Il était loin d’être antipathique, d’ailleurs; c’était un de ces bons gros égoïstes à qui la foule pardonne bien des choses parce qu’ils savent rire; au fond, le type du commis-voyageur, tel qu’on le représente dans les romans d’il y a trente ans, et aussi dans les chansonnettes… «Qu’il pleuve ou vente, toujours il chante»… Il eut le bonheur inouï de rencontrer Sully. Réputation surfaite comme celle de François I er. Il est d’ailleurs à remarquer que le peuple a conservé une sorte d’amitié pour les rois paillards. Il maudit encore Louis XI, parle de chevalerie quand il est question de François I er, et sourit avec indulgence en parlant d’Henri IV.
Mais il est temps d’en revenir à notre histoire.
Que faisaient à Paris Coligny, le prince de Condé, le roi de Navarre?
C’est ce que nous ne tarderons pas à savoir.
Ce qui nous intéressait pour l’instant, c’était la présentation du chevalier de Pardaillan à ces divers personnages que nous venons de mettre en scène.
La réunion devait d’ailleurs être déjà terminée au moment où se fit cette présentation.
Pourtant, comme nous l’avons vu au début de ce chapitre, on attendait encore quelqu’un.
Cependant, le jeune roi de Navarre fixait un œil rusé sur le chevalier, et il cherchait peut-être quelque moyen de l’attacher à sa fortune, lorsque la porte s’ouvrit; un de ces domestiques armés en guerre que Pardaillan avait remarqués alla vivement à l’amiral Coligny et lui glissa deux mots à l’oreille:
– Sire, dit Coligny avec un certain accent de joie, M. le maréchal de Montmorency a bien voulu se rendre à mon invitation. Il est là. Et il attend le bon plaisir de Votre Majesté.
Un éclair de satisfaction brilla dans le regard du Béarnais: mais cet éclair s’éteignit aussitôt; et, avec sa bonne humeur gasconne, le roi s’écria:
– Ce cher François! Je serai heureux de le voir. Qu’il entre! qu’il entre! Monsieur l’amiral, et vous, mon cousin, vous voudrez bien demeurer près de moi pendant cette entrevue.
Les autres personnages de cette scène se levèrent pour se retirer.
– Eh bien!… fit Déodat, en saisissant le bras de Pardaillan, à quoi songez-vous donc?
Pardaillan tressaillit, comme s’il s’éveillait d’un rêve. L’annonce que le maréchal de Montmorency allait entrer dans cette salle l’avait plongé dans une sorte de stupeur.
– Pardon, balbutia-t-il.
Et il s’inclina devant le roi de Navarre qui, pour la deuxième fois, lui tendit la main, et lui dit:
– Le comte de Marillac m’a fait savoir que vous ne prisiez rien tant que votre indépendance, et que vous entendiez vous tenir en dehors de toutes querelles; cependant, je veux croire que notre rencontre aura un lendemain et quant à moi, je serais heureux de vous voir parmi les nôtres.
– Sire, répondit Pardaillan, je dois à tant de bienveillance une entière franchise: les guerres religieuses m’effraient parce que j’ai le malheur d’être à peu près sans religion… mon père ayant oublié de m’en donner une.
Pardaillan ne vit pas le mouvement qu’avait esquissé Coligny et n’eut pas l’air de se douter qu’il venait de dire une énormité. Devant cette énormité, le futur Henri IV s’était d’ailleurs contenté de sourire. Et ce sourire en disait long sur les sentiments religieux du Béarnais.
– Mais, acheva le chevalier, j’avoue pourtant à Votre Majesté que si l’ardente sympathie d’un pauvre diable comme moi peut lui être utile, cette sympathie, vienne l’occasion, ne lui fera pas défaut…
– Bien, bien… nous reprendrons cet entretien, dit le roi.
Pardaillan sortit avec Marillac. Le vieux d’Andelot et Téligny étaient déjà sortis ensemble.
