– Vous fuirez par là, dit-il. Et voici pour votre fuite.
Du doigt il désigna un vigoureux, cheval tout sellé, attaché par le bridon à un anneau.
– C’est monseigneur Henri de Guise, reprit le chanoine, qui s’est ainsi occupé de votre sûreté. Ce cheval sort de ses écuries. Vous prendrez la sente, vous tournerez à gauche, et suivrez la Seine. À la porte Saint-Antoine, on vous laissera passer. Vous gagnerez le Soissonnais; puis, tournant à droite, vous vous dirigerez sur Reims. Là, vous attendrez.
– Bien, bien, fit Maurevert avec un sourire narquois. Croyez-vous vraiment à la nécessité de ma fuite?
– Je crois qu’il y va de votre tête, dit sincèrement le chanoine.
– Je fuirai donc, reprit Maurevert parfaitement résolu à n’en rien faire.
Alors ils revinrent tous deux dans la salle à manger. Villemur prit dans un angle une arquebuse toute chargée et la présenta à Maurevert, qui l’examina attentivement.
– Parfait, dit-il enfin.
– Le voici! s’écria à ce moment, et non sans quelque émotion, Villemur qui s’était posté à la fenêtre grillée.
Maurevert se rapprocha vivement.
Le chanoine se recula, mais de façon à ne rien perdre de ce qui allait se passer.
Maurevert avait appuyé le bout du canon de l’arquebuse contre le treillis de la fenêtre.
Sur sa gauche apparaissait un groupe de cinq ou six gentilshommes. En avant d’eux, à trois pas, marchait Coligny, qui causait paisiblement avec Clermont, comte de Piles, jeune homme de la suite du roi de Navarre.
Clermont de Piles était à gauche de l’amiral.
Coligny présentait donc son flanc droit à la fenêtre grillée.
Maurevert, à ce moment, fit feu.
Il y eut dans le cloître Saint-Germain-l’Auxerrois une seconde de stupéfaction. Coligny agitait sa main droite vers la fenêtre. Cette main était ensanglantée: la balle avait emporté l’index.
– Au meurtre! hurlèrent les gentilshommes en se précipitant vers Coligny.
Au même instant, un deuxième coup de feu retentit, et cette fois, l’amiral s’affaissa, l’épaule gauche fracassée.
Dans la même seconde, le cloître se remplit de cris, une foule se rassembla; mais lorsqu’on sut que l’amiral Coligny venait d’être frappé, cette foule se recula aussitôt, avec de sourdes imprécations contre les huguenots.
Après son premier coup de feu, Maurevert avait reposé son arme en disant:
– Maladroit! je l’ai manqué.
– Recommencez! gronda Villemur.
– Avec quoi? fit Maurevert goguenard.
Le chanoine, d’un bond, fut près de lui, une deuxième arquebuse à la main, toute chargée. Maurevert, sans hésitation apparente, s’en saisit, et fit feu.
L’amiral tomba.
– Il est mort! dit Villemur.
– Je crois que oui, dit Maurevert avec un sourire.
– Fuyez!…
– Et vous?
– Fuyez donc, de par Notre-Dame!
Maurevert obéit sans hâte, bien qu’à ce moment des coups violents ébranlassent la porte.
Il atteignit l’arrière-cour, défit le bridon, se mit en selle et enfila la sente au trot.
Alors le chanoine descendit rapidement dans les caves de sa maison, leva une trappe, s’enfonça dans un boyau, parcourut un long couloir, et remontant par un escalier de pierre, arriva dans la sacristie de Saint-Germain-l’Auxerrois où quelques prêtres se trouvaient rassemblés.
Parmi ces prêtres, il reconnut aussitôt J’évêque Sorbin de Sainte-Foi, auquel il fit un signe.
Alors l’évêque leva les bras au ciel et tous pénétrèrent dans l’église et, s’agenouillant au pied du maître-autel, entonnèrent le Te Deum .
