Fausta secoua la tête.
– Maître, dit-elle, il faut que cette blessure soit suffisante sans que je m’en mêle…
– Alors, madame, il faut que le blessé soit transporté chez moi. Il suffira d’entretenir la fièvre qui va se déclarer. Pour cela, il est nécessaire que je puisse surveiller la marche du mal.
Fausta approuva d’un signe de tête et disparut par la porte qui faisait communiquer l’auberge et le mystérieux palais. Ruggieri la suivit d’un sourire qui peut-être eût glacé cette femme que rien n’effrayait.
«Sois tranquille, gronda-t-il alors en lui-même. Tu ne te doutes pas, Fausta, que j’ai deviné ta pensée!… Va-t-en rassurée et paisible, confiante en ma science!…»
Il ramena son regard sur le blessé.
– Moi aussi, continua-t-il, j’ai confiance en ma science!… Loignes vivra!… Et lorsque Guise et toi le croiront mort, c’est alors que vous le verrez se dresser sur votre route… et alors… qui sait?…
À ce moment six hommes, sans doute prévenus par Fausta, entrèrent, déposèrent le comte de Loignes toujours évanoui sur un fauteuil et l’emportèrent hors de l’ Auberge du Pressoir de Fer , guidés par Ruggieri.
* * * * *
Catherine de Clèves, duchesse de Guise, avait bondi hors de l’auberge, en proie à une terreur insensée. Elle entendait le pas lourd de son mari derrière elle. Elle croyait sentir sur sa nuque le froid de l’acier, et d’un geste instinctif, elle cherchait à garantir son cou, tandis qu’elle bégayait:
– Grâce! Henri. Ne me tue pas!
Ses forces tout à coup défaillirent. Elle comprit qu’elle allait rouler sur le pavé. À ce moment, il lui sembla voir un homme arrêté devant la maison voisine. D’un effort suprême, elle se traîna jusqu’à cet inconnu et tomba dans ses bras en murmurant:
– Sauvez-moi! Sauvez-moi!… On veut me tuer!
– Mordieu! grommela l’homme, il pleut des femmes par ici! Voyons si la pluie est seulement jolie.
Soutenant la fugitive tremblante comme une feuille, il s’approcha d’un rayon de lumière qui tombait de l’une des fenêtres de la maison Fausta.
– Par pitié, monsieur, qui que vous soyez, défendez-moi, sauvez-moi!…
La duchesse put encore balbutier ces mots, et elle s’évanouit tout à fait… L’homme, très embarrassé de ce fardeau et comprenant qu’un prompt secours était nécessaire à cette femme dont la jolie voix terrifiée l’avait ému, regarda autour de lui, et avisant la porte de la maison Fausta, souleva le heurtoir de bronze…
– Hum! fit-il au bout de quelques instants, on ne répond pas?…
Pourtant la maison est habitée, puisqu’il y a de la lumière…
Il frappa plus violemment et cria:
– Ouvrez donc, par Pilate! Êtes-vous Turcs, êtes-vous Maures, vous qui laissez une femme se mourir sur votre seuil?…
Cette fois la porte s’ouvrit… Et Pardaillan, sans d’ailleurs demander la moindre permission, entra, portant dans ses bras la duchesse de Guise évanouie. Et la porte de fer de la maison Fausta se referma sur lui!… Dehors un chien poussa dans la nuit un hurlement plaintif.
Le chevalier de Pardaillan avait quitté la Devinière , escorté par Charles d’Angoulême et suivi de Pipeau. Sur ses instances et presque sur ses ordres, le jeune duc le quitta pour aller l’attendre rue des Barrés. Pardaillan n’eut pas de peine à trouver l’ Auberge de l’Espérance , et il y établit son quartier général pour la journée.
Il se mit en observation, interrogeant l’hôte, faisant bavarder les gens de basse mine, qui hantaient l’auberge. Quoi qu’il fît et qu’il dît, il ne put obtenir aucun renseignement positif sur la singulière disparition de la petite chanteuse de bohème. Il se décida donc à attendre la nuit pour entreprendre l’expédition qu’il méditait, et tua le temps en une longue conversation tantôt avec lui-même, tantôt avec le chien. Il sommeilla même quelque peu, le coude sur une table, devant un flacon qu’il vidait peu à peu.
