son front une main pâle, d’une pâleur d’ivoire et gronda.
– Qu’ai-je fait? Que suis-je venu faire ici?… Oh!… je meurs de honte!…
En même temps, il recula, tandis que la duchesse de Montpensier riait seule aux éclats; il bondit vers la porte et, le visage dans les mains, titubant, avec un cri d’horreur, s’en alla, se sauva… Guise qui, d’un œil ardent, avait suivi toute cette scène fantastique, murmura:
– Jacques Clément!… Le moine Jacques Clément, amant de Marie!…
– À mon tour! cria la quatrième femme d’une voix résolue, comme si toute hésitation de pudeur eût disparu de sa pensée. Aussitôt d’un geste de bravade, elle arracha son masque et fit tomber celui de son amant… Et alors Guise sentit sa tête tourner, ses yeux se fermer comme devant un hideux spectacle auquel il ne se fût pas attendu… Cet homme… c’était le comte de Loignes, son ennemi mortel! Et cette ribaude impudique, au sourire provocateur, aux yeux chargés d’amour et de défis, c’était Catherine de Clèves, la duchesse de Guise, sa femme!…
Cette seconde de faiblesse chez le duc de Guise fit place à une réaction où la honte, encore, tenait la plus grande place. Il se redressa lentement et demeura immobile. La duchesse de Guise vit cette sorte de statue dont les yeux, du fond du masque, la prévint que la terreur allait s’emparer d’elle… Elle sourit pourtant et, hardie, demanda:
– Et vous, messire, ne tiendrez-vous pas la gageure? Bas le masque, messire!… Allons vite… qu’on voie…
Elle s’arrêta net, la voix étranglée soudain: Guise venait de rejeter le manteau de soie qui cachait son costume. La duchesse devint très pâle.
– Eh! monsieur, ricana le comte de Loignes, ôtez donc votre masque, puisque madame vous en prie.
Guise laissa tomber son masque. Au même instant, le comte de Loignes se redressa, livide, tandis que les deux autres hommes gagnaient la porte; la duchesse de Montpensier se sauva; Claudine de Beauvilliers s’évanouit, et la duchesse de Guise, malgré toute son audace, ne put retenir un faible gémissement.
Guise en effet, Guise silencieux, la lèvre tremblante, la dague à la main, avait une de ces physionomies comme elle lui en avait vu deux ou trois fois. Elle voulut se lever, faire un geste, balbutier une parole; mais elle demeura paralysée, fascinée, se disant qu’elle allait mourir…
Le duc était d’un côté de la table; de Loignes, en face, de l’autre côté. Ce furent deux ou trois secondes d’horreur dans ce funèbre silence.
– Monsieur, dit enfin le comte de Loignes, je dois vous dire que certaines apparences ne doivent… ne peuvent…
Il n’eut pas le temps d’en dire plus long. Sa voix avait pour ainsi dire brisé le charme qui, pour quelques instants, enchaînait Henri de Guise.
Au premier mot de Loignes, le duc se ramassa sur lui-même; sa figure prit une expression à la fois lamentable et tragique, une sorte de rugissement sur ses lèvres; d’un effort énorme, il écarta, renversa la lourde table et, dans la seconde qui suivit, il y eut le geste rapide, insaisissable d’un bras qui se lève et qui retombe… Un jet de sang inonda le parquet. Loignes tomba comme une masse, sans un cri.
Guise se baissa, hagard et, d’un geste violent, retira le poignard enfoncé jusqu’à la garde. Alors sa fureur se déchaîna; la vue du sang, le meurtre accompli, ces parfums d’ivresse et d’orgie, la rage concentrée en lui-même, tout cela, en un inappréciable instant, le transforma en une bête sauvage… Il se retourna vers la duchesse, sa dague toute rouge à la main. Et il la vit qui bondissait affolée, franchissait la porte, s’enfuyait.
Il se rua…
Des insultes affreuses, des cris rauques éclatèrent. La duchesse, avec un long gémissement d’épouvante mortelle, franchit deux salles, arriva à la porte extérieure, l’ouvrit, se jeta au-dehors… Guise, avec les mêmes insultes proférées d’une voix de fauve, la poursuivit jusque dans la salle du cabaret; là, il trébucha contre une table, sa tête tourna, il sentit le sol se dérober sous ses pas, et il s’affaissa, évanoui, assommé par le coup de fureur, tenant dans sa main crispée le poignard rouge.
* * * * *
Dans la pièce où le comte de Loignes gisait inanimé, une porte secrète, masquée par des tapisseries… une porte qui faisait communiquer l’auberge avec le palais… s’ouvrit sans bruit. Une femme entra. Elle jeta un regard à peine sur Loignes, traversa rapidement, et parvenue dans la salle de cabaret, vit la porte ouverte.
– Catherine de Clèves est morte! murmura-t-elle. Henri de Guise sera roi de France, et moi reine!…
Un sourire terrible illumina son visage… Mais soudain, comme elle marchait à la porte, son pied heurta le duc de Guise évanoui, étendu sur le carreau. Elle le reconnut aussitôt… Son œil se dilata… Cette figure impassible, marmoréenne, parut un instant bouleversée; mais, presque au même moment, elle s’apaisa.
– Catherine de Clèves a échappé! dit sourdement Fausta. Un retard. Un obstacle. Il faut trouver autre chose!…
Alors, lentement, Fausta revint sur ses pas. Un homme agenouillé près du comte de Loignes sondait la blessure. La reine Margot et Claudine de Beauvilliers avaient disparu. La salle, avec ses lumières, ses parfums violents, sa table renversée, ce blessé sur lequel se penchait quelqu’un, la salle était lugubre. Fausta s’approcha de celui qui étudiait la blessure de Loignes, et le toucha à l’épaule. Le quelqu’un se redressa.
– Est-ce qu’il est mort? demanda Fausta.
– Non, madame… et même, il ne mourra pas…
Fausta demeura pensive, roulant dans sa tête des combinaisons lointaines, indéchiffrables.
– Maître Ruggieri… reprit-elle, que faudrait-il pour que cet homme meure?
– Vous pouvez le faire achever madame, dit avec une effrayante simplicité l’homme qu’on venait d’appeler Ruggieri.
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