– Quelle faiblesse vous a pris tout à l’heure, cher ami? demanda alors Marillac. Vous avez paru tout ému et vous êtes encore pâle.
– Écoutez, fit Pardaillan, c’est bien le maréchal de Montmorency qui va être introduit auprès du roi?
– Lui-même?
– François de Montmorency, n’est-ce pas?
– Mais oui, fit Marillac étonné.
– Eh bien, ce Montmorency, c’est le père de celle que j’aime! Il faut que je lui remette la lettre que j’ai là sous mon pourpoint et qui me brûle la poitrine. Si je ne lui remets pas cette lettre, je suis un félon et j’enlève à Loïse sa protection la plus naturelle et la plus sérieuse. Et si je la lui remets, cet homme va me haïr, et Loïse est perdue à jamais pour moi!…
XXXI FRANÇOIS DE MONTMORENCY
L’homme qui était attendu dans l’hôtel de Coligny et qui venait d’être introduit auprès du roi de Navarre, paraissait une quarantaine d’années. Il était grand, de forte carrure, et ses membres avaient cette souplesse particulière aux gens qui se livrent à de violents exercices du corps.
Ses cheveux étaient blancs.
Et c’était un étonnement pour l’œil que cette blancheur de vieillesse sur cette tête demeurée jeune: en effet, la moustache, d’un beau châtain foncé, avait gardé sa couleur; aucune ride ne sillonnait ce visage; les yeux, sans flamme d’ailleurs, et comme voilés, avaient un regard limpide, ferme et droit.
Une indéfinissable lassitude d’esprit semblait pourtant détruire l’harmonie de vigueur qui se dégageait de cet ensemble.
Avec les années, lentement, lambeau par lambeau, la douleur s’en était allée.
Mais la tristesse demeurait profonde, et pesait sur cet homme, d’un même poids égal; de là, sans doute, cette lassitude…
François de Montmorency avait, en effet, l’attitude de quelqu’un qui subit la vie, sans s’y complaire.
Il lui semblait, d’ailleurs, que cette vie s’était arrêtée au jour funeste où, revenant si heureux, si passionné, si empressé, de la guerre et de la captivité, il avait été frappé par le grand malheur dont il traînait le fardeau sans pouvoir se détacher du souvenir si doux de son amour et de sa jeunesse.
Il était pareil à ces voyageurs qui, débarquant après une longue traversée, trouvent leur maison incendiée, leur famille détruite, la ruine et le malheur, et demeurent, ensuite comme stupéfiés par l’excès d’injustice qui les atteint.
François de Montmorency était de ces gens qui ne reprennent pas leur cœur une fois qu’ils l’ont donné.
Cet amour très pur, très profond, qu’il avait éprouvé pour Jeanne de Piennes, était encore tout entier dans son âme. Seulement il avait pris une autre forme. On peut dire que, depuis la catastrophe, il n’avait pas passé une heure sans songer à Jeanne – pour la maudire, il est vrai!
Maintes fois, il avait éprouvé comme une vague tentation de la revoir; mais toujours, il avait réfréné ces désirs, et alors, il se jetait toujours dans quelque nouvelle campagne, dans quelque entreprise guerrière ou politique où il déployait de fébriles activités sans parvenir à se détacher du souvenir qui l’obsédait.
Le fantôme de Jeanne montait en croupe sur son cheval de bataille et entrait avec lui dans les conseils.
Parfois on le voyait, au milieu d’une discussion, s’immobiliser tout à coup, regarder fixement dans le vide; alors, il n’entendait plus rien; seulement, il lui arrivait de murmurer des mots sans suite.
Il pensait peu à Henri de Montmorency.
Lui avait-il pardonné?
– Non, sans doute. Mais il tâchait à l’oublier et il y parvenait assez aisément, tandis que Jeanne était toujours présente dans son imagination.
Avec ce caractère, avec de telles racines d’amour dans le cœur, il est presque inutile de dire que François de Montmorency n’avait jamais songé à se refaire un autre bonheur, une autre famille, en un mot, une autre vie.
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