Pardaillan n’était ni triste ni gai. Sa physionomie respirait le calme de la force et de la confiance en soi-même. Cette histoire de la petite bohémienne ne l’intéressait que relativement à Charles d’Angoulême. C’était en somme pour lui une banale aventure. Mais la douleur et l’affolement du jeune duc l’avaient touché plus qu’il n’eût voulu l’avouer… Il aimait la jeunesse. Les chagrins de cœur et les vicissitudes de sa vie errante ne lui avaient donné aucune amertume: ne pouvant plus ou ne voulant plus aimer puisque, selon ses propres paroles, il gardait un culte inviolable à celle qu’il avait perdue, il se plaisait tout de même à voir l’amour autour de lui.
La nuit venue, Pardaillan se secoua, s’ébroua, assura le ceinturon de sa rapière autour de ses reins, posa son chapeau à plumes sur le coin de l’oreille, selon sa manière, et il sortit, sifflotant un air de fanfare. Pipeau marchait gravement sur ses talons.
Dehors, le chevalier présenta au chien l’écharpe de Violetta et la lui fit flairer. Pipeau considéra l’écharpe d’un œil torve, la renifla un instant, et aboya avec une certaine mélancolie. Il avait tout de suite compris ce qu’on attendait de lui. Mais c’était un chien hypocrite, et il passa un quart d’heure à flairer, à examiner, à étudier, pourrait-on dire, l’écharpe de soie – dans l’espoir que le chevalier renoncerait à son entreprise. Il se mit alors à quêter, et bientôt, sans doute, il retrouva la voie, car son moignon de queue s’agita.
– Très bien, fit Pardaillan, nous y sommes. En avant!
Au premier croisement des rues, Pipeau fit une tentative désespérée: il feignit de prendre le change et fila comme une flèche dans la direction de la Devinière . Rappelé par un coup de sifflet énergique et menaçant, il revint en rampant. Alors, Pipeau quêta, chercha avec rage, avec frénésie, le bout du nez de travers.
* * * * *
À vingt pas derrière Pardaillan, dans l’ombre, se glissant le long des murs, trois hommes s’avançaient et suivaient tous ses mouvements. Deux d’entre eux tenaient à la main un solide poignard effilé; le troisième les dirigeait et semblait guetter le moment de les lâcher sur Pardaillan.
Cet homme, c’était Maurevert.
Les deux autres, c’étaient les deux hercules de la troupe Belgodère: Croasse et Picouic.
Maurevert, au moment où le chevalier était sorti de la Devinière , s’était lancé sur ses traces et l’avait suivi jusqu’à la porte de l’ Auberge de l’Espérance . Et tandis que Pardaillan guettait à l’intérieur l’arrivée espérée de Belgodère, Maurevert, dehors, avait guetté la sortie de Pardaillan.
Il était patient. Il eût attendu jusqu’au lendemain, s’il l’eût fallu. Mais, pour un empire, il ne fût pas entré dans la salle où se trouvait le chevalier. La seule pensée de se trouver face à face avec lui faisait pointer une sueur froide à son front.
Pardaillan à Paris!… C’était la mort assurée!… Et quelle mort! Il imaginait un supplice raffiné, supposant au chevalier les mêmes pensées qui l’agitaient lui-même.
Où fuir encore!… Il faudrait donc recommencer cette course éperdue qui avait duré des années!… Où se cacher!… Vers quels confins du monde chercher enfin l’apaisement de cette épouvante qui le faisait vaciller à la seule évocation de l’image de Pardaillan, à son nom murmuré tout bas par sa conscience!
Que voulait-il?… Il ne savait pas au juste. Il avait quitté précipitamment Maineville et s’était élancé derrière Pardaillan, fasciné, entraîné, avec le vague espoir que le hasard le lui livrait peut-être!…
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