C’était un homme froid, sans scrupule, féroce dans la bataille, catholique enragé par politique plutôt que par dévotion; mais il avait conçu pour Coligny une sorte d’admiration et d’estime; il s’intéressait fort à la campagne projetée, espérant y conquérir quelque nouvelle faveur.
Coligny l’avait spécialement chargé d’armer les vaisseaux qui devaient servir, car on comptait attaquer le duc d’Albe par terre et par mer; et le vieux La Garde s’était acquitté de sa mission avec le plus grand zèle: la flotte était prête.
Cet homme avait-il eu vent de quelque trahison?
Avait-il flairé les projets de Catherine?
C’est probable. Mais, courtisan avisé autant que guerrier, sans peur, il gardait pour lui ses impressions, et il avait coutume de dire à ses familiers:
– Attendons que souffle la tempête pour savoir de quel bord il faut virer.
Coligny eut avec lui un long entretien qui dura deux heures.
Ceci se passait dans l’antichambre même du roi, en une embrasure de fenêtre où La Garde avait tiré un fauteuil. Et c’est sur ce fauteuil que Coligny avait déroulé ses plans. Ils avaient fini par se mettre à genoux tous les deux près du fauteuil, pour examiner de plus près une carte que l’amiral avait étalée.
Et ils étaient si profondément plongés dans leur étude qu’ils ne virent pas la reine Catherine de Médicis sortir des appartements du roi, traverser l’antichambre, saluée au passage par les gentilshommes présents, et s’enfoncer dans une galerie, lente, pâle, glaciale comme un spectre sous ses vêtements noirs.
Depuis la terrible scène de Saint-Germain-l’Auxerrois, Catherine paraissait troublée.
Ses résolutions vacillaient.
Parfois, elle s’arrêtait court dans les longues promenades solitaires qu’elle faisait dans son oratoire, et qui se fût trouvé près d’elle l’eût entendue murmurer alors:
– C’était mon fils…
Était-ce donc le remords qui avait forcé les portes de cet esprit jusqu’alors fermé, solidement verrouillé? Était-ce l’aveu d’une douleur et d’un regret qui montait ainsi à ses lèvres serrées?
Si cela est, si Catherine se trouvait vraiment aux prises avec ce sentiment étrange qu’on appelle le remords, si son âme était troublée, si son esprit sondait avec effroi les abîmes qu’elle avait creusés, ceux qui l’eussent parfaitement connue, Ruggieri par exemple, eussent redouté l’explosion de ce remords.
En effet, Catherine n’était pas femme à reculer. Si une plainte montait du fond de sa conscience, elle devait chercher à l’étouffer sous des clameurs plus terribles. Si elle était troublée, elle devait s’enfoncer plus profondément dans la tempête qui grondait en son esprit. Si les spectres de Marillac et d’Alice, de Panigarola et de Jeanne d’Albret, si ces spectres, disons-nous, se dressaient au milieu de ses nuits sans sommeil, si l’ombre de son fils venait lui murmurer ces paroles qui bruissaient sans cesse à ses oreilles… «Êtes-vous contente, ma mère?… mais pourquoi me tuer de cette manière?…» Oui, si cela était, Catherine devait chercher à faire taire la voix de son enfant sous des voix plus atroces, et à entourer son fantôme d’une telle foule de fantômes qu’il lui devint impossible de le distinguer!
– C’était mon fils!…
Et lorsqu’elle avait prononcé ces paroles à demi-voix en regardant autour d’elle avec la profonde angoisse des inexprimables horreurs, elle frémissait, ses poings se serraient, la fièvre brûlait son front, et elle ajoutait:
– Hâtons-nous! hâtons-nous!…
Ainsi son remords, si c’était du remords, aboutissait à une hâte plus fébrile, à une soif de sang plus brûlante; ainsi le malheureux dont les liqueurs fortes ont brûlé la poitrine, ne trouve qu’un remède au feu qui le dévore: boire, boire encore, du feu sur le feu!
Catherine songeait:
– Du sang, encore du sang pour effacer ce sang!
La folie des meurtres innombrables l’envahissait.
Et dans le détraquement de sa cervelle, maintenant, l’hystérie religieuse montait en flux rapides.