Dans le cloître, une scène de confusion terrible se passait. Les gentilshommes huguenots s’étaient rués vers la fenêtre; mais le treillis était solide; alors, tandis que les uns cherchaient à défoncer la porte, d’autres, l’épée à la main, entourèrent Coligny, comme pour faire face à une nouvelle attaque.
– Avertissez le roi, dit tranquillement Coligny.
L’un des gentilshommes, le baron de Pont, s’élança en courant vers le Louvre, traversant des groupes silencieux et hostiles.
– C’est bien fait! cria une femme.
Cependant, avec l’aide de ses amis, Coligny s’était relevé; mais il ne put se tenir debout et parut prêt à défaillir.
– Une chaise! cria Clermont de Piles. Pour Dieu, un siège, un fauteuil, n’importe quoi!
Dans la foule, il y eut des ricanements; nul ne bougea. Les huguenots se regardèrent épouvantés, tout pâles.
Alors, deux d’entre eux unirent leurs mains entrelacées, formant ainsi une sorte de siège sur lequel le blessé fut assis, ses deux bras au cou des deux gentilshommes.
Les autres entourèrent ce groupe en silence, l’épée à la main. Ceux qui avaient essayé vainement de défoncer la porte vinrent s’unir au cortège, qui se mit en route.
Lorsqu’ils furent loin, la foule se débanda, riant, applaudissant et criant:
– Mort aux huguenots!
Coligny n’avait pas perdu connaissance.
– Soyez calmes, répétait-il d’une voix encore forte.
Mais ses amis ne l’écoutaient pas. Clermont de Piles pleurait – de colère autant que de douleur. Les autres criaient:
– On a tué l’amiral! on a meurtri notre père! Vengeance! vengeance!
À chaque instant, ils rencontraient des huguenots qui, se réunissant au cortège et voyant l’amiral grièvement blessé, tiraient leurs épées et criaient:
– Vengeance!
En arrivant rue de Béthisy, ils étaient deux cents, agitant leurs épées, pleurant, menaçant, et les groupes du peuple qui les regardaient passer gardaient le silence.
Le bruit de l’attentat se répandit avec une rapidité inouïe: en moins d’une heure, une effervescence extraordinaire enfiévra Paris; les bourgeois sortirent en armes; à tous les carrefours, des danses s’organisèrent; en d’autres endroits, des prêtres, montés sur des bornes, expliquèrent au peuple que Dieu venait de frapper un ennemi de l’Église, et que c’était un signe de sa protection; on les acclamait, on les portait en triomphe, des clameurs terribles de: «Vive la messe!» s’élevaient.
À l’hôtel Béthisy et dans les environs, plus de mille huguenots s’étaient rassemblés et organisés, ne doutant pas qu’on voulût tuer l’amiral et décidés à le défendre en bataille rangée.
Cette multitude de gentilshommes exaspérés emplissait la cour de l’hôtel et, refluant par les portes grandes ouvertes, occupait toute la rue. Deux heures se passèrent ainsi au milieu des cris, des suppositions, des rumeurs que de longs silences soudains coupaient par intervalles.
Cependant, le calme se rétablit peu à peu, et les épées rentrèrent dans les fourreaux lorsque le bruit se fut répandu que le meurtrier de l’amiral était un vulgaire coquin, et non un stipendié du chanoine Villemur, comme on l’avait pensé. Le calme devint de l’apaisement lorsqu’on sut que les blessures n’étaient nullement mortelles.
Malgré ce calme et cet apaisement, un grand nombre de huguenots s’enquirent sur l’heure même des logements qui étaient à louer dans la rue de Béthisy, voulant être prêts jour et nuit à courir au secours de leur chef.
Vers deux heures, il y eut un remous dans cette foule qui continuait à stationner dans la rue.
Une litière venait d’apparaître au bout de la rue; elle était précédée et suivie d’une demi-compagnie d’arquebusiers.
– Le roi! le roi!…
Toutes les têtes se découvrirent.
Mais la douleur et l’indignation l’emportant sur le respect, on cria:
– Vengeance!
La litière, avant d’entrer dans l’hôtel, s’arrêta un moment. Et alors on put voir qu’elle contenait le roi, Catherine et le duc d’Anjou.
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