– Après tout, c’est pour Dieu!… Dieu le veut!… Il faut en finir!…
Ce matin-là, plus sombre que jamais dès qu’elle se trouvait seule, le sourire radieux qu’elle affectait devant la cour disparu de ses lèvres, elle passa, comme nous avons dit, et jeta un oblique regard sur Coligny.
Au bout de la galerie, au moment d’entrer dans son oratoire, elle vit un homme qui l’attendait. C’était Maurevert. Il s’inclina comme pour la saluer et murmura:
– J’attends votre dernier ordre, madame.
Catherine laissa couler un long regard jusqu’au bout de la galerie, jusqu’à l’antichambre, jusqu’à Coligny qui se relevait, roulait ses papiers en causant vivement avec La Garde.
Et elle laissa tomber ce mot:
– Allez!
Maurevert s’inclina plus profondément. Il avait quelque chose à dire… Maurevert songeait à la recommandation que lui avait faite le duc de Guise par une nuit de fête: il fallait blesser et non tuer Coligny… Maurevert voulait garder les bonnes grâces du duc, tout en obéissant à la reine. Et laissant de côté la fiction que c’était un ami à lui qui devait tirer sur l’amiral, il dit:
– Et si je le manquais, madame?
– Eh bien, fit la reine tranquillement, vous en seriez quitte pour recommencer!
– Ainsi, insista le bravo, que l’amiral meure ou ne meure pas, demain matin, mes deux prisonniers du Temple sont bien à moi?…
– Oui!… à condition que j’assiste à la question.
Là-dessus, Catherine rentra dans son oratoire. Quelques minutes plus tard, Maurevert sortait du Louvre.
Dans l’embrasure de fenêtre de l’antichambre, le vieux La Garde disait à ce moment:
– Monsieur l’amiral, si vous m’en croyez, vous hâterez les derniers préparatifs… J’ai bataillé contre vous… à Jarnac et à Moncontour, j’ai fait ce que je pouvais. Je suis au service de l’Église romaine, et vous dans une congrégation ennemie de la mienne… Mais j’ai pour vous l’estime qu’on doit à un chef illustre… permettez-moi d’insister… il faudrait que dans un mois au plus tard, vous soyez en campagne.
– Dans un mois, mon cher baron! Dites dans dix jours, et vous serez dans la vérité.
– Ah! tant mieux! fit le vieux La Garde avec un soupir de soulagement.
Les deux chefs se serrèrent la main et La Garde descendit au jeu de paume pour faire sa cour au roi dont on entendait les cris de joie à chaque bon coup qu’il portait.
Coligny, ayant roulé ses papiers, les plaça sous son bras, et faisant signe à ses gentilshommes, descendit à son tour et sortit du Louvre, répondant d’un sourire aux saluts respectueux, et d’un joyeux geste de la main aux sentinelles du pont-levis qui lui rendaient les honneurs.
Maurevert, sans se presser, était arrivé au cloître Saint-Germain-l’Auxerrois. Il entra dans une maison basse dont les fenêtres du rez-de-chaussée étaient grillées: c’est là que demeurait le chanoine Villemur. Mais depuis trois jours, le chanoine avait ostensiblement quitté la maison, se rendant, disait-il, auprès d’une parente qui habitait la Picardie.
La maison passait donc pour inhabitée, le chanoine ayant, pour un mois, donné congé à sa servante.
Maurevert se glissa dans l’intérieur par une petite porte qu’une main mystérieuse lui entrouvrit du dedans, et il parvint bientôt dans la salle à manger qui se trouvait au rez-de-chaussée.
– C’est le moment! dit-il alors à l’homme qui lui avait ouvert et qui l’avait accompagné.
Cet homme, c’était le chanoine Villemur.
– Je le savais, répondit simplement le chanoine. Venez.
Maurevert suivit son hôte, qui lui fit traverser trois pièces et l’introduisit enfin dans une cour qui se trouvait sur le derrière de la maison. La cour était clôturée de murs assez élevés. Une porte permettait d’en sortir. Villemur l’ouvrit et montra à Maurevert une sente déserte qui aboutissait à la Seine.
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